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Le ministre Mamadou Kassogué lors de l’émission “Mali Kura Taasira” sur l’ORTM : “L’enquête sur les dossiers des fonds Covid-19 est suffisamment avancée au niveau de la brigade. Ces dossiers vont être transmis”
Publié le samedi 11 juin 2022  |  Aujourd`hui
6ème
© Autre presse par DR
6ème édition de la semaine de la jeunesse contre la corruption
Bamako, le 1 mars 2022. Le ministre de la Justice et des Droits de l`Homme a présidé la 6ème édition de la semaine de la jeunesse contre la corruption à l`hôtel Radisson
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“Nous faisons en sorte qu’il n’y ait pas de justice sélective, nous essayons d’être objectif, rigoureux”

Le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux, Mamadou Kassogué, était le dernier invité de l’émission “Mali Kura Taasira” de l’Ortm diffusée en début de semaine. Dans cet entretien, il évoque, entre autres, la lutte contre la corruption et la délinquance financière, notamment les dossiers de l’avion présidentiel, des équipements militaires, l’affaire dite la ristourne des coton-cutteurs…

ORTM : Qu’est-ce qui est faite pour redorer le blason de la justice et restaurer cette confiance ?

Mamadou Kassogué : Vous avez parlé de certaines perceptions que les gens ont de la justice, c’est-à-dire la Loi du plus fort sur le plus faible et l’inégalité des justiciables devant la justice. Je peux dire que c’est juste des questions de perceptions. Certes, il y a des cas très limités dans lesquels cela peut arriver à cause du comportement de certains acteurs de justice, mais d’une manière générale la justice est rendue de manière à traiter les justiciables sur le même pied d’égalité.

Nous sommes en train de prendre des dispositions pour que cette perception puisse changer ou l’inverser de manière positive. Au niveau de l’administration de la justice, nous sommes en train de prendre des dispositions pour mener des réformes audacieuses à changer les méthodes, les procédures et les mentalités.

Au-delà du cas précis de l’affaire dite la ristourne des coton-cutteurs, qu’est-ce qui est fait, pour que ceux qui disent droit eux-mêmes soient des personnes exemplaires ?

Effectivement, nous sommes en train de prendre des dispositions pour à la fois sensibiliser, former, contrôler et sanctionner. Toutes ces batteries d’action sont en train d’être mises en œuvre.

Comme vous l’avez constaté après notre installation, nous avons visité beaucoup de juridictions, quatorze (14) notamment et le directeur national de l’Administration de la justice a visité 22 juridictions pour évaluer leur mode de fonctionnement et nous avons mis l’Inspection des services judiciaires au centre de la problématique après cette mission de sensibilisation, au cours de laquelle, nous avons aussi rencontré les syndicats, les ordres professionnels et les partenaires pour leur dire que nous voulons une justice nouvelle, avec de nouvelles valeurs fondées sur la responsabilité, la recevabilité et l’exemplarité. Ces messages sont passés à divers niveaux et donc nous avons mis en œuvre des missions de l’Inspection qui en a fait plus d’une trentaine, rien qu’entre juin 2021 et aujourd’hui.

Plus de 65 services ont été contrôlés et il y a eu des missions sur des faits signalés. Aujourd’hui, il y a beaucoup de dossiers que nous sommes en train de traiter et certains sont même en train d’être traduits devant le Conseil de discipline.

Nous avons également mis un accent sur la formation parce que nous avons compris que la formation constitue un levier essentiel dans le changement de comportement et dans le cadre de la bonne distribution de la justice. Avec l’Institut national de la formation judiciaire, nous avons mis en place un programme qui a permis de former, de juin 2021 à nos jours, 1320 agents de justice.

Parmi eux, il y a des magistrats, des greffiers, des avocats, des notaires, des huissiers commissaires de justice et des officiers de police judiciaire. Tous ces agents ont bénéficié de formation. Cela nous permet d’avoir 1320 agents formés sur diverses thématiques : la déontologie et l’éthique de leurs différentes professions, la conduite des procédures dans ces matières-là, les contentieux électoraux, les contentieux administratifs, la lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux, les procédures bancaires.

À quel horizon, les actions que vous avez entreprises sont censées porter les fruits escomptés ?

