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Les chroniques du Buwatun2 : Survivre en régime de famine en 2022 au Buwatun
Publié le mercredi 14 septembre 2022  |  Mali Tribune
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Alors que je traversais la campagne du Buwatun je voyais plusieurs femmes en train de récolter des feuilles, plusieurs types de feuilles qui suppléent au manque de grains. La famine fait rage, semble-t-il, et les plus pauvres ont de la peine à survivre. Comment s’en sortir dans ces conditions ? Vers qui aller pour avoir un peu d’argent ou du mil pour nourrir la famille qui est nombreuse ? 3 raisons principales se sont conjuguées pour provoquer cette famine : a) la mauvaise pluviométrie de la campagne 2021-2022 où dès août les pluies se sont carrément arrêtées ; b) le phénomène in sécuritaire où les populations Buwa sont obligées de cohabiter avec les terroristes ; c) l’inflation mondiale non maîtrisée, insoutenable pour des populations excessivement pauvres.

Mauvaise pluviométrie et famine

Tous les météorologues et prévisionnistes du Mali sont d’accord que la pluviométrie de la campagne agricole passée (2021-2022) n’a pas été à hauteur de souhait. Dans beaucoup de champs, dès le mois de septembre 2020 les plants de mil et de maïs avaient séché sur pied à l’épiaison, juste quand les épis allaient se former. Au pays Bo, beaucoup d’agriculteurs n’ont pratiquement rien récolté dans leurs champs, certains ont eu un peu, mais ce qui est sûr, dès janvier 2022 les effets dévastateurs de la famine annoncée se faisaient sentir : le prix de la tine de mil a commencé à monter d’une façon vertigineuse, les commerçants ont commencé à écumer les foires du pays aux fins d’accumuler le grain, les agriculteurs, prévoyants comme toujours se sont mis à vendre le peu qu’ils avaient dans le grenier pour faire face aux dépenses incompressibles (taxes diverses, impôts, scolarité, santé, etc.). À Pâques la tine de mil (il faut à peu près 6 tines pour faire un sac de 100 kg) était cédée entre 7000 F CFA et 7500 F CFA, selon les foires. Combien de jours peut durer une tine pour une famille moyenne de six (6) membres ? À Pentecôte, le grain se fait rare dans les diverses foires du pays et c’est alors que les effets pervers de l’inflation mondiale, provoquée par la bêtise des Européens, vont se faire sentir.

Inflation mondiale non maîtrisée et famine en pays Bo

Faut-il dire que l’inflation a été provoquée par les sanctions de l’Europe contre la Russie ? Faut-il penser que les sanctions de la Cedeao et de l’Uemoa à l’encontre du Mali y sont pour quelque chose ? Peut-on penser que l’ambiance générale du monde, tendue vers une certaine morosité y est pour quelque chose ? Rien n’est moins sûr, mais, ce qui est certain, c’est qu’un faisceau de causes se sont conjuguées pour provoquer cette catastrophe mondiale. Les Occidentaux s’en défendent et c’est leur droit, mais, ils savent bien là où se trouve la vérité. Et quand la Cedeao et l’Uemoa « punissaient » le Mali pour fait de coups d’État militaires, ils ignoraient (ou feignaient d’ignorer) à l’instar des Occidentaux aujourd’hui, l’effet boomerang, l’effet catastrophe de ces « armes-là ». Aujourd’hui nous sommes tous logés à la même enseigne, mais comme toujours, les pauvres, les plus pauvres sont les dindons de la farce.

Dans le Buwatun profond, c’est la croix et la bannière pour manger, tous les prix (du mil au maïs en passant par l’huile, le sucre, le thé, le lait, etc.) ont pris l’ascenseur. Une pauvre femme me parlait de 50 F CFA d’huile, j’y ai jeté un coup d’œil, la quantité tiendrait dans un dé à coudre et elle parlait de l’utiliser deux fois. Tu parles ! Un monsieur se plaignait du pilage d’une tige de maïs au moulin qui coutait 400 F CFA il y a moins d’un mois et qui revient désormais à 800 F CFA, coût du gasoil oblige, dit-on. Vers qui se tourner ? Nos femmes ont jeté nos mortiers et nos meules depuis longtemps déjà ! L’autre jour je voulais un peu de lait pour améliorer ma bouillie, il n’y en avait pas semble-t-il, c’est devenu un produit de luxe.

Bienvenue au royaume de la débrouille et de la solidarité sans objet

Les gens tournent les uns sur les autres, d’une case à l’autre en espérant que telle femme a pu préparer quelque chose en ce jour. Quelques enfants morveux au ventre ballonné sont accrochés aux jupes de leurs mères criant famine. Ces hommes et ces femmes tissent une solidarité sans rien partager. Ils avaient pensé que pour une fois leur pays penserait à eux, mais aucun camion de grain ou d’autres denrées n’est apparu sur la grande route. Comme disait l’autre : Nous ne savons plus si nous sommes du Mali ou du Burkina Faso ! Ils avaient aussi espéré que la Caritas catholique, toujours prévoyante, leur viendrait en aide en ces mois difficiles, mais de ce côté aussi, il semble que rien n’a été prévu. Comment expliquer que cette usine à solidarité n’ait pas prévu cette famine annoncée dans ses programmes ? Imprévoyance ? Manque de partenaires sur la question ? L’avenir nous dira ce qu’il en est. Alors, chacun y va de ses petites astuces pour se « remplir le ventre » et celui de sa famille : Beaucoup de feuilles de haricot avec un peu de farine de mil, cela donne une pâte qui passe bien avec du beurre de karité, mais de beurre de karité il n’y en a pas eu cette année. Les karités ont fait la grève cette année, pas de fruits, donc pas d’amendes pour fabriquer du beurre. Comme si la nature elle-même s’était liguée avec les dieux pour nous refuser ses fruits ! Certaines femmes s’en vont piler du mil chez les nantis pour avoir le son (qui est si nourrissant, dit-on) ; d’autres, dès le matin assiègent les quelques nantis du village, ils finiront bien par avoir pitié d’elles et laisseront tomber quelques pièces ; le fin du fin c’est de s’incruster carrément chez une femme qui est en train de cuisiner : piler son mil avec elle, piler ses sauces, puiser son eau, bref, travailler avec elle pour espérer manger un peu et avoir quelques reliefs pour les enfants à la maison. Tu parles ! Certains jeunes enfin, se jettent sur les dérivatifs : tramadol, alcool frelaté à gogo, thé amélioré et autres drogues qui peuvent distraire l’esprit lorsqu’on a trop faim et que les soucis s’accumulent. Qui les blâmerait dans cette ambiance morose ?

Nos parents en ville, savent-ils seulement comment nous nous débrouillons ici dans la brousse ? Ce Buwatun « gondolé », se disant abandonné par le Mali et par tous les dieux, ce pays grillé par un soleil implacable pendant les chaleurs, ce pays hospitalier pour quelques terroristes peine actuellement à manger à sa faim, ce pays où le terrorisme est en train de se « territorialiser » en prenant la couleur locale à travers des pratiques entre violence symbolique et condescendance.

11 au 17 septembre 2022

A suivre

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