Qui était Wa Kamissoko dit Wa djan de Krina ou le « génie Koma » des griots, Djalilou la koma ?
«Quand j’ai, pour la première fois, rencontré Wa Kamissoko avec Germaine Dieterlin qui m’avait beaucoup parlé de lui, il m’est apparu comme un homme extraordinaire. Il était de tous les traditionnistes que j’avais rencontrés, celui qui avec un aplomb, considérable déclarait « Ceci s’est passé il y a 1256 ans 4 mois et 3 jours ». Au début, j’ai pensé que c’était là une fioriture de griot », mais très rapidement, je me suis aperçu qu’il avait réellement cette connaissance précise et cela, grâce à un entrainement de la mémoire et une initiation aux différents systèmes de « comput du temps » qu’utilisent les griots de Krina. Cette découverte des systèmes calendaires de Krina fut une révélation qui, pour moi remettait en question la recherche en histoire. » Témoigne ainsi l’historien Jean Rouch, l’auteur de la préface du précieux ouvrage « La geste de Soundiata » coécrit par Wa Kamissoko et Youssouf Tata Cissé.
Dans le milieu des griots, Wa Kamissoko a eu une si grande renommée que très tôt, il devint ce que ses pairs appellent Djalilou la Koma ou le « génie » des griots, c’est-à-dire un nwara « un maître du verbe ». Et c’est cet homme que le Pr Youssouf Tata Cissé convainquit, comme il put, de la nécessité de léguer ses immenses connaissances aux enfants du Mali et à la science. Ce qu’il fit de bon cœur. Wa Kamissoko fut surtout très fier de l’intérêt suscité par la valeur de ses récits (historique, mythique, légendaire) et les lumières que ces derniers apportaient à l’histoire du Mali.
Le mot Djali constituait à ses yeux le plus beau titre que le Mandé ait donné à un groupe socioprofessionnel, car il signifie disait-il : « savoir l’accepter quoiqu’il en coûte, savoir dire la vérité partout et à tous, amener les hommes à œuvrer dans l’honneur et la dignité, dire les choses anciennes, autrement dit l’histoire, chanter les hauts faits des braves et des justes, dénoncer les tares des voleurs et des vauriens, amuser le public en faisant de la musique en chantant et en dansant, célébrer les fêtes et les cérémonies. Le célèbre griot Wa Kamissoko disait aussi à qui voulait l’entendre, qu’il ne saurait narrer sa parole qu’à trois catégories de personnes.
Les nobles qui se connaissent et qui, par conséquent restent fidèles à la fassiya, c’est-à-dire aux manières ancestrales d’être, de faire et de penser.
Les yèrè Wolo, les « gens bien nés » et cela, quelle que soit leur richesse qui comprenaient le sens de ce qui se disait. Les dignitaires malinkés qui savaient mettre dans sa parole le prix qu’elle méritait et il ne réchignait pas à aller prononcer les oraisons funèbres des patriarches malinkés et même bambaras de moralité irréprochable. Il était surtout convaincu que les vrais fossoyeurs des valeurs du Mandé ne sont pas ceux à qui l’on pense, mais les malinkés eux-mêmes, car l’oubli de soi, de ses origines, de ses qualités et de sa dignité conduit aux pires reniements. C’est cela qui est mortel pour un peuple et c’est ce que je crains le plus pour mon pays. »
B. CAMARA, journaliste, Chercheur
Et « Wadjan » devint « Mandjou »
Cette chanson-culte « Wadjan » qui a connu un succès retentissant a été pour la première fois composée par la propre mère de l’illustre disparu, mort dans la fleur de l’âge et dans les conditions demeurées toujours obscures. Mais nous sommes au Mandé ou « dame silence » continue d’ensevelir plein de choses de ses larges secrets. Admis dans l’un des plus grands hôpitaux français de l’époque, l’hôpital Pitié Salpêtrière, il fut diagnostiqué par les spécialistes de ce puissant centre parisien d’un « cancer d’origine inconnu ».Rentré au pays, très affaibli, mais digne dans la douleur, il se rendit ensuite dans un petit village animiste proche de Siguiri (Guinée) à Dangakoroni, où il rendit l’âme quelques semaines plus tard. Son corps fut ensuite rapatrié dans son village natal de Krina pour être inhumé au cours de grandioses funérailles dignes de son rang, de son prestige de griot et que ses confrères surnommèrent « Djelila Koma » le Koma des griots, à cause de son immense savoir comparable à l’eau d’un abysse pur et profond. La mère de Wa Kamissoko connue sous le nom de N’Koro Koumannian Soumano, était une compositrice au talent hors-pair, connue et appréciée dans tous les villages de la région. Dans cette chanson, la mère éplorée, mais animée d’une grande foi en Dieu, chante « Wadjan » son fils prodige qui eut très tôt un goût prononcé pour la Djaliya « le savoir dire et le savoir faire des griots » et qu’il maitrisa rapidement. Wa Kamissoko a été, à dix-neuf ans, reconnu digne de porter le titre de nwara, ou griot de talent. On dit aussi qu’il était si fort et si résistant qu’il devint un Tjiwara « fauve », champion de labour de son canton. La même chanson fut ensuite chantée par sa petite-fille, la grande cantatrice Amy Koïta, native de Djoliba (village voisin de Krina) et nièce de Wa, puisqu’elle est la fille de sa sœur cadette. Le grand musicien Salif Keita s’en est inspiré pour composer sa non moins célèbre chanson « Mandjou» en l’honneur au président Ahmed Sekou Touré, père de l’indépendance guinéenne.