Déjà, les fruits sont perceptibles. Il y a un changement notable de comportement au niveau des acteurs de justice. Quand nous arrivions, il y avait certains comportements qui se faisaient et les gens se comportaient sans rien craindre, certains mêmes se disaient je fais ce que je veux, personne ne peut rien me faire.

Aujourd’hui, ce comportement a changé et les acteurs de justice savent que lorsque je suis au courant des abus et des déviations, une action va suivre nécessairement et beaucoup font des efforts pour ne pas tomber dans ces abus. Ils font des efforts, mais c’est lent parce que tout changement est forcément lent, surtout en matière de justice où les choses ne vont au rythme que nous voulons. Il faut aller doucement, mais sûrement.

Aujourd’hui, les Maliens se plaignent de la lenteur de la justice. Qu’est-ce qui explique cette lenteur ?

Cette lenteur qui est apparente s’explique par le fait que nous voulons mener des investigations très poussées, professionnelles, objectives et fondées sur le respect des droits humains. Vous voyez, la présomption d’innocence, il faut la respecter ; les droits de la défense, il faut les respecter et l’enquête doit être menée dans le respect des procédures et de la légalité. Quand on doit respecter tous ces principes, il y a des situations qui peuvent être considérées comme des situations de lenteur. Les acteurs de justice comme les avocats peuvent à chaque décision les contester devant les juridictions supérieures. Ces va-et-vient font perdre beaucoup de temps. Il y a aussi le fait que les personnes concernées par la procédure ne sont pas sur place, c’est-à-dire, ils sont en fuite. Il y a des éléments de preuve, surtout en matière de justice, qu’il faut aller chercher au-delà de nos frontières à travers la coopération judiciaire. Tout cela est de nature à ralentir la progression des procédures. Les enquêtes financières sont des enquêtes spéciales, complexes, où les choses se font sur pièces. Vous reprochez à quelqu’un d’avoir fait un détournement, il faut le prouver et la personne peut produire des pièces qui mettent en mal tout ce que vous avez eu à construire. Il faut un perpétuel échange entre les pièces pour pouvoir arriver à la manifestation de la vérité.

Concrètement, qu’est-ce qu’il faut pour qu’il y ait plus de célérité dans le traitement des dossiers ?

Pour qu’il y ait plus de célérité, il y a des réformes forcément à faire. Ces réformes sont déjà en cours, nous sommes en train de relire le Code pénal, le Code de procédure pénal et nous avons mis en place un pôle national économique et financier pour prendre à bras le corps la question de la corruption. Il s’agira, à travers ces mesures, de faire en sorte que ceux qui sont chargés de lutter contre la corruption ne s’occupent que de cela. De faire en sorte que tout ce qui constituait des entraves dans la conduite des procédures puisse être minimisé et que nous puissions aller très rapidement dans cette matière, mais aussi dans d’autres matières. Nous sommes en train de simplifier les procédures pour les rendre beaucoup plus rapides.

En plus de cela, nous sommes en train de prendre des dispositions pour recruter du personnel parce que le nombre compte. Le ratio magistrat-population c’est de l’ordre de 38 000 habitants pour un magistrat et cela est très faible. Nous sommes en train de prendre beaucoup de dispositions pour que l’accès à la justice soit une réalité, partout au Mali. À travers la délocalisation des juridictions, des audiences foraines seront organisées.

Qu’est-ce que vous avez entrepris pour résoudre définitivement le problème de la surpopulation carcérale ?

Ce qu’il faut dire à propos de la surpopulation carcérale, c’est que c’est la conséquence de la démographie et de la modernisation de la vie qui conduit la hausse de la délinquance. Les milieux urbain et périurbain sont des lieux par excellence où les actes de délinquance se commettent. En parlant de surpopulation carcérale, je pense que vous parlez de la Maison Centrale d’Arrêt de Bamako qui était conçue initialement pour 400 personnes à un moment donné où la population n’atteignait pas 1 million d’habitants. Aujourd’hui, nous frôlons les trois (3) millions de personnes.

