Depuis le 24 février, la Russie est entrée en guerre contre l’Ukraine. Les pays occidentaux conduits par les USA soutiennent Kiev alors que la majorité des pays émergents : Chine, Inde, Brésil, Pakistan, Iran ; les pays arabes et la majorité des pays asiatiques et sud-américains, si elles ne soutiennent pas la Russie, gardent la neutralité. Ce conflit a d’énormes conséquences sur l’économie mondiale. Puisqu’elle a fait renchérir les hydrocarbures sur tous les continents causant la récession économique. Quelles leçons retenir pour le Monde et l’Afrique?
Au prime abord, il est important de rappeler quelques faits, avant de savoir les mobiles réels de la guerre qui oppose deux Etats qui appartenaient à une époque pas si longtemps, à une même entité territoriale, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS), créée sous Lénine, le 30 décembre 1922. Elle était constituée de quinze Républiques dont la Russie et l’Ukraine. En 1989, c’est l’effondrement des démocraties populaires en Europe de l’Est, suite à la chute du mur de Berlin : le 9 novembre 1989. Il y est à l’origine de l’aspiration des peuples, à plus de liberté, de démocratie et du multipartisme, portés comme valeurs universelles, par les USA et les pays occidentaux.
Affaiblie par les bouleversements intervenus dans cette partie de l’Europe et par les difficultés politico-économiques internes des années 80, l’URSS à son tour, s’effondre le 25 décembre 1991. Ce qui aboutit à l’indépendance des Etats baltes, de l’Asie Centrale, de la Fédération de Russie et de l’Ukraine, principal grenier agricole de l’ex-URSS. Malgré cet empiètement, la Fédération de Russie reste une grande puissance économique avec une production de 80 millions de tonnes de blé en 2021, soit 20% des exportations mondiales ; une céréale stratégique dont elle se sert comme une redoutable arme de guerre, de même que le pétrole et le gaz dont elle est le premier distributeur en Europe. Quand la Russie s’en rhume, c’est toute l’économie européenne qui tousse.
C’est dans ce contexte de remembrement de l’URSS, que Mikhaïl Gorbatchev démissionne de ses fonctions de président le 25 décembre 1991. Il est aussi important de noter que, de 1947 au début des années 1970, le monde a connu la domination et la rivalité de l’URSS et des USA qui ont bouleversé l’ordre géopolitique mondial. C’est la période de la guerre froide (ou bipolarisation) du monde, marquée par de fortes tensions entre ces deux superpuissances.
D’une part, les américains défendant les valeurs de la démocratie et de l’économie libérale et forment avec leurs alliés occidentaux, des alliances politico-militaires dans le cadre de l’Organisation du Traité Nord Atlantique (OTAN), créée en 1949, pour sauvegarder la liberté et la sécurité de ses membres. D’autre part, l’URSS et ses alliés de l’Europe de l’Est, s’organisent autour du socialisme. A l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 1999, ensuite élu en 2008, puis réélu en 2018, les contradictions entre russes et américains continueront et se sont intensifiées davantage ces dernières décennies, laissant peu de chance au dialogue comme au temps de la guerre froide. Désormais, plus rien ne se passe dans le monde sans que ces superpuissances ne s’y mêlent. Depuis plus de vingt ans, la Fédération de Russie, puissance militaire en pleine effervescence, tente de reconstruire son empire effondré en 1991.
La guerre Russie-Ukraine, comment en est-on arrivé là ?
Enclenchée le 24 février 2022, la guerre russo-ukrainienne a des origines profondes. Tout débute entre le 21 novembre 2013 et le 22 février 2014, lorsqu’en Ukraine, des manifestants s’opposent violemment à la décision du président ukrainien Viktor Ianoukovitch, de suspendre l’Accord d’Association entre l’Ukraine et l’UE (Union Européenne). Ces manifestations gagnent en intensité, obligeant Ianoukovitch à s’exiler en Russie et remplacé par intérim, par Oleksandr Tourtchynov que la Russie qualifie de président illégitime. Le 23 février 2014, des manifestations orchestrées par des pro-russes, éclatent à Sébastopol, en Crimée.
Le 27 février 2014, les forces d’auto-défense aidées par les troupes russes, occupent la Crimée, puis proclament l’indépendance de celle-ci, à l’issue d’un référendum. Face à cette annexion, les occidentaux et leurs alliés haussent le ton et menacent d’intervenir. En 2014, Petro Porochenko est élu président de l’Ukraine. Il était partisan d’une ligne dure face à la Russie. Il finit par rompre quasiment avec elle, toutes relations durant son quinquennat, en raison de l’affaire Crimée.
L’arrivée au pouvoir de Volodymyr Zelensky le 21 avril 2019, favorise un semblant retour à la normale entre les deux rivaux. En mars 2022, Zelensky dit être disposé à discuter avec Poutine afin de rétablir l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Il réclame entre autres, un cessez-le-feu immédiat et un retrait des troupes russes, ainsi qu’une reconnaissance par la Russie, l’autonomie de la Crimée et du Donbass. En retour, il promet de renoncer l’entrée de son pays à l’OTAN. Mais la négociation tourne malheureusement à l’échec.
