Le doute n’est plus permis. Les relations entre le premier ministre Choguel Maïga et le Conseil National de Transition (CNT) sont au plus bas ou, pour exprimer les choses sans détour, au bord de la rupture. La séance plénière de cet organe législatif, consacrée à l’examen et l’adoption du projet de loi électorale, tenue le 17 juin au CICB, en a apporté la preuve irréfragable.
Le document a certes été adopté à une très large majorité (115 pour, 3 contre et zéro abstention) mais il n’est plus le même que celui initialement élaboré par le gouvernement, après avoir subi 92 amendements présentés sur 86 feuillets normalisés et une myriade de corrections pour le mettre en adéquation avec la grammaire française. Toutes choses qui feront dire à la ministre déléguée auprès du Premier ministre chargée des réformes politiques et institutionnelles, Mme Fatoumata Sékou Dicko, que ni elle ni le gouvernement qu’elle représente ne se reconnaissent dans le texte adopté.
Le plus significatif de ces amendements est celui se rapportant au mode de désignation des membres du « Collège » devant diriger l’Autorité Indépendante de Gestion des Élections (AIGE). Au nombre de neuf selon la version gouvernementale, ils devaient être choisis par une commission de sept personnalités Indépendantes dont quatre par le Premier ministre et trois par le président du CNT. La version finale a porté le nombre des membres du « Collège » à quinze dont huit représentant les pouvoirs publics, quatre les partis politiques, trois la société civile. Sur le quota des pouvoirs publics, le président de la transition en désigne trois, le président du CNT deux, le premier ministre un, à égalité avec le président du Haut Conseil des Collectivités (HCC) et celui du Conseil Économique, Social et Culturel (CESC).
La charge de Nouhoum Sarr, l’un des animateurs du M5-RFP parmi les tout-premiers à avoir rallié les auteurs du coup d’Etat militaire du 18 août 2020, est illustrative du sombre dessein prêté à Choguel Maïga: » Nous avons nettoyé le projet de loi électorale de ses aspérités. La refondation se fera non pas autour d’un homme et de son clan mais autour des valeurs de la République » proclame-t-il. Ajoutant : « Les gens voulaient organiser des élections à Bacodjicoroni (ndlr: le quartier où réside le premier ministre) et proclamer les résultats sur les ondes. Nous avons stoppé cela et nous serons toujours là pour arrêter ce qu’il y a à arrêter et jouer notre rôle dans l’intérêt supérieur de la nation ». En termes plus explicites Choguel Maïga est accusé d’avoir voulu prendre sous son contrôle l’AIGE pour orienter les élections à venir dans le sens de ses intérêts personnels.
De son côté, Assarid ag Inbarcawane, gardien du temple parlementaire ( il y siège sans discontinuer depuis un quart de siècle) a tenu à lever toute équivoque dans la responsabilité du retard observé par rapport au vote du projet de loi électorale. Le CNT, à l’entendre, n’y est pour rien. Son président et ses membres ont toujours répondu en temps et en heure aux sollicitations du gouvernement y compris lorsqu’elles avaient un caractère prioritaire. Ils n’ont pas démérité et ne sauraient donc être traités de fossoyeurs de la nation.
Déjà, en avril dernier, la convocation sur un ton comminatoire du Premier ministre devant le CNT, suivie des nombreuses interpellations sur la faiblesse de son bilan et l’enlisement des discussions avec la CEDEAO pour la levée des sanctions avaient révélé un grave déficit de confiance de l’organe législatif dans l’exécutif. Au point que des observateurs avaient évoqué un possible congédiement du chef du gouvernement. Rien n’en a été et il s’en était même tiré avec les félicitations du colonel Malick Diaw. Cette fois-ci, celles-là ont été adressées exclusivement au président de la transition, colonel Assimi Goïta.
Ce revers supplémentaire, à la limite de l’humiliation, survient dans un contexte de fragilisation extrême de Choguel Maïga. Le M5-RFP, dont il reste le président du comité stratégique, se rétrécit de jour en jour comme une peau de chagrin. Après la CMAS de l’imam Mahmoud Dicko, qui a gelé sa participation dès l’effondrement de l’Etat IBK comme un château de cartes, toutes les composantes principales de la coalition l’ont quitté, les unes après les autres, ces dernières semaines : le MODEC de Konimba Sidibé, Espoir Malikura de Cheick Oumar Sissoko, le Front Africain pour la Solidarité et la Démocratie de Mohamed Ali Bathily, Anko Mali dron de Modibo Sidibé et Mme Sy Kadiatou Sow, entre autres leaders prestigieux.
Seuls restent l’URD qui fut un parti représentatif du vivant de Soumaïla Cissé, le CNID de Me Mountaga Tall et quelques groupes de jeunes qui ont juré fidélité à Choguel Maïga.