En plus de cela, la criminalité a augmenté. Maintenant, il va de soi qu’il y ait une surpopulation. Il n’y a pas que cela, il y a aussi une certaine lenteur qui est observée dans la conduite des procédures judiciaires. Tout cela contribue à engorger les prisons. Mais nous sommes en train de prendre des dispositions pour que ce désengorgement soit effectué à travers l’utilisation des procédures rapides telles que la comparaison immédiate, l’organisation d’audiences extraordinaires pour statuer les dossiers en matière pénale, sur l’action publique et réserver éventuellement les intérêts civils.

Nous sommes en train aussi de construire des maisons d’arrêt et de les rénover. Vous avez vu, nous avons récemment réceptionné la maison d’arrêt de Kénioroba qui est une délocalisation de la maison d’arrêt de Bamako qui a une capacité de plus de 2 500 places respectant les standards internationaux. Nous avons rénové plus de 30 maisons d’arrêt à l’intérieur du pays.

Dans le cadre de la Loi d’orientation et de programmation de la justice, il est prévu la construction de deux maisons d’arrêt chaque année et la construction de 5 tribunaux chaque année. Mais souvent les ressources manquent et nous n’arrivons pas à aller comme nous le souhaitons. Beaucoup de mesures sont en train d’être prises pour que cette surpopulation carcérale soit rapidement résorbée.

Dans le cadre de la lutte contre la corruption et la délinquance financière, d’aucuns estiment que cette lutte fait de la justice malienne une machine répressive contre les acteurs venant de la vie publique. Qu’est-ce que vous répondez ?

C’est juste une perception. En réalité, en matière de lutte contre la corruption comme dans toutes les autres matières, la justice va sur la base des faits. Nous ne nous intéressons pas en premier lieu aux personnes qui sont en cause. Très généralement, nous sommes saisis des faits, nous menons des investigations et c’est à la suite de ces investigations que des personnes sont identifiées. Les personnes identifiées, qu’elles aient été aux affaires ou pas, une fois qu’elles sont impliquées, nous sommes obligés de les interpeller.

Particulièrement, en matière de lutte contre la corruption, ce qu’il faut noter, c’est que cela concerne les détournements de deniers publics. Or le denier public n’est géré par tout le monde, il y a des personnes qui ont eu le privilège de conduire les affaires publiques à un moment donné, qui ont géré les deniers publics. Si les audits révèlent qu’il y a des écarts, c’est à eux que nous devons demander des comptes.

À quel rythme vous sortez ces dossiers et puisse que certains dossiers que vous évoquez datent d’un certain temps ?

Ce qu’il faut dire, c’est que nous sommes un peu tributaires des missions d’audit, de vérification et d’inspection. Les cas des saisines directes de la justice en matière de corruption ne sont pas très importants. Le gros lot vient du Bureau du vérificateur général qui fait un travail formidable, qui est en train d’améliorer de façon progressive la vérification au niveau des différents services. S’il y a quelques années, les vérifications portaient sur les exercices d’il y a quatre ans ou cinq ans, aujourd’hui, des efforts ont été faits pour rattraper le gap de telle sorte que, cette année, nous aurons le rapport 2021 qui porte sur des faits de 2019, 2020 et 2021. Déjà des efforts sont en train d’être faits. Il en est de même pour le Contrôle général des services publics qui est en train de faire un travail remarquable. Actuellement, ce service est en train de réaliser l’audit des projets, des programmes, des institutions de la République, des organismes personnalisés, des autorités indépendantes. Nous avons beaucoup de rapports d’audit à notre disposition.

Personne n’est ciblé parce qu’il est gênant ?

Pas du tout ! Nous essayons de traiter les dossiers dans l’ordre dans lequel ces dossiers arrivent. Maintenant, il y a certains dossiers qui évoluent beaucoup plus vite que d’autres. C’est dû au fait que les enquêtes sont très faciles dans certains dossiers parce que les personnes mises en cause coopèrent. Dans d’autres cas, les faits sont tellement clairs qu’il y a très peu d’investigation à mener.

Au contraire, dans d’autres cas, les faits sont tellement complexes qu’ils prennent plus de temps que d’autres. Nous faisons en sorte qu’il n’y ait pas de justice sélective. Nous essayons d’être objectif, d’être rigoureux et ce que je peux dire, tous les dossiers qui sont portés à notre niveau, plaise à Dieu connaîtront un traitement.

Récemment, vous avez évoqué un bilan de cette corruption et la délinquance financière. Et vous avez évoqué un montant de 4 milliards 200 millions Fcfa en termes de remboursement. Certains ont estimé que c’était tout simplement dérisoire. Qu’est-ce que vous répondez ?

