La 77eme session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies le confirme : le système de gouvernance onusien est bel et bien en panne, entre perte de confiance des dirigeants et exacerbation des tensions.
Éternel recommencement
Nul ne peut nier les effets planétaires de la guerre en Ukraine. Nul ne peut nier la catastrophe sécuritaire annoncée au Sahel. Nul ne peut nier les tensions sociopolitiques en Iran suite à la mort de Mahsa Amini pour « avoir mal porté son foulard » ! Le Monde est face à un éternel recommencement, le reflux de la guerre, ce grain de sable qui grippe les mécanismes de paix de la machine onusienne. Mais dans ce contexte tendu, il y a un serpent de mer qui revient sans cesse : la polarisation du Monde entre deux blocs. La 77eme session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies a marqué d’un fer rouge l’opposition Est-Ouest. D’un côté la Russie et ses alliés ; de l’autre l’Occident et les siens. Bien entendu, certains me répondront que les jeux de positionnement ont accéléré le mouvement.
D’autres m’expliqueraient que la Covid-19 (bientôt trois ans) a attisé les clivages. Mais il y a un autre enjeu majeur, c’est que nos sociétés vivent un moment décisif de leur évolution, c’est-à-dire la redéfinition des rapports de forces dans un monde de plus en plus tenu par le numérique. Partout, il est aisé d’observer que le numérique (réseaux sociaux) facilite la divulgation des informations, qu’elles soient confidentielles ou pas. Les réseaux sociaux sont devenus les espaces par excellence des milieux complotistes pour seriner une chose et son contraire.
À ce rythme, la démocratie, ce principe politique noble de désignation des dirigeants par les citoyens, se fragilise. Les contradictions, les incertitudes, les tensions des classes dirigeantes servent moins la démocratie que le totalitarisme. D’ailleurs, les discours tenus au cours de l’Assemblée générale des Nations unies illustrent ces contradictions.
Quand les intérêts géostratégiques nous tiennent
Le 20 septembre 2022, le Président français, Emmanuel Macron, à la tribune des Nations Unies dit ceci : « Le 24 février dernier, Elle [la Russie] a délibérément violé la Charte des Nations unies et le principe d’égalité souveraine des Etats. […]. Ce à quoi nous assistons depuis le 24 février dernier est un retour à l’âge des impérialismes et des colonies ».
À la même tribune, le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, dénonce les guerres menées par les « maîtres du monde autoproclamés contre la Libye ou l’Irak, et que la doctrine Monroe prend une dimension mondiale (…) ». M. Lavrov dénonce aussi « la russophobie officielle » de l’Occident. Step by step, chacun, dans son couloir, défend ses intérêts, ses valeurs, ses principes et sa vision du Monde. À l’image d’une pièce de théâtre à la Tchekhov ou à la Vaudeville, d’autres puissances filent la métaphore du drame. Signe des temps.
La Chine et l’Inde invitent la Russie à retrouver le chemin de la paix. Quand les intérêts géostratégiques nous tiennent. Au même moment, les Russes fuient leur pays par peur d’être mobilisés dans l’armée pour aller combattre en Ukraine. Le chemin de la paix s’escarpe davantage. Pas seulement en Ukraine, mais aussi au Mali, devenu le lieu d’affrontement de deux camps.
Un climat géopolitique nauséabond
Le 17 septembre 2022, dans un entretien accordé à RFI et France 24, le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres dit ceci à propos des 46 soldats Ivoiriens détenus à Bamako : « Non. Ce ne sont pas des mercenaires. C’est évident. Je fais appel aux autorités maliennes pour que ce problème puisse se résoudre ».
C’était à la veille de l’Assemblée générale des Nations unies. Le Mali entre dans un jeu trouble et inégalitaire. Les chefs d’Etats de la Cedeao appellent à la libération de ces 46 soldats ivoiriens. L’enjeu : éviter un « nouvel embrasement » en plus du narcoterrorisme. Le Président de la Guinée Bissau, Umaro Sissoco Embalo,
Le président en exercice de la Cedeao, et le ministre des Affaires étrangères du Nigeria, Geoffrey Onyeama, opinent dans le même sens. « La situation dans la région de Ménaka (Mali) s’est totalement dégradée depuis le départ de Barkhane. … Les forces armées sont à Ménaka, elles y seraient avec leurs supplétifs russes, mais je constate que cela n’a pas empêché que la situation se dégrade davantage. … La situation à Gao, aussi, est en train de se dégrader… », extrait de l’entretien du Président nigérien, Mohamed Bazoum, sur RFI et France 24, le 22 septembre 2022. Voilà presque pile un an que son prédécesseur, Choguel Kokalla Maïga, disait à la même tribune onusienne que le Mali a été abandonné « en plein vol » par la France. Et patatras.
Les propos de Bazoum (allié de Paris) irritent les autorités maliennes, alliées de Moscou. Le 24 septembre 2022, à la tribune de l’Onu, le Premier malien par intérim, le colonel Abdoulaye Maïga, contre-attaque. Monsieur Maïga traite les autorités françaises de « junte au service de l’obscurantisme », et le Président Bazoum, d’« étranger qui se réclame du Niger ». Quel fair-play ! On se désavoue. On se décrédibilise. Le climat est nauséabond. On s’enlise. On foule au pied les règles de convivialité. Pourquoi ?
La mort dans les moindres recoins de vie
Pour plusieurs raisons. La 1ere, le traumatisme de la guerre conduit notre génération à la désunion et à la confusion. La 2eme raison, notre incapacité à satisfaire les besoins quotidiens de nos concitoyens est compensée par une forme de fuite en avant des dirigeants à travers des discours irritants. Pendant ce temps-là, les populations errent dans un espace où la mort s’invite dans les moindres recoins de la vie.
Ailleurs, c’est la même rengaine. Depuis le 16 septembre 2022, les Iraniens défient le pouvoir pour dénoncer la mort de Mahsa Amini durant sa garde à vue parce qu’elle ne portait pas « correctement son voile » : une mèche dépassait… Plus de 70 morts parmi les manifestants de la liberté. La censure n’a pas empêché Mahsa Amini d’être la figure de martyr des manifestants. A Téhéran, à Bamako, à Moscou, à Kiev, à Paris ou à Niamey, il va falloir trouver mieux que d’exciter les tensions pour se tirer d’affaires.
L’éphémère
Pour conclure, la résurgence des tensions et l’opposition entre l’Est et l’Ouest disent quelque chose de l’interconnexion des crises. Elles mettent au grand jour la fuite en avant des dirigeants qui préfèrent paraître assez souvent plutôt que d’affronter les vrais problèmes (narcoterrorisme, injustice) de leurs peuples.
Au Mali, au Niger, au Burkina Faso, etc., le défi est générationnel, c’est-à-dire nous devons être capables d’imaginer un autre monde ouvert, apaisé et sécurisé. Nous sommes tous des employés de l’univers dont le travail ne doit être entravé par aucun tir de barrage. Résistons. Certes, les alliances rassurent, mais ne résolvent pas le problème récurrent de l’exercice du pouvoir : l’éphémère.
« Un homme assoiffé n’entend pas qu’il n’y a pas d’eau à boire » dit-on en Songhay.