Dans un contexte de grave crise que le pays connait depuis 2012, l’Assemblée nationale du Mali a voté la Loi d’orientation et de programmation militaire (Lopm). L’objectif était de doter le pays d’une armée équipée et mettre à sa disposition des équipements adaptés aux besoins de sécurité et capable de défendre l’intégrité du territoire. Depuis 2014 des forts soupçons de détournements planent dans de nombreux dossiers. Suite à un récent rebondissement, un mandat d’arrêt a été décerné contre des hommes politiques en fonction sous IBK. S’agit-il d’un dossier politique ou judiciaire ?
L’ancien président de la République du Mali, feu Ibrahim Boubacar Kéita, s’est engagé, après son accession à la Magistrature suprême à faire de l’armée malienne la plus enviée de la sous-région. L’on n’avait pas besoin de porter des jumelles pour le voir. C’est dans cette logique de défense du pays que la Loi d’orientation et de programmation militaire a été votée par le Parlement d’alors. Mais la montagne a accouché d’une petite souris avec la multiplication des scandales dénoncés à l’époque par l’opposition dont le Président du Parena Tieble Drame et feu Soumaila Cissé Président de l’URD .Des détournements de fonds ont certainement eu raison de l’esprit de cette loi. Le rapport publié par le Bureau du Vérificateur général en est la preuve palpable. Qu’est-il du dossier qui a fait l’actualité la semaine dernière avec la sortie du communiqué de la Cour Suprême ?
En effet,vers fin 2015, le ministère de la Défense et des Anciens combattants, après validation du Conseil supérieur de la défense nationale a transmis sous le sceau secret défense et avec la mention Extrême Urgence, Un contrat d’équipements au ministère de l’Économie et des Finances pour approbation comme le prévoit la règlementation des finances publiques en vigueur, en vue d’honorer les engagements financiers au titre de l’État du Mali », explique la note relative à l’opération de fourniture de matériels et équipements militaires en faveur des FAMa objet du contrat Paramount.
Nos sources précisent que le ministère de l’Économie et des Finances avait comme obligation de s’assurer que les acquisitions du contrat Paramount entrent dans le cadre de la Lopm de par l’objet de l’opération et que des dotations budgétaires seraient disponibles pour permettre sa faisabilité, d’approuver le contrat soumis après signature du ministère de la Défense et faciliter sa concrétisation pour aider le renforcement des capacités des FAMa dans les meilleurs délais.
Il s’agissait aussi, selon le document, d’honorer le paiement de l’avance (20%) contre caution bancaire (référence 152552 BMS 9/11/ 2015) soit environ 11 893 493,80 USD sur un compte séquestre domicilié à la BMS comme le prévoit le contrat, de régler le reliquat du contrat après l’avance de démarrage conformément aux clauses contractuelles validées par le Mdnac soit en dollars 17 840 240,70 au 1er avril 2016, plus de 17 840 240,70 au 12 mars 2017, plus de 11 893 493,80 au 1er mars 2018.
Le ministère des finances devrait aussi s’assurer du respect de la forme de la condition suspensive (art 5.11 du contrat) relative à la livraison de billets à ordre correspondants aux échéances suscitées tel que prévu par le contrat en harmonie avec la loi uniforme n°97-021 du 14 mars 1997 portant sur les instruments de paiement au Mali.
« En la matière, le département de l’Économie et des Finances n’a à aucun moment été associé aux sollicitations du groupe Paramount de quelque nature que ce soit », martèle notre source. En outre, le ministre Mamadou Igor Diarra n’a jamais participé à un Conseil supérieur de Défense nationale pendant toute sa durée de présence d’un an au gouvernement en 2015.
L’on se rappelle, la Tribune officielle du dernier défilé militaire, le 20 janvier 2020, à la garnison de Kati sous le regard du défunt Président IBK et des chefs militaires étoilés, avait été honorée par le passage exceptionnel de 8 blindés et non en cartons, de fabrication sud-africaine de la marque Marauder, mondialement connue comme engin redoutable des théâtres de guerre et de conflits. Ce jour-là, les commentateurs de l’armée et de l’Ortm ne tarissaient pas d’éloges pour ces nouveaux matériels.
En réalité, L’acquisition de ces matériels s’est réalisée à la faveur de la signature d’un accord de crédit fournisseur en octobre 2015 entre le département de la Défense, autorité contractante et le Groupe sud-africain Paramount d’un montant de 35 milliards de FCFA portant sur la fourniture de 35 engins blindés dont une livraison partielle est intervenue presque 4 ans après la signature du marché initial qui remonte bien à la fin de l’année 2015 lorsque le Conseil restreint de la Défense nationale a validé ce choix stratégique de renforcement des capacités pour combattre l’insécurité et les groupes armés terroristes.
Que s’est-il donc passé pour que de tous les dossiers de la Lopm c’est celui de Paramount qui refait surface et donne lieu à des mandats d’arrêt internationaux ? Dossier politique ou vraiment judiciaire ? Il est difficile de croire à une simple montée en puissance de l’arsenal judiciaire soudainement. Car déjà, la justice est embourbée dans de nombreuses procédures et au vu de la qualité de la brochette d’hommes politiques et d’anciens banquiers ciblés par ces mandats.