C’est dans ce contexte de tenions permanentes, que les alliés pyromanes ont poussé Zelensky à défier Poutine en l’encourageant à récupérer par la force, ses territoires annexés. Mais les raisons de plus qui auraient provoqué la colère de Poutine, sont le non-respect par l’Ukraine, des accords de Minsk censés mettre fin au conflit entre l’Ukraine et les séparatistes pro-russes à propos de Donbass et l’orgueil de Zelensky à adhérer à l’OTAN. Cette provocation de trop, amène la Russie à envahir l’Ukraine le 24 février 2022.
Depuis, l’Ukraine est soumise à d’intenses bombardements russes, entrainant la destruction de nombreuses villes et des infrastructures, tuant des milliers de personnes et enregistrant chaque jour, des blessés, des disparus et des réfugiés. En plus, la Russie impose un blocus économique à l’Ukraine endolorie et humiliée, qui n’arrive plus à exporter ses millions de tonnes de blé et d’engrais entassés dans ses ports d’Odessa et de Marioupol, transformés en un enfer sur terre. Pendant ce temps, les alliés de l’Ukraine restés loin des champs de bataille, se contentent de lui apporter armes, munitions et monnaies, et tentent d’isoler la Russie aux plans diplomatique, économique et financier. L’intention ainsi voulue, n’a pas fonctionné.
Comme si tout cela ne suffisait pas, Zelensky décide d’intégrer à l’UE, pendant que la Russie occupe plus de 20% de son territoire et dit n’avoir pas encore commencé les choses sérieuses en Ukraine. Entre négociations et poursuite de la guerre, Zelensky choisit une posture inconciliable, comptant sur l’intervention militaire directe de ses alliés. Au même moment, le président français Emmanuel Macron et le Chancelier allemand Olaf Scholz, appellent Poutine et Zelensky, à des négociations directes et sérieuses pour mettre fin à leurs hostilités. Alors que plutôt, Macron président en exercice de l’UE, avait préconisé la riposte commune contre la Russie. Et la guerre continue de faire rage en Ukraine, devant l’indifférence notoire des alliés.
Les leçons qu’on retient de la guerre Russie-Ukraine
La guerre entre la Russie et l’Ukraine a permis de comprendre les limites de l’économie mondiale exsangue. Aussi, l’économie libérale, instrument de prédation et de domination aux mains des occidentaux et des USA, cesse d’être l’unique modèle économique. La monnaie européenne l’euro, chute au plus bas de son taux face au dollar américain. L’Europe et le reste du monde sont paralysés par les pénuries de blé et d’hydrocarbures.
Cette guerre a également montré la dépendance et la vulnérabilité de l’économie africaine avec des risques importants de baisses de productions agricoles, faute d’engrais et de semences importés de Russie et d’Ukraine. Le spectre d’une catastrophe alimentaire plane sur le continent. C’est dans ce contexte que Macky Sall, président en exercice de l’Union Africaine (UA), s’invite en Russie et rencontre Poutine à Sochi le 03 juin 2022. Il lui demande à faire cesser les hostilités et à lever le blocus sur le blé et les engrais ukrainiens afin de permettre un ravitaillement sécurisé, à l’Europe et à l’Afrique, ces matières hautement stratégiques.
Malgré cette volonté, Macky Sall fut l’objet de vives critiques par certains observateurs qui le qualifient d’hypocrite. Pour ces derniers, son voyage en sens unique aura donné l’impression de présenter Poutine comme le problème et Zelensky la solution. Au même moment, le Mali était le grand oublié, quand bien même, le pays faisait face depuis plus de six mois, à un embargo de la CEDEAO, avec des conséquences fâcheuses comme la flambée des prix et l’inflation, aggravées par la guerre en Ukraine. N’est-ce pas là aussi, une hypocrisie du président Sall ?
Les relations internationales ont elles aussi pris un sérieux coup, incapables d’anticiper et de régler les nombreuses crises dans le monde. Nous assistons dès lors, à une diplomatie de l’orgueil et de l’arrogance outrancière d’une communauté internationale qui a perdu toute sa crédibilité. L’OTAN et alliés à la fois, pyromanes et sapeurs-pompiers, préfèrent les sanctions économiques et financières, qu’aux négociations avec la Russie. C’est ainsi qu’à peine signé le 22 juillet 2022 à Istanbul (Turquie), l’accord entre russes et ukrainiens, est violé dès le lendemain, par les missiles russes ciblant le port d’Odessa, Poutine ne croyant pas à la sincérité de Zelensky. L’euphorie ainsi créée chez les dirigeants africains d’y voir résolue, la question des exportations du blé et de l’engrais ukrainiens, s’est vite estompée.
En résumé, on retiendra que la guerre russo-ukrainienne a changé la nature des relations entre pays du monde qu’elle a déséquilibrés. Un nouvel ordre qualifié de « nouvelle guerre froide », s’est imposé avec un possible redessinement de la carte géo politico-stratégique du monde dans les prochaines décennies.
Dr. Allaye GARANGO, enseignant chercheur – Ensup /Bamako (Mali)