Disgracié, harcelé et ostracisé pour ses positions et son attachement à la dignité de la magistrature, Cheick Mohamed Cherif Koné est sur le point de se singulariser comme le seul magistrat à comparaître pendant une Transition devant le tribunal disciplinaire du Conseil supérieur de la Magistrature. Après avoir longtemps circulé sous les manteaux, sa convocation aura longtemps fait le tour des réseaux sociaux avant de parvenir à l’intéressé par les voies officielles, 24 heures à peine avant le jour «j» de sa comparution.
Toutes choses qui ont motivé sa requête de renvoi à laquelle les instances appropriées ont finalement donné une suite favorable. «Notre demande de renvoi n’avait rien de dilatoire», s’est toutefois défendu le magistrat en ligne de mire du Conseil supérieur magistrature, évoquant un bras-de-fer en perspective et auquel l’ancien avocat-général n’ira vraisemblablement pas en homme résigné. Il en a annoncé les couleurs en égrenant les unes après les autres les graves entorses à la procédure de sa traduction devant le conseil de discipline, rappelant qu’en la matière sont applicables les mêmes règles et principes d’équité que pour un tribunal ordinaire : le droit à une assistance adéquate, à la préparation de sa défense ainsi qu’à la communication du dossier dans un délai raisonnable, etc. Ce faisant, le président de l’Association malienne des procureurs et poursuivants affûte les armes pour affronter une intention apparente de musèlement – sinon d’abattre – un empêcheur de tourner en rond et un personnage qui semble déranger par son intransigeance sur les principes, son gênant attachement à la dignité de la fonction de magistrat et à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Une posture qui lui a vraisemblablement coûté le retrait arbitraire de son titre d’avocat-général, en réponse aux réserves qu’il a émises sur le dossier de Soumeylou B. Maiga et autres quant à la négation de leur privilège de justiciable de la Haute cour de justice.
Mais il en fallait sans doute plus pour le mettre sous l’éteignoir car le limogeage du célèbre magistrat ne l’empêchera nullement de demeurer à cheval sur les principes. Il se sert notamment de sa casquette de président de l’AMPP comme sentinelle des règles de droit, instrument de veille sur la protection des citoyens et bouclier contre l’arbitraire. Il va sans dire que pour lui s’inscrivent dans l’arbitraire tant son limogeage comme avocat-général – passé par-dessus la tête du Conseil supérieur et contre lequel une procédure devant les tribunaux demeure en souffrance – que sa traduction devant un conseil de discipline qu’il a déjà commencé à contester. Il en a donné le ton par une tonitruante remise en cause de l’attribut de la présidence actuelle du Conseil supérieur de la magistrature. Le président de l’AMPP soutient, en clair, que si l’interruption de l’ordre constitutionnel par la force peut conférer le titre de chef de l’Etat, la qualité de premier magistrat découle exclusivement de la fonction de président de la République et par conséquent d’une légitimité élective dont l’actuel président de la transition n’est investi ni par les dispositions de la constitution en vigueur ni par la Charte de la Transition. Le tribunal disciplinaire annoncé risque ainsi de braquer les projecteurs sur bien agaçante question que le monde judiciaire malienne s’est toujours employé à contourner par des moyens dolosifs et à coups de subtilités flétrissantes : le bricolage juridique au moyen duquel la Cour suprême a successivement élevé à la magistrature suprême deux chefs d’Etat issus de coup de force. En attendant l’issue du conseil de discipline annoncé pour le 15 juin, on aura noté par ailleurs que la procédure de limogeage de l’ancien avocat-général ne s’était étrangement passée de la procédure actuellement observée pour le conseil de discipline.