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Koji Fukuhara, chef de mission adjoint de l’Ambassade du Japon ; « Le Mali peut bien bénéficier du fonds de la TICAD 8 »
Publié le vendredi 9 septembre 2022  |  Le Républicain
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Le Sommet de la TICAD 8 (Tokyo Interntional conference on african development), qui s’est déroulé les 27 et 28 août 2022 en Tunisie, continue de faire couler beaucoup d’encre et de salive, du fait de l’absence de certains pays africains, dont le Mali et le Maroc. Ces pays n’ont pas effectué le déplacement de Tunis, du fait de l’Union africaine présidée par le Président Macky Sall, qui a décidé de ne pas leur envoyer une invitation pour certains. Pour le Maroc, c’est l’invitation du Sahara occidental par l’Union africaine et l’accueil digne d’un chef d’Etat réservé à son représentant Brahim Ghali, qui l’ont amené à renoncer à sa participation et à rappeler en consultation, l’ambassadeur du Roi en Tunisie. Au cours de la Conférence à laquelle ont participé 48 pays africains, le Japon a annoncé la mobilisation de 30 milliards de dollars pour les trois prochaines années, dont 10 milliards de dollars de don non remboursable du gouvernement du Japon et 20 milliards de dollars d’investissements des sociétés privées du Japon. Le sort réservé au Mali par l’Union africaine à Tunis nous a conduit à vouloir en savoir plus. Que pense l’Ambassade du Japon au Mali de la TICAD 8 ? Le Japon est -il sur la même longueur d’onde que l’Union africaine vindicative ? Notre entretien exclusif avec la représentation diplomatique du Japon au Mali où nous avons rencontré les diplomates Koji Fukuhara, chef de mission adjoint et Kenji Kawano, chef de Section des Affaires politiques et culturelles !

La TICAD (Tokyo Interntional conference on african development), c’est l’initiative du Japon qui date de 1993. Cette date n’a pas été choisie au hasard pour organiser la première rencontre sur l’Afrique, car c’est juste après la chute de l’Union soviétique, marquant la fin de la guerre froide, rappelle Koji Fukuhara. Cette période marque également un embrasement en Europe avec la guerre de Yougoslavie, focalisant l’attention de beaucoup de pays occidentaux, notamment la France et les Etats-Unis. On s’interrogeait sur ce qui arrivait à l’Europe, les manques à gagner économique et financier étaient énormes. « Malheureusement, c’est également à cette période que beaucoup de pays occidentaux ont perdu leur attention envers le continent africain, au moment où celui-ci était confronté à beaucoup de problèmes. La fin de la guerre froide correspond en Afrique au déclenchement des guerres civiles comme en Mozambique, en Sierra Leone. Les pays africains étaient confrontés aux problèmes sécuritaires et économiques, entre autres, entravant leur développement », se rappelle le diplomate japonais. « En ce moment-là beaucoup de pays ont demandé au Japon le renforcement de la coopération, le renforcement des rapports diplomatiques avec le Japon », selon Koji Fukuhara. Heureusement en 1993, c’est le moment où la situation économique du Japon se portait très bien. « C’était un boom économique. Au Japon, nous avions assez d’argent pour aider l’Afrique. Donc la TICAD est une initiative entre l’Afrique et le Japon, une innovation pour consolider les relations entre le Japon et l’Afrique », souligne notre interlocuteur.

La première TICAD qui a eu lieu à Tokyo en 1993 a été un grand succès, note-t-il. « Nous avons engagé beaucoup de financement pour le développement de l’Afrique. Ainsi les pays africains et le Japon ont décidé de continuer et de se retrouver cinq ans après en 1998 à Tokyo. A partir de là tous les cinq ans, en 2003, 2008, 2013, les rencontres de la TICAD se sont déroulées de la même manière à Tokyo », explique Koji Fukuhara.