Ce que je peux leur dire, c’est ce qui est au niveau des juridictions et principalement du Pôle économique et financier. Il se trouve que le Pôle économique et financier n’est pas une structure de recouvrement. C’est une structure de poursuite et d’enquête. Cette structure ne juge même pas et il y a un travail préliminaire qui est fait et le reste du travail est fait à d’autres niveaux. Maintenant, ces remboursements ont été générés par la lutte qui a été menée. Cela a poussé les gens à venir spontanément rembourser, mais au-delà il y a des décisions de justice qui ne sont rédigés à temps, il y a des pièces d’exécution qui ne sont pas établies à temps et il y a une absence de coordination entre les services des justices et les services du Trésors et de la Direction générale du contentieux de l’État. Aujourd’hui, nous sommes en train de corriger tout cela pour faire en sorte que les acteurs agissent en synergie.

Bâtiments publics, équipements militaires, avion présidentiel, biens mal acquis, les affaires qui ont défrayé la chronique. Alors, quelle est la situation aujourd’hui ?

Pour ce qui concerne la période de la Transition de juin 2021 à nos jours, il faut noter que nous avons pu organiser une session spéciale de la Cour d’assises au cours de laquelle 47 personnes ont été jugées dans le cadre de 18 dossiers. D’autres dossiers ont été jugés pendant la même période.

Les remboursements, rien que pour cette période, c’est de l’ordre de 1 milliard 500 millions de Fcfa. Les amendes prononcées sont au-delà de 630 millions de Fcfa et les dommages et intérêts sont à plus de 230 millions de Fcfa. Les cautions qui ont été versées dans le cadre de ces procédures, durant la période de la transition, c’est au-delà de 8 milliards de Fcfa sur les 15 milliards Fcfa qui ont été déclarés avant.

Dans le cadre de la session d’assises spéciales consacrées aux dossiers de violation des droits de l’homme et de crime organisé, à ce niveau il y a la traite des personnes, le blanchiment de capitaux et autres, il y a eu des condamnations sur le plan pécuniaire qui ont été prononcées. C’est pour vous dire que la lutte contre la corruption est en train d’évoluer. Dans le cadre de ces dossiers, qu’il s’agisse des dossiers du Bureau du vérificateur général et des autres structures de contrôle de vérification et d’inspection ; qu’il s’agisse des dossiers de la Loi d’orientation et de programmation militaire et de la Loi de la programmation du secteur de la sécurité ou d’autres dossiers, les choses sont en train d’évoluer. Il y a plus de 1200 personnes qui ont été auditionnées par la Brigade et ces chiffres ont entre-temps augmenté. Il y a quatre (4) dossiers qui ont pu être traités et transmis aux juridictions et qui sont en cours de traitement dans le cadre de la Loi d’orientation et de programmation militaire. Il s’agit du dossier de l’avion présidentiel, le dossier des équipements militaires, le dossier Paramount (Ndlr : une société sud-africaine de vente d’armes) et du dossier des pick-up. En ce moment, il y a 18 personnes qui sont sous-mandat de dépôt, cinq (5) mandats d’arrêt ont été décernés contre des hauts gradés de l’armée, contre des opérateurs économiques, des hauts cadres de l’administration et d’autres actions vont suivre dans le cadre de ces dossiers.

Par rapport aux dossiers des bâtiments publics bradés, à ce niveau, il faut dire qu’une première enquête avait été conduite qui avait abouti à un non-lieu. Sur la base d’éléments nouveaux, nous avons pris ces dossiers et l’enquête est en cours au niveau de la Brigade et les choses avancent à un rythme satisfaisant. Dans les prochaines semaines, nous devrons avoir ces dossiers devant un juge d’instruction pour évoluer.

Il faut noter que nous avons un dossier sur les fonds Covid-19 ou l’enquête est suffisamment avancée au niveau de la Brigade et dans les prochains jours, ces dossiers vont être transmis. Il y a aussi les dossiers de la zone aéroportuaire. Nous avons également pris ces dossiers qui sont au niveau de la finalisation et l’enquête va connaître aussi une évolution.

Transcrit par Mahamadou TRAORE

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