Les chefs d'Etat de la Cédéao se réunissent en sommet extraordinaire ce samedi à Accra au Ghana pour parler de transitions militaires au Mali, en Guinée et au Burkina Faso. Un compromis est-il possible entre la Cédéao et les juntes burkinabé, guinéenne et malienne ?
Un compromis va-t-il enfin avoir lieu entre la Cédéao et les juntes malienne, guinéenne et burkinabé ? Un sommet extraordinaire y répondra ce samedi à Accra au Ghana où les différentes autorités ont prévu de se rencontrer. "Au regard d’un contexte de déliquescence de l’éco-système sécuritaire et social dans la région, on peut espérer qu’il y ait un accord substantiel pour sortir la région de cette crise", espère Mohamed Amara, sociologue et auteur de 'Marchands d'angoisses, Le Mali tel qu'il est, tel qu'il pourrait être’.
J’espère que cet accord prenne la forme d’un compromis avec la levée totale des sanctions de la Cédéao contre une durée maximale de 16 mois de transition pour le cas du Mali.
Mohamed Amara, sociologue et auteur de Marchands d'angoisses, Le Mali tel qu'il est, tel qu'il pourrait être
Pour l’instant rien n’est encore établi. "S’il existe, j’espère que cet accord prenne la forme d’un compromis avec la levée totale des sanctions de la Cédéao contre une durée maximale de 16 mois de transition pour le cas du Mali", détaille Mohamed Amara. La transition dans le pays était censée finir le 27 février dernier. "Cet accord, c’est aussi la possibilité d’avoir un calendrier clair et net pour les réformes prévues avec l’organisation des élections présidentielles législatives", ajoute-il. Pour le moment, le bras de fer avec l'organisation sous-régionale continue.
Un bras de fer qui dure depuis janvier
D’un côté, l’organisation intergouvernementale ouest-africaine, la Cédéao, exige le retour le plus rapide possible des civils au pouvoir. Tant que ce délai ne sera pas négocié, elle assure prolonger ses sanctions sur les trois pays.
De l’autre, le Mali, le Burkina Faso et la Guinée ne lâchent pas le morceau, d’autant qu’ils accusent l’organisation d’être la courroie de transmission de la politique de l’impérialisme français dans la région. Ainsi, les autorités militaires de transition au Mali proposent un calendrier de 24 mois avant d'organiser des élections et rendre le pouvoir aux civils. En Guinée, les putschistes ont, eux, fixé la durée de la transition à 36 mois. Le Burkina Faso maintient le délai de trois ans.
Mais de quelles sanctions parle-t-on exactement ? La Cédéao a suspendu de ses instances les trois pays. Le Mali est aussi touché par des sanctions économiques. La Cédéao a gelé des avoirs de l’État malien à la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Elle a également fermé des frontières terrestres et aériennes entre les pays de la Cédéao et le Mali. Enfin, elle a suspendu les transactions commerciales et financières avec le pays à l’exception des produits alimentaires, pharmaceutiques et pétroliers.
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Depuis le putsch qui a permis à la junte militaire d'accéder au pouvoir, la Cédéao impose de lourdes sanctions au Mali. Des milliers de Maliens ont convergé vers la capitale Bamako pour réclamer une levée de ces sanctions. Explications avec Maliki Diallo, N'Daricaling Loppy et Patrick Didier.
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Pour le sociologue Mohamed Amara, c’est justement au Mali que tout se joue. "Du moment où la situation malienne est résolue, cela entraînera la résolution des situations guinéenne et burkinabé", explique-t-il. Revenons donc sur sur le cas plus précis du Mali et les conséquences de ces sanctions depuis janvier.
Des sanctions aux lourdes conséquences sur le Mali
La fermeture des frontières avec les pays de la Cédéao est en cause. Seule l’Algérie et la Mauritanie, qui ne font pas partie de la Cédéao, ont les frontières ouvertes avec le Mali. Et cela impacte grandement l’équilibre financier du pays. “Les produits de première nécessité qui venaient d’autres pays, notamment la Côte d’Ivoire, le Sénégal, via le port d’Abidjan, ne peuvent plus être exportées”, explique Mohamed Amara. “C’est aussi le cas d’autres produits comme les produits de construction, comme le ciment, qui mettent directement en difficulté des jeunes travaillant dans ce secteur-là”, ajoute-t-il. Ensuite, elles ont provoqué l’isolement du Mali et des autorités maliennes sur la scène internationale, selon Mohamed Amara.
Le départ des troupes françaises a créé un vide de sécurité dans la zone des "trois frontières" (...) qui n’a pas été comblé par la junte malienne.
Mohamed Amara, sociologue et auteur de Marchands d'angoisses, Le Mali tel qu'il est, tel qu'il pourrait être
Cet isolement a eu un impact sur la question sécuritaire. Le retrait des forces françaises Barkhane n’a évidemment rien à avoir les sanctions de la Cédéao, puisqu’il lui précède. “Mais le départ des troupes françaises a créé un vide de sécurité dans la zone des “trois frontières” (cette région où se rencontrent, sans délimitation physique, les territoires du Mali, du Burkina Faso et du Niger, ndlr), qui n’a pas été comblée par la junte malienne", rappelle Mohamed Amara . Et pour cause, “le Président et le Premier ministre de la transition n’ont jamais été dans les zones en crise depuis qu’ils sont à la tête du Mali", assure-t-il.
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Mais alors, dans ce contexte de tensions sécuritaires et économiques, comment expliquer un tel engouement autour du pouvoir de Bamako ? "Certaines associations sont devenues des soutiens presque reliés au pouvoir. Ils sont partout sur les réseaux sociaux", explique Mohamed Amara. Et les voix dissonantes se font rares de peur de représailles. "Dans le même temps, la junte a installé cette idée que la seule façon d’être autonome est de se retirer de toutes les instances liées à la France, c'est un bouc émissiaire", conclut le sociologue. Et ce lien avec la France, c’est justement la critique que les juntes incombent à la Cédéao.
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La Cédéao accusée d'être manipulée par la France
Drissa Meminta est le porte-parole de Yerewolo-Debout sur les remparts, une organisation politique proche des autorités de transition. Il estime, et c’est d’ailleurs le discours officiel de Bamako, que la Cédéao est manipulée de l’extérieur. “La Cédéao a tout simplement décidé de servir d’autres intérêts que ceux de sa communauté”, estime Drissa Meminta. Le seul pays qui a dit qu’il allait isoler le Mali, aujourd’hui, c'est la France. Le problème, c’est de vouloir tout ramener aux élections, alors qu’ici au Mali, il y a de véritables problèmes qui ont besoin de temps pour être résolus”, détaille-t-il.
Pour Mohamed Amara, "les critiques persistent mais sont amenées à disparaître. Il peut y avoir une sorte de 'lune de miel' ou d 'accalmie entre la Cédéao et le Mali. On ne peut pas être dans la Cédéao et s’interdire des relations avec la France", ajoute-t-il.
Dans ce contexte, plusieurs sources au cœur des négociations assurent que les autorités maliennes de transition sont finalement prêtes à revoir leurs ambitions à la baisse et ne cachent pas leur optimisme sur le fait qu’un compromis pourrait bien être trouvé : seize à dix-huit mois mois supplémentaires. Mais la durée n’est pas le seul élément de négociation : Bamako souhaite une levée immédiate des sanctions, tandis que la Cédéao ne juge possible, depuis le jour même de leur instauration, qu’une levée progressive des sanctions.