Au départ, le Japon a coorganisé la TICAD avec les Nations-Unies, le PNUD et la Banque mondiale. Mais à partir de la cinquième TICAD, la Commission de l’Union africaine a été invitée à se joindre à la grande mouvance qui veut marquer de son empreinte les rapports entre les autres régions du monde et le continent africain, qui n’a jusque-là pas eu un meilleur sort. Ainsi l’Union africaine est invitée à se prévaloir du rôle de coorganisateur de la conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique. « Au lieu de TICAD 6 nous avons décidé d’organiser TICAD Afrique-Tokyo, en rotation. C’est ainsi que lors de de la TICAD 6 au Kenya en 2016 (la première TICAD en Afrique), on a décidé que la conférence se tiendra chaque trois ans. Il y a eu la TICAD 7 en 2019 et cette année la TICAD 8 en Tunisie », indique Koji Fukuhara, chef de mission adjoint de l’Ambassade du Japon au Mali.

C’est le tour de l’Afrique

Tout d’abord, le Japon a commencé en pionnier pour répondre aux aspirations de l’Afrique, dit-il. Au départ, beaucoup d’accent était mis sur l’aide humanitaire, ensuite l’aide au développement. « Progressivement l’Afrique sort petit à petit de l’emprise, gagne son potentiel, renoue avec la croissance économique et on arrive au constat qu’en Afrique, c’est vrai il y a des problèmes, mais il y a beaucoup d’espérance. La TICAD désormais va être axée sur la croissance économique », aspire le diplomate. A la question qu’attend le Japon de l’Afrique ? La réponse est ceci : « ce qu’attend le Japon de Afrique, c’est le développement de l’Afrique. C’est d’abord la sécurité et la stabilité de l’Afrique, son développement, la croissance économique, le renforcement des capacités et le bien être humain ». Sans commentaire ! Notre interlocuteur explique que « dans les années 80 et 90, le Japon a fait beaucoup d’investissements en Chine et en Asie du sud-est, comme la Philippine, le Vietnam, l’Indonésie, le Cambodge, Thaïlande et ils se sont assez bien développés. Le Japon a également fait beaucoup d’investissement en Inde. La prochaine région privilégiée pour l’investissement économique du Japon sera le continent d’Afrique ».

Selon nos interlocuteurs Koji Fukuhara, chef de mission adjoint et Kenji Kawano, chef de Section des Affaires politiques et culturelles, la TICAD 8 à Tunis, « c’est moitié politique moitié économique (business pool) », c’est l’occasion de rencontres entre les dirigeants des grandes sociétés du Japon et leurs homologues africains. Il y a eu beaucoup de discussion d’affaires. Le Japon a manifesté en annonçant la mobilisation de 30 milliards de dollars. Dedans, on a 20 milliards qui représentent les investissements des sociétés privées du Japon, dans le secteur des ressources minérales, comme le pétrole, le gaz naturel, et autres, ainsi que le commerce dans lesquels le Japon fait beaucoup d’investissements, précisent nos interlocuteurs. Et ces investissements vont continuer, affirment-ils. Et 10 milliards de dollars représentent le don de la part du gouvernement du Japon. Don non remboursable ! Le Mali en bénéficiera-t-il ?

« Bien sûr que le Mali peut bénéficier de la TICAD 8. Il appartient aux autorités maliennes de choisir de bons projets. Le Japon accorde beaucoup d’attention aux projets dans les secteurs de la sécurité, de l’Education, de l’Agriculture. Au Mali, nous avons des bons contacts au niveau des ministères concernés. Ces projets sont recevables à l’Ambassade ou envoyés à Tokyo », édifient les responsables de la diplomatie japonaise à Bamako. Pour en être sûr, la plupart de la coopération est bilatérale, même s’il y a des projets qui sont multilatéraux, ajoutent nos interlocuteurs.

En ce qui concerne la question de l’absence du Mali, qui n’a pas été invité à la TICAD 8 en Tunisie, la raison avancée est que le Mali est suspendu comme membre de l’Union africaine et au sein de la CEDEAO. Et comme c’est l’Union africaine qui est coorganisatrice, elle n’a pas invité pour prendre part à la TICAD 8, le Mali, la Guinée Conakry, le Burkina Faso, le Soudan, qui sont tous suspendus comme membres de l’Union africaine. « Malheureusement ! ça me parait être l’impact politique », regrette Koji Fukuhara.

