Les faiblesses structurelles du régime de sanctions contre le Mali menacent l’idée même de coopération économique. Pour les institutions régionales, l’heure du quitte ou double approche.
Curieux régime de sanctions que celui imposé au Mali par l’Uemoa et la Cedeao. Il réussit l’exploit d’être à la fois brut et lâche, excessif et inoffensif. Dur avec les faibles et doux à l’égard des nantis… Comme l’indiquait Jeune Afrique, à la mi-mai, après avoir interrogé plusieurs banquiers, « malgré les sanctions, les banques maliennes résistent bien pour le moment ». Et pour cause. Les multiples exemptions au régime de sanctions – biens alimentaires, énergétiques, pharmaceutiques – autorisent (« officieusement », selon un financier) la BCEAO à laisser se poursuivre les transferts et paiements liés à ces denrées.
Un système inefficace et propice à la corruption
Il revient donc au régulateur de faire le tri et de s’assurer que ces transactions concernent bien les aliments et les hydrocarbures, deux des secteurs les plus gangrenés par les circuits parallèles et les inefficiences
Le gel officiel des comptes de l’État au guichet unique de la BCEAO n’a pas empêché la junte d’ouvrir des comptes auprès des banques commerciales – qui opèrent ainsi en pleine violation de l’esprit et du texte des sanctions –, comme l’a expliqué dans nos colonnes l’entrepreneur malien Mossadeck Bally. « Les entreprises du secteur formel ne paient plus leurs impôts en ligne, mais par des chèques qui sont encaissés sur ces comptes », a indiqué le patron du groupe hôtelier Azalaï. Autrement dit, une procédure informatisée et permettant la traçabilité des échanges a été remplacée par un système inefficace et encourageant la corruption. Encore une fois, les acteurs économiques les plus entreprenants, ceux dont les partenaires internationaux obéissent aux règles de conformité et au régime de sanctions, sont pénalisés au profit des magouilleurs, de l’informel. Les autorités régionales feignent, pour leur part, d’ignorer un arrêt de la Cour de justice de la Cedeao ordonnant la suspension des sanctions, sapant par là même la légalité de toute l’architecture juridique régionale.
Il ne fait aucun doute que l’économie malienne souffre déjà grandement du régime de sanctions, malgré les faiblesses et les failles identifiées. Pour un pays où « le taux d’extrême pauvreté en 2019 s’élevait à 42,3 % », selon la Banque mondiale, toute minute de progrès économique perdue est une tragédie.
Faut-il asphyxier l’économie malienne ?
Sortir de cette impasse n’est pas aisé. Il est possible d’étendre le régime de sanctions à l’énergie et aux aliments et d’obtenir de la BCEAO une suspension réelle et complète de toute transaction avec les banques présentes au Mali. Des sanctions peuvent aussi être adoptées contre les holdings étrangers des établissements financiers qui continuent de refinancer leurs filiales à Bamako. Tout cela est réalisable si l’idée est vraiment d’asphyxier le pays, d’envoyer au diable dix années d’expansion de la finance ouest-africaine, tout en détruisant, pour une génération au moins, l’importante et belle idée de coopération économique.
L’autre option pour les institutions régionales serait la désescalade, faire la part du politique et de l’économie, de la guerre et du commerce. Cela pourrait passer par le maintien du gel des avoirs de l’État à la BCEAO en échange d’une suppression de l’embargo commercial et financier. Une telle décision pourrait être perçue comme un recul, exposant aux quolibets les chefs de la Cedeao. Peut-être. Mais si le ridicule tuait, les responsables de cette institution n’auraient pas installé son siège à Abuja, créature bâtarde des années 1980, ville « nouvelle », ocre, moche et bouffonne, sans passé ni culture ni personnalité.
Concluons : entre deux bombardements, la Russie continue d’indemniser l’Ukraine pour faire transiter son gaz vers l’Europe. Si les Slaves peuvent faire la part des choses, pourquoi pas l’Afrique de l’Ouest ?