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Élaboration de la nouvelle constitution : Faut-il inscrire la Charte de Kurukanfuga dans la nouvelle constitution malienne ? -
Publié le mercredi 6 juillet 2022  |  Le National
Conférence
© aBamako.com par FS
Conférence de la TRIJEUD Mali sur la révision constitutionnelle
La TRIJEUD Mali a organisé le 20 Juin 2017, une conférence sur la révision constitutionnelle à l`intention des jeunes et femmes leaders à la Maison de la Presse.
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La question n’est pas nouvelle, mais elle est remise au cœur de l’actualité à la faveur du décret N° 2022-0394/PT-RM du 29 juin 2022 portant nomination des membres de la commission de rédaction de la nouvelle constitution. Certains milieux traditionnistes croient la mettre à nouveau au centre de la réflexion dans la perspective de laIVème République. Il y a onze ans, exactement en juillet 2011, la question avait fait l’objet d’une communication par Maître Amadou Tiéoulé Diarra, avocat et historien du droit, actuellement président du Comité Indépendant National de Sui-évaluation de la mise en œuvre des Recommandations des Assises Nationales de Refondation (CINSER-ANR), à la demande de l’Association Mali Kô. Nous la livrons in extenso à nos lecteurs.





Je remercie l’Association « Mali kô » du choix porté sur ma personne pour aborder, aujourd’hui, avec vous, le thème de la conférence intitulée « Quelle place pour la Charte de Kurukanfuga dans l’arsenal juridique du Mali ? » Je ne me dissimule pas qu’un pareil sujet peut amener à s’écarter du Centre d’Intérêt recherché tant il est vaste, même si son objet est limité. Il s’agit de la Charte. Il m’a semblé que je pouvais esquisser à grands traits la question ! Mais je me rends compte qu’il s’agit plutôt d’un essai que je me propose d’entreprendre dans un domaine qui n’est pas tellement ma spécialité, même si les cloisons entre les disciplines qui composent les sciences juridiques s’estompent dans les programmes établis au sein des Facultés de droit.

Prendre ‘’Kurukanfuga’’ pour domaine d’intervention peut paraître curieux, si je me réfère au programme et à l’exposé liminaire que vous avez bien voulu me faire parvenir. Je lis tantôt « la Chaarte de Kurukanfuga », tantôt « la Charte du Mandé » qui revient d’ailleurs quatre fois (4 fois). Et par suite, on mesure l’erreur de perspective, du moins les difficultés qu’il y a à aborder la question. Sans avoir pris part aux travaux du CARI, je n’ignore pas, en exploitant ces travaux, l’embarras que les experts auraient eu à choisir l’une ou l’autre Charte. Le sujet est : « Quelle place pour la Charte de Kurukan-fuga dans l’arsenal juridique malien ? » Ainsi, vous me demandez de traiter la question uniquement comme un problème de technique juridique dans le cadre des réformes naissantes. D’emblée, je vous signale la fragilité de mes arguments en faveur de l’incorporation de telle ou telle Charte dans le cadre des institutions constitutionnelles. Parce que : Tout d’abord, derrière le problème, il y a toute une question sociale ; ensuite, il nous amène à soulever ‘’une question occultée’’ ; enfin l’invocabilité de la Charte, sa valeur juridique, son contrôle juridictionnel et l’avenir de nos relations communautaires et internationales.

La référence à la Charte ou aux Chartes dans la constitution

Techniquement, elle est possible et ne soulève aucune difficulté majeure d’inscription. Il suffit de vouloir pour pouvoir. S’agissant de la place de la Charte, faut-il l’inscrire au préambule ou dans le corps de la constitution ? C’est un vieux débat en France, qui est tombé dans l’histoire institutionnelle ancienne. Il n’a qu’un intérêt historique. Je vous épargne de ces débats de chaire d’Université qui avaient opposé deux courants intellectuels en France. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel français a réglé les controverses. Et le débat est épuisé. C’est donc avec une grande assurance que je puis dire que les droits de l’homme inscrits au préambule ou dans le corps de la constitution, peu importe, au strict point de vue juridique, sa nature juridique ne change pas. Terre à terre pour les non juristes, le poisson, qu’il soit dans une rivière ou un fleuve,, il ne change pas d’appellation. Donc, les droits de l’homme, qu’ils figurent au préambule ou dans le corps de la constitution, ne changent pas de nature. En conclusion partielle sur ce, on peut retenir que techniquement, il n’y a aucun problème. Mais les questions techniques peuvent en cacher d’autres : celles sociales.

Plusieurs ordres de problèmes nous interpellent en abordant le sujet. Nous, juristes d’aujourd’hui, faisant de la loi la source essentielle du droit positif sans refuser à la coutume sa puissance créatrice de droit. De nos jours, nous réduisons le rôle de la coutume à régler quelques rares matières sociales (successions, foncier, etc.). Dans l’hypothèse de l’inscription de la Charte, quel serait l’intérêt de la distinction de la coutume comme source de droit de la loi ? Quelle sera sa place par rapport à la loi en termes de hiérarchie ? Puisqu’elle vient du peuple, peut-on la considérer comme un mode démocratique de création du droit ? Que dire des tendances, des courants profonds de la mentalité des groupes sociaux tels que les groupes qui hiérarchisent la société mandingue (cf. Charte de Kurukanfuga). Ces discriminations sont-elles positives ou négatives dans la mesure où des restrictions sont apportées à la liberté de l’homme ? Les coutumes ont traversé des siècles pour nous parvenir. Les coutumes anciennes sont fondées sur la tradition orale, souvent douteuse pour les habitués des procès. Comment les reconnaître aujourd’hui avec la disparition de la plupart des coutumes mandingues ? Si nous sommes conséquents avec nous-mêmes, faut-il ou nondresser une Carte coutumière traditionnelle ? Du seul pays manding ou de tous les pays qui composent le Mali ?