Pour ce qui concerne le Sahara occidental, « le Japon ne reconnait pas le Sahara occidental. Notre position est qu’on doit poursuivre les efforts au sein des Nations-Unies pour l’organisation d’un éventuel referendum afin de permettre à ce peuple de décider de son destin. Le Japon soutient ses efforts des Nations Unies et souhaite qu’ils soient un succès », poursuit Koji Fukuhara. Selon lui, « le Japon maintient de bonnes relations avec le Maroc, l’Algérie et tous les Etats africains, avec lesquels nous avons de très bons rapports diplomatiques, de coopération et d’amitié ». Mais malheureusement cette fois ci, le Maroc a boycotté la TICAD 8, parce que le président de la Tunisie Kaïd Saïed a accueilli avec dignité le représentant du Sahara occidental. Ce geste du Président Saïd n’était pas acceptable par les autorités marocaines, relate le diplomate. « C’est dommage, nous sommes désolés que cela arrive. C’est également dommage que Sao Tomé et Principes, n’ait pas pu participé à la TICAD 8 pour raison financière », déplore avec humour, Foji Fukuhara.

En outre, la vive participation du Premier ministre japonais Fumio Kishida, était prévue, mais malheureusement, à la dernière minute, il a été testé positif au covid. Il a renoncé à sa participation et a donné sa communication par vidéoconférence. Ces absences (le Mali, le Maroc et autres) ont quelque peu terni la TICAD 8.

Le Polisario qui dérange

« Selon notre compréhension, le président Saïd n’invite pas. C’est la Commission de l’Union africaine qui a envoyé une lettre d’invitation, unilatéralement, sans consultation avec le Japon, au Polisario. Le Président Saïd de la Tunisie se voit vraiment coincé entre la décision de la Commission de l’Union africaine et la position du Japon et du Maroc et d’autres pays africains. C’est des difficultés auxquelles Monsieur Saïd a été confronté. Dans la salle de réunion, en présence du représentant du Polisario, le Japon a clairement annoncé, qu’il ne pouvait pas l’accepter », témoigne Koji Fukuhara. Les présidents africains dont le président de l’Union africaine ont déploré dans la salle, l’absence du Maroc, alors qu’ils en sont à la base en invitant le Polisario. A la question de savoir comment comprendre cette duplicité, le diplomate reste perplexe, et donne sa réponse sans gêne : C’est ça, c’est ça la politique dans la société africaine, c’est vraiment compliqué. Dans la salle les débats ont été houleux, certains Etats ayant soutenu le Polisario en parlant de colonialisme du Maroc.

La TICAD, c’est la passion du Japon, une vraie initiative du Japon. Les engagements de pays occidentaux, leur amitié avec l’Afrique ne sont pas pareils avec ceux du Japon, explique notre interlocuteur. « Il n’y a pas de difficulté pour nous de renforcer les relations d’amitié avec les Africains. Avec cette injustice étriquée de la part de certains représentants au sein du conseil de sécurité, au sein de la communauté internationale, il y a beaucoup de choses à corriger, et le Japon est toujours dans la position de réaliser un monde plus stable, plus équitable avec plus de dignité et l’égalité entre les Etats », déclare Foji Fukuhara. Selon lui, le Japon a besoin de l’Afrique pour travailler ensemble dans l’amitié et atteindre un monde égal pour tous. « C’est notre mission, celle de la diplomatie japonaise », affirme-t-il.

« Ce que nous attendons de l’Afrique ? Par exemple pour le Mali, tout d’abord c’est la paix et la stabilité, il faut … Il faut une société avec plus de prospérité et de justice. Il faut mener la lutte contre l’impunité, renforcer les institutions et réunir les conditions de la croissance économique. Avec cette croissance démographique, le Mali a une société jeune avec beaucoup d’espérance », souligne-t-il avec force. Selon lui, le Japon est attaché au progrès de l’Afrique pour atteindre le niveau du Japon. Et ce sera un bon business pour nos deux pays, l’Afrique et le Japon peuvent devenir plus indépendants, travailler pour la réalisation d’un monde plus équitable et finalement démocratique d’une vraie démocratie, conclut-il.

B. Daou
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