La polémique née de la mort en garde à vue de l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga par défaut de soins appropriés remet sur le tapis le cas des personnalités détenues préventivement depuis de longue date, alors qu’elles offrent des garanties de représentation. Elles ne cessent de clamer leur innocence, pourtant on ne se hâte pas de les juger, en même temps on leur refuse la liberté provisoire. Sont-elles les martyrs du prétendu Mali Kura ? La question fait tilt dans bien des esprits.
Incarcérés respectivement le 26 août et le 23 septembre 2021, Mme Bouaré Fily Sissoko, ex-ministre de l’Economie et des Finances, et Mahamadou Camara, ancien ministre de la Communication et de l’Economie numérique, sont soupçonnés dans les dossiers de “l’achat de l’avion présidentiel et d’équipements militaires”.
Dans son rapport 2013-2014, le Vérificateur général fait état de la disparition de plus de 153 milliards de Fcfa et la dilapidation de plus de 20 milliards de Fcfa dans l’achat de l’aéronef présidentiel et des équipements militaires. Les rapports d’enquête officiels établissent des surfacturations de 40 milliards de Fcfa.
L’ancien ministre des Affaires religieuses et du Culte, Thierno Amadou Oumar Hass Diallo, détenu à la Maison centrale de Bamako depuis le 31 décembre 2021, lui, a fait préalablement l’objet d’une dénonciation auprès de l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite (Oclei). Il s’agit d’enrichissement illicite d’un montant de de 300 millions de Fcfa à son encontre pour plus de 6 ans au poste de ministre de la République avec le département le plus pauvre. Et depuis, il cherche sa mise en liberté provisoire en vain. On sait bien que son état de santé ne lui permet pas d’être dans une telle détention. La question qui est aujourd’hui sur toutes les lèvres, c’est de savoir qui bloque cette mise en liberté ? Ces trois personnalités ont la particularité d’avoir été membres d’au moins un gouvernement du président Ibrahim Boubacar Kéïta, renversé par l’armée le 18 août 2020 à la suite de manifestations de rue consécutives à la contestation des résultats des élections législatives de mars-avril 2020. En un mot, ce sont trois personnalités maliennes de premier plan qui ont tout intérêt à participer à la manifestation de la vérité d’autant plus qu’elles disent ne rien se reprocher.
Pour avoir occupé d’honorables fonctions dans notre pays, les mis en cause méritent en effet un traitement digne de leur rang. Pourquoi alors ne pas leur accorder la liberté provisoire qui n’est nullement un acquittement définitif, mais juste une mesure d’assouplissement et d’altruisme à l’égard de gens qui ont donné tout leur soul à la construction de l’édifice national. Visiblement, la justice malienne ne voit pas les choses sous l’angle humaniste et boude les demandes de liberté provisoire à elle adressées par les prévenus.
Ce faisant, elle semble ne pas encore tirer les enseignements du cas Soumeylou Boubèye Maïga, décédé le 21 mars 2022 en détention dans une clinique de la place. Sans porter de gant, le parti et la famille biologique de l’ancien chef du gouvernement, ministre de la Défense et des Anciens combattants au moment de l’éclatement du scandale, évoquent un “assassinat” déguisé. Une pierre dans le jardin de la réconciliation des cœurs et des esprits claironnée sur tous les toits ? Ce qui est sûr, c’est qu’on pouvait faire l’économie de cette controverse si l’intéressé avait bénéficié de soins adéquats à la demande de ses médecins, une conclusion à laquelle d’ailleurs était parvenue aussi la contre-expertise sollicitée.
Prosaïquement, la liberté provisoire est une liberté sous conditions accordée à un inculpé, en attendant son jugement. La mesure est prise par ordonnance : une pièce judiciaire émanant soit de l’officier du ministère public, soit d’un juge statuant en matière de contrôle de la détention, soit d’un collège de juges statuant sur le fond. Et dire que dans beaucoup de cas similaires, la liberté provisoire est systématiquement accordée dans ce pays… Il faut vraiment secouer le cocotier.