La rubrique ‘’L’invité de la semaine’’ de Ziré, votre hebdomadaire préféré d’analyses, d’enquêtes et d’informations générales, reçoit cette semaine Ousmane Diarra, président de l’Association malienne des Expulsés. Dans cet entretien réalisé le 28 mai 2022 en partenariat avec le site d’informations générales, ‘’www.afrikinfos-mali.com’’, Ousmane Diarra nous parle de la situation actuelle des expulsés ; leur prise en charge une fois de retour au bercail… Lisez plutôt l’entretien !
Ziré: Bonjour monsieur, présentez-vous à nos chers lecteurs !
Ousmane Diarra : je m’appelle Ousmane Diarra, je suis le président de l’Association malienne des Expulsés en abrégé AME.
Alors, parlez-nous de l’Association malienne des Expulsés (AME) et ses missions !
L’Association malienne des Expulsés est l’une des associations créées par des migrants de retour. C’est l’une des premières d’ailleurs au monde qui intervient dans ce domaine spécifique. Ce n’est pas seulement au Mali où en Afrique, mais dans le monde entier. Au Mali, depuis 1996, il y a de cela 25 ans, des migrants expulsés de plusieurs pays ont décidé de créer cette association. Parce qu’à l’époque, il n’y avait ni le ministère des Maliens de l’Extérieur, ni une autre organisation qui pouvait les aider. Mais heureusement, il y avait le Haut Conseil des Maliens de l’Extérieur (HCME) qui a été créé en 1991, notamment lors de la conférence nationale du Mali après la chute du Général Moussa Traoré.
Donc, ce Haut Conseil des Maliens de l’Extérieur avait vocation de travailler avec des Maliens de l’Extérieur comme son nom l’indique. Alors, concernant ceux qui sont venus comme expulsés à cette époque, il fallait se battre pour créer une association afin de les aider une fois au bercail. Donc, cette idée a été soutenue par beaucoup de migrants de retour de différents continents du monde.
Je vous rappelle qu’en 1996, il y avait des expulsions massives vers le Mali. La France a expulsé des Maliens sans-papiers qui étaient même réfugiés à l’église Saint Berlin qui est une église bien connue, mais malheureusement, les autorités françaises ont décidé de les expulser. Parmi eux, il y avait des Maliens, des Sénégalais et tant d’autres étrangers.
C’était aussi le même cas en Angola, avec feu maître Alioune Blondin Bèye, le Malien, qui était le Médiateur de l’ONU en Angola. Après avoir signé le cessez-le-feu entre le groupe rébellion et le gouvernement, les commerçants et les hommes d’affaires de l’Afrique de l’Ouest, notamment les Maliens qui étaient en Angola ont fait l’objet d’expulsion. Là aussi, c’était au moins deux milles (2 000) Maliens en ce moment qui étaient emprisonnés avant être expulsés vers le Mali. Le délégué général des Maliens de l’Extérieur à son temps, Mohamed Salia Sogouna, est allé même sensibiliser des compatriotes installés en Angola pour qu’ils puissent accepter de retourner au Mali.
Ensuite, il y a l’Arabie Saoudite qui a expulsé une centaine de Maliens et c’était au moment de la guerre au Liberia où des Maliens ont été rapatriés volontairement. Donc, tous ces Maliens, venus de l’Angola, de la France, du Liberia et de l’Arabie Saoudite se sont réunis aux locaux des Maliens de l’extérieur pour essayer de réfléchir ensemble pour donner la naissance à cette organisation qui s’appelle Association malienne des Expulsés.
Le but est de défendre le droit de ces migrants expulsés souvent après dix ans à l’extérieur et qui sont parfois refoulés de façon brutale. Non seulement, ils n’ont pas eu le temps de s’organiser et ça devient difficile une fois au pays natal de se réinsérer dans la vie active. D’où un collectif a été mis en place avec beaucoup d’avocats, des professeurs, des hommes politiques et des hommes de médias qui nous ont soutenus à l’époque pour défendre la cause des expulsés.
L’objectif étant connu, dites-nous, quelles sont les actions entreprises par l’AME jusqu’ici ?
L’Association malienne des Expulsés était auparavant une organisation beaucoup plus activiste, mais nous avons changé les données actuellement. Les premières revendications notamment en 1997, on avait les 97 Maliens expulsés dans le 36e secteur français. Avec la mobilisation des expulsés et du collectif, nous avons pu obtenir la libération des migrants de retour qui étaient emprisonnés dans différentes prisons de Bamako.
Aussi, il y a eu beaucoup d’actions qui ont été faites même s’il est difficile de les citer de façon exhaustive. Cependant, je peux dire que nous avons combattu l’accord de réadmission avec la France et l’Union européenne. Nous avons été dans la rue pour dénoncer le projet de l’immigration choisi de Nicolas Sarkozy. Aussi, nous avons mené des actions de sensibilisation et de dénonciation à travers les conférences de presse et autres manifestations.
Qu’en est-il de la situation des expulsés de nos jours au Mali ?
