Il est l’un des plus grands musiciens du Mali et considéré comme un maître par de nombreux artistes comme Ali Farka Touré dont il fut le mentor à ses débuts… Prodige de la flûte, il est une icône de la modernisation de la musique du terroir, de la musique traditionnelle malienne. L’emblématique père-fondateur du célèbre «Kanaga de Mopti» n’est plus. En effet, Sory Bamba s’est éteint samedi dernier (23 juillet 2022) dans la Venise malienne à l’âge de 86 ans, a annoncé sa famille. Et depuis l’annonce de cette disparition, le deuil s’est emparé des réseaux sociaux où de vibrants hommages lui sont rendus dans le pays et à l’extérieur. Le Mali vient ainsi de perdre celui qui restera à jamais comme l’un de ses grands musiciens de tous les temps.
«Porry» (1977), «Yayoroba» (1977), «Kanaga» (1978), «Du Mali» (2016)… Des chefs d’œuvres léguées à la postérité avec les empreintes magistrales et éternelles d’un monstre sacré, un musicien hors pair : Sory Bamba ! Le maestro a tiré sa révérence le samedi 23 juillet 2022 à l’âge de 86 ans à Mopti, son éternel fief.
Modernisateur de la musique du terroir mopticien (peul, dogon, bozo…) toujours en quête de jeunes talents à lancer dans le grand bain, l’illustre Sory Bamba aurait pu devenir une star de la scène africaine voire mondiale à l’image de feu Ali Farka Touré, Boubacar Traoré dit «Kar-Kar», Djélimady Tounkara, Salif Kéita, Cheick Tidiane Seck… Mais, trop modeste et philanthrope, il a toujours préféré consacrer son immense talent à la révélation des jeunes talents comme feu Ali Farka Touré, Koko Dembélé…
«Son rôle était de trouver des jeunes talents, il partait souvent en brousse pour les débusquer», a confié son fils, Bamoussa Bamba, à des confrères européens. Né le 20 mars 1938 dans la Venise malienne (Mopti), cette icône de la modernisation de la musique traditionnelle malienne a eu une enfance baignée dans les cultures peulh, dogon, bozo… et consacrée aussi à l’école coranique.
«C’est l’un des plus grands musiciens du Mali», reconnaissait le «Black Bouddha» Cheick Tidiane Seck dans un documentaire consacré à l’illustre talent disparu. «Sory Bamba, ce n’est pas quelqu’un qui se met en avant. C’est rare de voir des musiciens de cette envergure avec tant d’humilité et une telle volonté de toujours chercher la vraie musique, pas celle qui vend», avait ajouté la star du showbiz mondial. Pour Sory Bamba, la musique est l’expression sacrée d’une culture, d’une conviction.
Et pour rien au monde, les considérations commerciales ne pouvaient le pousser à pervertir son atypique style forgé par une profonde conviction artistique et spirituelle. «La musique c’est tout. Sans la musique, c’est fini, il n’y a plus rien. Et, en la matière, il reste tellement de choses à faire», a-t-il confessé lors d’un entretien avec la presse étrangère.
Remis sur la trajectoire d’un destin exceptionnel par le don d’une flûte
Selon ses nombreux témoignages dans les médias, tout a commencé à la fin des années 1940, quand un ami lui offre une flûte à six trous. Un cadeau qui va replacer le petit talibé sur la trajectoire de son destin. Ainsi, en 1957, il va créer son premier groupe qui va vite acquérir une grande popularité dans les cercles juvéniles de la Venise malienne : «Group Goumbe». Par la suite, le virtuose a réussi à former deux collectifs primés, précisément le «Bani Jazz» et, plus tard, «Le Kanaga de Mopti» ! Un groupe que les critiques vont vite surnommer le «Pink Floyd malien».
Kanaga ! Un nom symbolique puisque c’est celui d’un masque de cérémonie qui évoque «Amma» (Dieu créateur) chez le peuple dogon. Un choix qui symbolise déjà son attachement indéfectible à son terroir, à la promotion de la musique traditionnelle à travers des arrangements avec des instruments modernes. Fait unique, Sory Bamba n’a pas eu du mal à obtenir l’aval des sages dogons pour jouer la musique des cérémonies dogons plus tard.
La formation va vite devenir célèbre et s’imposer en mêlant à la musique du terroir local des orchestrations latino, jazz, funk, folk, blues… Et pour conforter sa popularité précoce, Sory s’est investi sans préjugés dans la recherche de jeunes talents. Après l’indépendance de 1960, le Kanaga va ainsi acquérir une notoriété au plan national grâce à ses brillantes participations aux biennales artistiques et culturelles dont il remporte le premier prix des orchestres en 1978.
Par la suite, le prodige de la Venise malienne a tenté sa chance en solo en Côte d’Ivoire, puis en France. Il sort des «33 tours», dont son album référence «Du Mali», à la fin des années 1970. En 2010, au détour d’un concert parisien, «Universal» lui propose un contrat et un album à 72 ans. Malheureusement, «Dogon Blues» n’aura pas non plus le succès escompté. Ce qui va pousser l’iconoclaste artiste, qui vivait alors en France, à rentrer au bercail afin de mieux se consacrer à ce qui l’a toujours passionné : la découverte et l’encadrement de jeunes talents !
Un «Maître» qui se nourrissait de la philosophie d’Amadou Hampâté Bâ
Auteur compositeur, interprète et musicien multi-instrumentiste, Sory Bamba a été et restera à jamais le «Maître» pour la majeure partie des musiciens maliens. «Je ne peux pas me vendre. Je ne veux rien demander à personne et c’est ça mon défaut», a-t-il souvent confessé. L’ambition, pour lui, s’est toujours située uniquement dans la qualité du travail effectué. Il avait en effet axé sa vie sur ses convictions et le travail comme lui avait enseigné son ami, le regretté Amadou Hampâté Bâ.
«Le jour où tu vas sentir que tu es le meilleur, tu n’avanceras plus. Il faut travailler, toujours travailler», lui a conseillé ce dernier. Malheureusement, la nouvelle génération des artistes maliens a vite cédé à la facilité. Mais, au moins, ils ne pourront pas avoir le courage de dire qu’ils tiennent cela de leur «Maître» et «Grand-père» Sory Bamba.
Le baobab s’est couché en les privant de sa douce et protectrice ombre. Mais, au moins ils pourront se consoler avec le fabuleux héritage qu’il leur laisse en termes non seulement de musique, mais aussi de valeurs.