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Mali : l’imam Mahmoud Dicko, une voix critique qui ébranle la classe politique
Publié le mardi 31 mai 2022  |  TV5
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L’imam Mahmoud Dicko est désormais une personnalité incontournable du paysage politique malien. Après s’être retiré de la vie publique à la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta, le charismatique prêcheur a fait une sortie remarquée qui le place au coeur de la critique du pouvoir.

« La communauté internationale est dans son orgueil, nous, nous sommes dans notre arrogance et le peuple malien est en train de mourir. » Au forum de Bamako, l’un des colloques les plus importants en Afrique, l’imam Dicko revient sur le devant de la scène et il a le verbe incisif.

Au thème de la réunion « Femmes, paix et sécurité en Afrique », le religieux réagit, micro à la main :« De quelle paix parlons-nous ? De quelle sécurité parlons-nous ? Dans cette situation où, […] le peuple malien meurt à petit feu ? » Devant tout un parterre d’invités, Mahmoud Dicko ne feint pas d’adresser ses critiques à la junte dirigeante et à la communauté internationale, responsables selon lui du dépérissement de son pays.

Moi ce que je sais faire de mieux, c’est faire prier les gens.
Imam Mahmoud Dicko
Islam rigoriste
Avant d’investir la sphère politique, l’imam Dicko est d’abord une figure religieuse et populaire au Mali. Depuis 40 ans, il officie à la mosquée du quartier Badalabougou de Bamako. Fréquemment, des représentants politiques viennent lui rendre visite. Le lendemain du coup d’Etat, les militaires putschistes étaient venus le saluer en personne.

« Moi ce que je sais faire de mieux, c’est faire prier les gens » rétorque-t-il toutefois à nos confrères France 24 en 2020 quand il est interrogé sur une quelconque ambition politique.

Issu d’une famille de notables, Mahmoud Dicko a reçu sa formation religieuse en Arabie Saoudite, où le wahhabisme, un islam conservateur qui se veut proche des origines de la religion, est pratiqué à 98%. S’il nie se réclamer d’un islam rigoriste, l’imam s’est fait connaître auprès du grand public en oeuvrant en 2009 à bloquer une réforme du code de la famille qui prévoyait entre autres plus de droits pour les femmes au Mali. Sa prise de position lui accordera un certain crédit dans un pays musulman à 95%.

Pendant plus de 10 ans, il a présidé le Haut conseil islamique du Mali (HCIM), une structure de dialogue entre les autorités et les chefs d’organisations religieuses. Cette responsabilité le prédestinera à un rôle d’importance à l’échelle du pays.

Allié devenu adversaire
À l’été 2013, la campagne d’Ibrahim Boubacar Keïta à la présidence du Mali bat son plein. S’il ne la jamais dit ouvertement, l’imam Dicko soutient la candidature de l’ancien Premier ministre du Mali. L’histoire montrera cependant que son appui ne durera pas.

Le mandat d’IBK a été marquée par une montée du djihadisme qui a dégradé significativement la situation sécuritaire nationale. Le président est alors très critiqué pour son incapacité à ramener la paix dans un pays dont la majeure partie est privée de services publics ou d'école et où la classe politique est considérée comme largement corrompue.


En 2020, la gronde investit de plus en plus les rues de Bamako. Une coalition hétéroclite de chefs religieux, d'hommes politiques et de membres de la société civile, le « M5-RFP » (« Mouvement du 5 juin - Rassemblement des Forces patriotiques ») se forme et prend le tête de la contestation.

S’il n’en sera jamais membre, Mahmoud Dicko devient la figure tutélaire de la contestation. En direct à la télévision nationale, il dénonce une impuissance du pouvoir face à l’insécurité et au marasme économique et réclame une transition entre les mains des civils. Les appels à manifester du M5-RFP s’enchainent et la colère prend de l’ampleur.

Le 10 juillet 2020, un rassemblement aux abords de la mosquée de l’imam Dicko dégénère. Au moins une dizaine de personnes y trouvent la mort et une quarantaine sont blessées. Un événement qui vaudra à l’imam de prendre ses distances après le coup d’état, annonçant retourner « à la mosquée ». « Je suis imam et je reste imam » a-t-il pu ajouter.

Je ne peux pas me taire sur la gestion actuelle du pays, j’ai été acteur du changement, des gens sont morts devant ma porte et devant ma mosquée.
Imam Mahmoud Dicko

« Je ne peux pas me taire »
Dans les rangs du « M5-RFP », se trouvent alors le cinéaste passé en politique Cheick Oumar Sissoko, l'avocat Mohamed Ali Bathily, l'ex-gouverneure de Bamako Sy Kadiatou Sow, mais aussi trois hommes politiques pur jus tels que Mountaga Tall, Modibo Sidibé et… un certain Choguel Maïga. Les deux hommes sont proches, l’imam voit en Maïga « un homme politique très intelligent ». Ce dernier sera installé premier ministre par la junte dès juin 2021.

En novembre 2021, alors que Choguel Maïga porte avec conviction la tenue des Assises nationales de la refondation, il est boudé par bon nombre de partis et d’organisation au Mali dont l’association de soutien à l'imam Mahmoud Dicko.

Ils dénoncent avoir été écartés des concertations et accusent les autorités de « clanisme ». Si l'imam a précisé n'appeler ni à manifester ni à renverser le pouvoir actuel, des membres du M5 réclament la démission de Choguel Maïga du poste de Premier ministre. Après avoir réclamé plus de démocratie dans les rues pendant des mois, le Mali fait une fois de plus face à une machine politique grippée qui peine à reprendre pied.


Une situation qui vaudra à l’imam de s’exprimer à l’occasion lors d’une conférence de presse fin novembre 2021 : « Je ne peux pas me taire sur la gestion actuelle du pays, j’ai été acteur du changement, des gens sont morts devant ma porte et devant ma mosquée. Je ne peux pas rester en dehors de la suite, a-t-il déclaré. On ne s’entend pas entre nous, on n'est pas avec le reste du monde. Il faut qu’on se donne la main sinon le pays n’est pas sur la bonne voie ».

L’imam intrépide
Depuis, les putschistes au pouvoir ont annulé la tenue des élections et les sanctions de la Cédéao ont fait grimper le prix des denrées au Mali. Les relations avec ses voisins se sont dégradées. Les autorités ont aussi annoncé ne pas pouvoir s'acquitter d'un paiement de 2,6 milliards de francs CFA sur le marché financier régional.


Au forum de Bamako, ce 25 mai 2022, c’est toutefois un Mahmoud Dicko désabusé qui s’exprime, loin de celui qui fait porter les foules par ses discours de révolte à l’été 2020. « Nous sommes face à une impasse totale aujourd’hui dans ce pays » affirme-t-il, résolu. Il avoue volontiers ne pas avoir peur d’être interpellé à la sortie, après avoir tancé publiquement « l’arrogance » d’une « classe politique moribonde ».

Après voir instigué les révoltes de 2020, la parole de l’imam n’est pas sans poids. Serait-il le seul aujourd’hui à pouvoir tenir tête à la junte du colonel Goïta ?
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