La 5e audience publique de la Commission vérité, justice et réconciliation (CVJR) a eu lieu samedi dernier (11 juin 2022) au Centre international des conférences de Bamako (CICB). Elle a permis à 12 victimes, dont 10 femmes (victimes de violences sexuelles) et 2 enfants (victimes de conflits), de témoigner de l’enfer qu’est devenue leur vie après avoir été victimes de violence sexuelle. Des témoignages glaçants mettant en évidence non seulement la volonté délibérée de détruire les victimes à vie, mais aussi l’insuffisance voire l’absence d’une prise en charge visant à atténuer les effets dévastateurs.
«Les femmes victimes de violences sexuelles et les enfants victimes de conflits». Tel était le thème de la 5e audience publique de la Commission vérité, justice et réconciliation (CVJR) ténue samedi dernier, 11 juin 2022. Elle a permis à 12 victimes, dont 10 femmes et 2 enfants, de témoigner de l’enfer qu’est devenue leur vie après avoir été victimes de violence sexuelle. Des témoignages effroyables, glaçants… indiquant jusqu’où un individu peut pousser la cruauté pour détruire son prochain.
Des vies brisées à jamais. A l’image de cette dame qui a été violée par 7 hommes devant son fils contraint d’assister à l’humiliante scène les yeux. «Depuis (il y a dix ans de cela), il ne m’a plus parlé et il n’a jamais mangé un repas préparé par les soins. J’ai dû supplier un frère pour qu’il le prenne chez lui. Et quand j’appelle au téléphone, il n’accepte pas toujours de me parler». Après leur crime, les violeurs se disant pourtant jihadistes ont dépouillé la famille de ses revenus et de tous ses précieux biens. Et dans la foulée, son mari est parti et depuis on n’a plus de ses nouvelles. Et son frère qui s’était mis à sa recherche a succombé à une crise de tension artérielle.
Aujourd’hui, cette pauvre dame porte la charge de six enfants, dont deux diabétiques. Pour survivre, abandonnée par sa famille et celle de son époux, elle a dû vendre son terrain afin d’entreprendre un petit commerce dans l’espoir de nourrir ses enfants. Avec le poids de charge et sans une autre source de revenus, elle a vite fait faillite. «Maintenant, je dois plus de 10 mois d’arriérés de location au propriétaire. Je souffre de tension et de diabète. Je peux passer 10 à 15 jours couchée incapable de payer mes ordonnances», a-t-elle témoigné dans un silence de cimetière. «J’aurais préféré qu’ils me tuent parce que ma vie est brisée à jamais. Je n’aurai même pas dû naître parce que ma vie n’a finalement servi à rien avec un mari dans la nature et un enfant qui ne veut même plus me sentir», a confessé la victime du viol utilisé ici comme arme de guerre et destruction de la personne.
Selon les psychologues, l’agression sexuelle dans l’enfance ou à l’âge adulte entraîne non seulement des conséquences chez les personnes qui en sont victimes, mais aussi auprès de leur entourage et de toute la société. Ainsi, représente-t-elle un problème de santé publique qui concerne toute la population. Les conséquences qui peuvent faire suite à une violence sexuelle sont multiples et peuvent perdurer tout au cours de la vie et se poursuivre à travers les générations avec des effets néfastes sur la santé, l’éducation, l’emploi, la criminalité et la condition économique non seulement des personnes qui en sont victimes, mais aussi de leurs familles, des communautés et des sociétés.
Par rapport à la santé sexuelle et physique, elle provoque des habitudes de vie à risque (tabagisme, usage d’alcool et de drogue), un mauvais état ou une mauvaise perception de la santé physique, l’invalidité professionnelle, des maladies et des douleurs chroniques, des comportements sexuels à risque (rapports sexuels non protégés, partenaires sexuels multiples…)…
Sur le plan psychologique, les victimes peuvent souffrir de problèmes de santé mentale (dépression, troubles de personnalité, troubles psychotiques, trouble panique…), de détresse psychologique, d’anxiété, d’automutilation, de tentatives de suicide… Et (sur le plan relationnel conjugal), les victimes perdent confiance en elles et aux autres. Elles sont aussi exposées à des difficultés d’attachement, à l’isolement, aux craintes de l’intimité, à l’insatisfaction conjugale, à la violence conjugale…
«Ces couches sont les plus touchées pendant les conflits… Il était important pour nous de leur consacrer une session de nos audiences publiques », a souligné M. Oumarou Sidibé, président de la CVJR, lors d’un point de presse animé le 9 juin dernier. Et cela d’autant plus que cette audience publique leur offrait l’occasion de partager «leur douleur» avec l’ensemble de la nation malienne.
Aujourd’hui, la nation est édifiée sur les crimes monstrueux dont ont été victimes ces femmes et ces enfants. Elle ne peut et ne doit pas rester indifférente à leur cri de détresse. «Nous avons déjà proposé au gouvernement une politique de réparation qui a été adoptée par le gouvernement. Un projet de loi sur la réparation est aujourd’hui sur la table du CNT», a rappelé M. Sidibé face à la presse. Et l’adoption de cette législation doit être une priorité absolue pour le parlement de la transition pour assurer les victimes qui commencent à perdre espoir.
«Nous appelons le président à tout faire, avant que son mandat ne finisse, pour que les victimes puissent bénéficier de la réparation et qu’elles soient mises dans leur droit», a souhaité Mme Haïdara, présidente de la coordination nationale des associations des déplacés et victimes de guerre du Mali, lors du point de presse de jeudi dernier. Sur 28 777 dépositions, plus de 18 000 ont été saisies, dont la majorité sont des femmes. Une agence de réparation et un centre pour la paix et l’unité nationale doivent remplacer la Commission afin de continuer sa mission.
Rappelons que les 3 premières audiences portaient sur les atteintes au droit à la liberté et au droit à la vie, et aux disparitions forcées. Quant à la 4e audience, elle a été consacrée aux trois précédentes. Des audiences jugées satisfaisantes par les responsables de la CVJR !