Oui comme je l’ai dit tantôt auparavant, c’était très activiste mais maintenant nous avons compris que les migrants ont besoin d’être intégrés, réinséré, d’avoir du travail sur place. Parce que les conditions d’expulsion ne leur permettent pas de se préparer de ce fait qu’elles sont brutales. Donc actuellement, nous sommes sur un projet qui est en train de former 850 jeunes ici au Mali, notamment à Bamako et dans la région de Kayes en collaboration avec les directions régionales de la formation professionnelle de Bamako et de Kayes. Cette formation se tient en partenariat avec Plan International Mali ; ENDA Mali ; BNC et surtout avec Aide et Action International, une organisation Italienne qui est notre partenaire principal. Donc, on est en train de sensibiliser les jeunes sur leur intégration et sur leur réinsertion au niveau national pour qu’ils puissent être acteurs de leur propre développement.
Est-ce que vous voulez dire que toutes ces actions sont sociales ?
Oui, justement ! Vous savez, il est très difficile d’être expulsé et d’être accepté dans le pays d’origine. Très souvent, ceux qui ont subi des expulsions si vous les écoutez, la plupart d’entre eux sont expulsés par les pays d’accueil et refusés par les pays d’origine. Ils sont rejetés par l’entourage familial pour avoir connu des mésaventures. Après avoir été expulsés, venus bredouille, sans rien, vous verrez que beaucoup assistent à des divorces et à des fiançailles rompues. Nous avons des cas où les marâtres lancent des mots sordides, qualifiant l’aventurier de maudit, etc. C’est très traumatisant et avec beaucoup d’angoisse. Voilà pourquoi, nous avons un autre projet qui offre un accompagnement psychologique pour permettre aux migrants d’être eux-mêmes une fois au pays.
Quelles sont les raisons principales de ces expulsions ?
Les raisons des expulsions sont diverses. Aujourd’hui, le monde est devenu très capitaliste et il y a la vie chère dans le monde entier. Le travail n’est plus assez disponible en Europe et dans certains pays d’Afrique. L’entrée et les séjours dans les pays d’accueils sont devenus très difficile. Voilà pourquoi la plupart des pays ont beaucoup durci le système d’immigration même légal. Vous verrez qu’aujourd’hui, l’océan est devenu comme un cimetière pour les migrants.
Donc, vous comprendrez que les migrants sont expulsés lorsqu’ils n’ont pas de documents légaux de séjour dans le pays d’accueil. Il s’agit du titre de séjour et autres documents administratifs légaux. Certains sont expulsés parce qu’ils ont commis des crimes, comme le viol, le vol, etc.
Autrefois, le Malien était cité parmi les exemples à l’étranger : travailleur, sérieux et très honnête. Mais depuis que le passeport et d’autres documents administratifs du Mali sont devenus accessibles à tout le monde, beaucoup de ressortissants des pays voisins ont profité de la situation pour s’en acquérir. Tous les actes qu’ils ont eu à poser, ils les sont posés en tant que Maliens. Aussi, même parmi les vrais Maliens, il y en a certains qui oublient les raisons de leur départ. Très souvent ce sont eux qui s’adonnent à des actes de délinquances. Donc, tous ces facteurs ont défavorisé le Malien à l’étranger.
Est-ce que c’est une situation qui vous inquiète davantage aujourd’hui qu’avant ?
Bien sûr que c’est une situation qui nous inquiète. Parce que nous avons constaté qu’au niveau national, il y a beaucoup de problèmes d’emplois. Il y a beaucoup de jeunes chômeurs souvent diplômés qui n’ont pas de travail et d’autres sans diplôme. Aussi, dans beaucoup de zones du Mali, les gens n’arrivent pas à faire des activités comme il le faut compte tenu de l’insécurité. Certains n’ont pas le souhait d’aller à l’étranger, mais le contexte leur oblige. C’est malheureusement une réalité qui nous inquiète. Il faut reconnaître que la migration n’est plus ce qu’elle a été auparavant.
Vous verrez qu’auparavant, il y avait la migration saisonnière. Mais de nos jours, tel n’est plus le cas. Aujourd’hui, tous les pays du monde souffrent et la migration n’est plus rentable. L’inquiétude encore pour moi, c’est qu’il y a très peu d’entreprises qui peuvent réellement employer des gens dans les conditions requises. Voilà pourquoi, les jeunes se battent pour aller dans l’armée et dans les autres corporations de la sécurité et même là, tout le monde n’a pas cette chance.
Avez-vous un message à lancer à l’endroit des jeunes tentés par la migration ou même à l’endroit des États ?
D’abord, je demande à la jeunesse de faire beaucoup attention parce que les données ont changé. L’obtention de visa est devenue très difficile. Je dis à la jeunesse que partir est un droit, mais rester est aussi un droit. Donc, s’il faut partir, il faut le faire légalement.
Je demande aussi aux États de revoir leurs politiques migratoires pour changer les données parce que ça a causé beaucoup de morts. Beaucoup de familles ont été endeuillées pour cela. Aussi, de demander aux autorités du Mali et de certains pays africains d’être très vigilants par rapport à la signature des accords et des traités pour la protection de leurs ressortissants.