En effet, Babaly Bah, ancien PDG de la BMS au moment des faits, n’est pas supposé être dans le dispositif décisionnel de l’administration militaire ou financière du Mali et dans lequel les procédures de passation des marchés comme celles des paiements est régie par des textes et fait intervenir les directions de finances et du matériel, la direction des marchés publics et des services publics, le contrôle financier, la direction du Budget et enfin celle du Trésor sans lesquels aucun paiement ne peut intervenir dans notre pays.
Le hic est que sur le cas des trois anciens membres du gouvernement cités, on a voulu faire d’une pierre, 3 coups. Mamadou Igor Diarra a effectivement été en fonction au département des Finances, de janvier 2015 à janvier 2016, soit un an de gestion. Pourtant ce dossier initié en fin 2015 a été effectivement géré bien au-delà de sa présence au gouvernement. Il s’est étalé sur 4 ans, de 2016 jusqu’à 2020. C’est la date de la première livraison des équipements. Les Maliens se souviennent de son départ fracassant du gouvernement d’IBK, critiquant le régime bien avant le M5 RFP. Il est donc difficile de comprendre que ce dernier puisse se trouver en complicité avec les derniers représentants du régime qu’il a dénoncés publiquement.
On ne peut pas ignorer aussi que Mamadou Igor Diarra est une personnalité bien connue aux niveaux national et international. Faut-il le rappeler, il a déjà été candidat à la dernière élection présidentielle de 2018. Avec sa position de vice-président de l’URD, il fait partie des valeureux candidats à la prochaine présidentielle prévue pour 2024. Après son départ du gouvernement d’IBK, il a su rester discret. Il n’a jamais été vu quelque part en train de vilipender qui que ce soit dans la classe politique. Il ne s’est jamais dressé contre les autorités de la transition. Ce qui alimente la surprise d’une grande partie de l’opinion est de le voir cité pour la première fois dans des affaires après avoir laissé de bonnes impressions au sein des départements ministériels ou des banques qu’il a eus à diriger. Son engagement pour le pays est connu de tous et beaucoup adhèrent à ses idéaux voyants en lui un bon candidat.
S’agissant de Boubou Cissé, il est un opposant farouche des autorités de la transition depuis l’affaire dite de déstabilisation suivie de la fuite d’une conversation avec Alassane Dramane Ouattara avec qui les autorités de la transition ne sont pas en odeur de sainteté. Cet ancien Premier ministre et ministre de l’Economie et des Finances sous le Magistère d’IBK n’a jamais caché ses ambitions présidentielles. Ce qui a fait qu’il a rejoint l’URD depuis Djenné, afin d’aller aux joutes électorales à venir. Ses ambitions pour Koulouba ont été toujours visibles.
L’ancien ministre de la Défense d’IBK, Tiéman Hubert Coulibaly, porteur avec ses conseillers militaires de ce dossier Paramount conformément aux attributions du ministère de la Défense et des Anciens combattants jusqu’à septembre 2016 et ancien chef de la diplomatie malienne, est également le président de ARP (Action républicaine pour le progrès). C’est un regroupement de plusieurs partis politiques.
Le ministre Tiéman et ses soutiens préparent la présidentielle. De ce fait, il est régulièrement présent sur les médias internationaux pour critiquer la transition. Mais, il faut noter que c’est bien lui qui a pu arracher ce contrat d’équipements en vue de renforcer les capacités de l’armée, les ministres chargés des Finances n’étant responsables que du respect des engagements financiers de l’État comme dans tous les marchés conformément aux lois des Finances.
Le caractère politique des personnalités qui sont visées par ces mandats est indéniable. Il n’a échappé aussi à personne que la dernière loi électorale, tailladée par le CNT, avait même anticipé en insérant discrètement dans son dispositif l’élimination de toutes personnes poursuivies avant même leur condamnation. Un hasard ? Ces faits n’ont pas l’air de coïncidences.
A la faveur des remaniements, plus de 7 ministres et plus de 4 Premier ministres ont côtoyé ce dossier Paramount. Pourquoi alors ces 3 personnalités triés sur le volet et la présence d’un banquier pour parfaire un scénario de culpabilité crédible pour les non-initiés ?
Sous l’angle judiciaire, la Cour Suprême a bien le droit de lancer des mandats d’arrêt internationaux. Mais ces mandats doivent être causés et justifiés. Il s’agit là d’une mesure extrême aux conséquences multiples mais aussi diffamatoires et les éléments du dossier doivent le justifier amplement sinon le Mali serait en face d’un abus de justice. Mais dans cette procédure et à ce stade, on se demande même de qui vient la plainte ? Est-ce que c’est suite à un rapport d’inspection ou d’audit ? Vérifications faites, ni le Végal ni le Contrôle général des Services publics, encore moins une structure d’inspection de l’Etat n’ont connu ou transmis ce dossier à la justice.
Aussi, le doute se fait sur une éventuelle instrumentalisation dans l’opinion. Nos plus hautes juridictions jouent gros dans la gestion de cette affaire comme dans les anciens dossiers en cours. L’on se souvient que l’un a vu l’ancien Premier ministre et ministre de la Défense et des Anciens combattants, Soumeylou Boubèye Maïga, mourir en détention. D’autres anciens ministres sont en détention indéfiniment et sans jugement. Cela ne rassure pas le justiciable.
C’est l’image, l’indépendance et l’intégrité de la justice malienne qui sont en jeu. Nulle place ne doit être faite à l’instrumentalisation que le peuple et la justice divine jugeront pour l’histoire. Une chose est certaine, la présomption d’innocence est consacrée par le droit et nul ne peut être présumé coupable sans avoir été jugé définitivement.