Une question occultée

Si on se réfère au préambule de la constitution du 25 février 1992, il y est écrit que « le peuple souverain du Mali…souscrit à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 et à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 27 juin 1981… » Ce qui laisse comprendre qu’autant nous nous ouvrons aux valeurs humanistes d’autres communautés avec lesquelles nous partageons certaines préoccupations, autant nous revendiquons notre passé traditionnel en matière de droit de l’homme. La Charte Africaine est une expression condensée des droits de l’homme. Il est évident que son inscription au préambule de la constitution de 1992 renvoie aux cultures africaines, notamment la Charte de Kurukanfuga. Dans lepréambule de la C.A.D.H.P., on peut lire : « Les Etats africains (…) tenant compte des vertus de leurs traditions historiques et des valeurs de civilisation africaine qui doivent inspirer et caractériser leurs réflexions sur la conception des droits de l’homme et des peuples…Fermement convaincus de leur devoir d’assurer la promotion et la protection des droits et libertés de l’homme et des Peuples, compte dûment tenu de l’importance primordiale traditionnellement attachée en Afrique à ces droits et libertés… » Certaines dispositions de la Charte assignent à l’Etat africain une mission plus poussée, à en croire les articles 17 et 18.

Article 17, al3 : « La promotion et la protection de la morale et des valeurs traditionnelles reconnues par la communauté constituent un devoir de l’Etat dans le cadre de la sauvegarde des droits de l’homme ».

Article 18 : « L’Etat a l’obligation d’assister la famille dans sa mission de gardienne de la morale et des traditions reconnues par la communauté ».

Les conséquences de l’inscription de la Charte africaine

Parmi les conséquences nombreuses, je n’en citerai que quelques-unes. D’abord la référence à la Charte Africaine qui est un traité, une convention fait désormais des coutumes et valeurs traditionnelles des droits conventionnels. La C.A.D.H.P. transforme leur nature. Logiquement, l’adoption de la Charte Africaine devrait conduire à la rédaction officielle des coutumes africaines, soit par région géographique ou culturelle, soit par communauté, soit même par pays ou Etat. Il n’en est rien ! La référence aux valeurs dites universelles a éclipsé la promotion et la formation du droit africain ! Les coutumes et les lois seraient-elles sur le même pied d’égalité ? Mieux, les coutumes étant reconnues par un traité auraient-elles plus de force que la loi ? Au contraire, ce sont les tendances novatrices qui s’exercent sur le droit africain si l’on consulte les différentes décisions de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (2 volumes à ce jour). Au mali, la littérature coutumière en matière des droits de l’homme est agressée par la justice malienne (exemple du pouvoir règlementaire traditionnel foncier des chefs traditionnels). Enfin, l’inscription de la Charte Africaine soulève la question des fondements et de la légitimité de l’Etat actuel. Le fondement constitutionnel de l’Etat actuel est le suffrage universel. Quelle place pour les légitimités traditionnelles ? Plusieurs dispositions de la Charte Africaine (art. 17 ; art.21, al1-2-3 et art.22, al1) traduisent la volonté de dépassement d’une conception strictement individualiste des droits de l’homme (« protection et promotion de la morale et des valeurs traditionnelles reconnues par la communauté »). Or, l’Afrique est engagée dans certaines organisations sous régionales comme l’UEMOA sur le terrain de l’économie de marché !

L’invocabilité de la Charte, le contrôle juridictionnel et l’avenir de nos relations internationales

Si on admet le principe de la rédaction des coutumes, cela veut dire qu’on les rend certaines, donc on n’a pas besoin d’en faire la preuve. Quelle sera donc l’autorité du texte officiel invoqué devant les juges ? Les juges de tous les ordres, à savoir judiciaire, administratif, constitutionnel, sont-ils tenus de conformer leurs jugements au texte officiel de la coutume promulgué ? Je m’interroge sur le point de savoir s’il est possible d’alléguer des règles contraires à celles qui sont répertoriées et inscrites. Et quand la coutume change de caractère, doit-on la reformer officiellement ou en laisser l’initiative au juge ? La Charte est intitulée « Charte du Mandé » ou de « Kurukanfuga ». Peu importe. Or, le Mali est vaste et pluriel. Nous sommes héritiers des anciens territoires de Ouagadou, du Songhaï, de l’Azawad, etc. Faut-il alors élaborer un droit commun coutumier ? Lequel ? Ou en laisser la formulation par les tribunaux ? A qui revient le pouvoir d’effacer les divergences coutumières ? Les Conseils communaux ? De cercles ? Les tribunaux judiciaires ou administratifs ?

Quel serait le rôle de la Cour constitutionnelle ?

Voyez-vous l’ampleur des incertitudes et des questions qui planent et qui font trembler ! D’une part, les exigences de la légalité républicaine, d’autre part la volonté de s’inspirer de nos ancêtres. Quelle serait la compatibilité entre nos règles constitutionnelles maliennes et certaines règles communautaires comme par exemple l’article 6 du Traité révisé en 2003 de l’UEMOA : « Les actes arrêtés par les organes de l’Union pour la réalisation des objectifs du présent traité et conformément aux règles et procédures instituées par celui-ci, sont appliquées dans chaque Etat membre nonobstant toute législation nationale contraire, antérieure ou postérieure ». Est-ce une esquisse ou un essai ? Voilà !

Maître Amadou T. Diarra, avocat, Historien du droit

Source : Le National
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