Le «Che» avait-il réussi à convaincre le redoutable Fafré de la nécessité du changement pour sauver de la faillite la Malienne de l’Electricité Pour Tous (MEPT) ? Si ce dernier a fait semblant de jouer le jeu lors de leur entretien, le jeune cadre n’a pas tardé à découvrir que la partie était loin d’être gagnée.
Fafré avait effectivement joué le jeu pour ne pas se découvrir. Il était convaincu que la proposition de son DG était un piège. «Nous savons que ce département n’apporte rien quand tu fais honnêtement ton boulot. Même si la société vous verse une 1 million de francs Cfa comme prime mensuelle, cela ne peut jamais compenser ce qu’on peut économiser en faisant le deal avec les entreprises», se dit-il intérieurement. Il se dit alors que non seulement qu’il allait rester à son poste, mais qu’il allait aussi continuer à le gérer à sa guise. Il avait rendez-vous avec le DG dans deux semaines. «Encore faudrait-il qu’il soit à son poste et même en vie dans deux semaines», conclut-il son soliloque en jurant sur tous ses fétiches protecteurs.
Celui à qui il pouvait faire confiance dans ce genre de mission était sans doute «Samprin Djigui». Féticheur, caurimancien, géomancien… Djigui Djoba avait ajouté «Samprin» (foudre) à son nom parce qu’il se revendiquait fils de l’éclair. Il pouvait ôter la vie d’un homme à la vitesse de l’éclair. Il était connu, réputé et craint dans toute la contrée de «Djiguifa Fouga» (Les Falaises de l’espoir). Sa réputation a vite franchi les frontières du pays à cause de la Diaspora malienne dispersée aux quatre coins du monde.
Curieusement, il avait de plus en plus d’Occidentaux parmi sa clientèle, notamment des hommes politiques et des vedettes de la planète sport. Pour la discrétion liée à son travail, il s’était installé dans un hameau où il recevait sa clientèle. Samprin Djigui ne recevait que la nuit parce qu’il passait la journée entre ses champs, ses parcs d’animaux ou dans la forêt à la recherche de plantes rares pour ses clients.
Même situé loin de la ville, le hameau du Soma (féticheur) refusait du monde venu d’horizons divers avec souvent des grosses cylindrées de toutes les marques. Mais, la nuit du lundi au mardi était particulièrement réservée à des clients spéciaux comme Fafré.
Cette nuit, le devin ne reçut aucune visite à sa demande. Il savait que ce que son ami lui demandait exigeait une consultation minutieuse afin de trouver les offrandes sans aucune marge d’erreur. Cette nuit, comme s’ils étaient fatigués d’être invoqués pour Fafré, les esprits ont mis du temps à réagir. Il a fallu trois coqs rouges, quatre coqs blancs aux 100 crêtes, 3 béliers pour implorer leur clémence.
Au finish le soma entra en transe peu avant l’aube. Les esprits prirent possession de lui afin de lui indiquer la voie à suivre : pour neutraliser «Le Che» sans le tuer, il fallait immoler un jeune taureau albinos de trois ans. L’animal devrait être muselé et noyé dans le fleuve au clair de lune dans la nuit du mercredi au jeudi. Ce qui fut fait deux jours plus tard.
Après une semaine passée dans la forêt avec son protecteur, Fafré revint en ville assurer d’être rapidement débarrasser du jeune directeur dont les dernières décisions étaient pour lui une inacceptable humiliation.
«Le Che» commença à avoir des sensations étranges. Une fois au bureau, il ne parvenait plus à travailler. Il sentait une présence étrangère qui semblait contrôler son cerveau. Sur les conseils du courtisan Batio, il profita d’un week-end pour refaire son bureau du sol au plafond. Il fut sidéré par tout ce que ses prédécesseurs avaient enfouis dans le sol (ossements de volailles et de caprins, morceaux de canaris, amulettes…) pour se protéger et protéger leur fauteuil. Après quelques jours de répit, les forces du mal revinrent à la charge. Elles ne l’attendaient plus au bureau seulement, elles le harcelaient à la maison en l’empêchant de trouver le sommeil.
Il arrivait au bureau le lendemain dans un second état, le regard hagard et une bonne dose de nervosité. Il avalait les tasses de café les unes après les autres sans jamais pouvoir se défaire de cette somnolence. Devenu insomniaque, il entra dans une période de dépression qui n’était en réalité qu’un début de démence. Son médecin diagnostiqua un profond état de stress, d’anxiété sur fond de fatigue générale. Il lui conseilla deux semaines de repos durant lesquelles son état de santé ne cessa de se détériorer.
Finalement, sa famille parvint à le convaincre de retourner à Londres faire le bilan. Et curieusement, on ne découvrit rien d’anormal que ce stress et cette anxiété qui le consumait à petit feu. Batio avait finalement compris que son boss était sous l’emprise du maléfique Fafré. Il le pria de revenir sur sa décision de le remplacer pour recouvrer sa santé. Mais, le pauvre n’avait plus son esprit pris dans une spirale irréversible…