Depuis l’atteinte du Point d’achèvement de l’initiative des pays pauvres très endettés (Ppte) par la Côte d’Ivoire, c’est visiblement la fête aussi bien au sommet de l’Etat que dans certains départements ministériels. Chacun y va de son petit commentaire, pour s’attirer politiquement la paternité de cette «performance économique». Lors du dernier Conseil des ministres tenu à Yamoussoukro, les membres du gouvernement ont porté le toast, un peu comme l’avait fait feu le Président Félix Houphouët Boigny vers la fin des années 1970, lors de la découverte des premiers gisements pétroliers en Côte d’Ivoire. Malheureusement, les contextes ne sont pas les mêmes et les syndicats de travailleurs et les populations à qui les régimes successifs ivoiriens ont demandé d’atteindre «le Ppte» piaffent d’impatience et attendent la concrétisation des promesses faites par les différents gouvernements successifs. L’administration étant une continuité, il faut assumer.
Mais au fait au moment où nous sommes dans la jubilation à outrance, il est bon de s’interroger sur ce que va gagner la Côte d’Ivoire dès son admission dans le cercle des «très peu enviables 32 pays» qui ont atteint le Point d’Achèvement et où en sont certains Africains parmi les 32 premiers bénéficiaires en termes de ressources et de lutte contre la pauvreté ? D’abord que gagne la Côte d’Ivoire ? Selon Jean Charles Tiémélé, économiste financier, les avantages attendus au point d’achèvement du Ppte (au titre du Ppte et de l’Iadm) sont les suivants : allégement de la dette à travers une baisse du service et une réduction du stock de la dette/amélioration des ratios de la dette (stock de la dette sur Pib, exportations et revenus ; services de la dette sur exportations et revenus), grâce à l’annulation des intérêts et l’annulation partielle et la restructuration du stock. Sans oublier l’amélioration de la solvabilité du pays et possibilités accrues d’accès à de nouveaux emprunts publics. Par ailleurs, on pourrait dire ajoute notre économiste et financier, que «l’on va assister à un encouragement aux Ide (Investissement direct étranger), accélération des investissements en général et stimulation de la croissance pouvant se traduire par une forte réduction de la pauvreté. Ainsi, l’avantage direct attendu du point d’achèvement du Ppte, c’est une accélération de l’allègement de la dette. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, l’allègement attendu est de 3 milliards de dollars US au titre du Ppte et de 2 milliards de dollars US au titre de l’Iadm. Le total de l’allègement attendu est ainsi de 5 milliards de dollars US, environ 2500 milliards de Fcfa. La Côte d’Ivoire a déjà reçu près de la moitié de son allégement estimé au titre de l’Initiative Ppte à la faveur de rééchelonnements et d’opérations d’apurement des arriérés concessionnels passés, soit 1.5 milliard dollars US, ce qui ramène le gain attendu à seulement 3.5 milliards de dollars US, soit environs 1700 milliards de Fcfa».
Aussi, si l’amélioration des ratios du stock de la dette est immédiate dans tous pays bénéficiaires du Ppte, comme la Côte d’Ivoire, la baisse du service de la dette extérieure n’est pas évidente.(…) En suite qu’en est-il de certains pays bénéficiaires ? Il est bon de souligner dans la même veine, que c’est ainsi que le Mali, par exemple, devait, selon les estimations du Fmi, rembourser 16,1 millions de dollars en 2010 pour 19,7 millions en 2000 et la Tanzanie (taux de pauvreté 34%) ne verrait son service de la dette diminuer que de 7% dans le meilleur des cas. «En Côte d’Ivoire, le service de la dette extérieure augmente en 2012 du fait des paiements croissants aux créanciers bilatéraux et privés (62 milliards des 145.1 milliards d’échéances exigibles, soit 42.7%), qui n’étaient pas servis avant les accords récents sur la dette extérieure. De plus, le pays doit rester à jour de ces paiements sur la durée du programme.
Tous les scénarii esquissés par le Fmi dans l’analyse de la souténabilité de la dette ivoirienne prévoient une hausse des ratios du service de la dette, après la baisse initiale au point d’achèvement, jusqu’en 2017, et une autre hausse à partir de 2021 après une brève baisse entre 2017 et 2021. Les obligations qui pèsent sur la dette extérieure conduisent souvent à un alourdissement de la dette intérieure, dont le service s’accroit fortement» nous a-t-il indiqué. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, selon les projections du ministère de l’Economie et des Finances, le service de la dette intérieure, après une baisse significative en 2012 (en passant de 869.8 Mds de Fcfa à 421.7 Mds de Fcfa), reste compris entre 470 et 570 Mds de Fcfa jusqu’en 2016 et ne passe en dessous de 200 Mds de Fcfa qu’en 2017. Les ressources attendues de l’allègement de la dette ne sont donc pas toutes disponibles immédiatement. L’effet des annulations du stock est immédiat pour tous les créanciers (y compris les créanciers multilatéraux avec l’Iadm) à l’exception de la France, qui les intègre dans un programme désendettement/développement (C2d) d’une durée de 15 ans au moins. Celui de l’effacement des intérêts de la dette se fait aux échéances prévues. Ici aussi, la France intègre ces éléments dans le C2d. Le mécanisme du C2d est la forme la plus achevée des entraves à l’utilisation des ressources du Ppte.
En effet, ici le pays continue d’assurer le service de sa dette, que lui reverse la France sur un compte spécial conformément à une convention qui détermine les conditions d’utilisation des fonds. La lourdeur et les contraintes de ce mécanisme expliquent que de nombreux pays qui ont franchi le point d’achèvement depuis des années, peinent à utiliser les ressources du C2d. C’est le cas du Mali (le taux de pauvreté était de 47,4% en 2006) et de la Mauritanie. Cette dernière (la Mauritanie) qui a franchi le point d’achèvement du Ppte en 2002, n’avait pas encore bénéficié de l’allègement au titre de l’Iadm et de l’intégralité de l’allègement au titre du Ppte en 2007, du fait de la dégradation des résultats macroéconomiques et des finances publiques. L`Etat du Cameroun, par exemple, a régulièrement remboursé puis s`est vu remis (selon le mécanisme du C2d), à échéance, une moyenne de 70 milliards de Fcfa par an. Mais, les tirages sur ces fonds, qui sont logés à la banque centrale (Beac), sont souvent freinés pour des raisons de procédures. Par ailleurs, le Niger, l’un des bénéficiaires de cette initiative enregistrait en 2010, un taux de pauvreté de 65,90%. Dans tous les cas, les pays bénéficiaires sont tenus de tenir une comptabilité séparée de l’utilisation de ces ressources en vue de garantir qu’elles servent avant tout à la réduction de la pauvreté.
De fait, pour continuer à bénéficier des ressources Ppte le pays doit poursuivre ses efforts de réformes qui lui ont permis de franchir les différentes étapes du processus. Il doit s’assurer que le cadre macroéconomique est sain (notamment réformes des secteurs clé de l’économie, amélioration de l’environnement des affaires, bonne tenue du commerce extérieur et des comptes extérieurs en vue de bons résultats macroéconomiques), entre autres. En somme, le régime d’Abidjan, devrait plutôt s’employer à répondre à ces préoccupations légitimes au lieu de se complaire dans un triomphalisme béat, oubliant tout le travail à faire pour permettre un accès large et rapide aux ressources Ppte en vue d’en tirer le maximum d’avantages. Mais aussi et surtout s’employer à répondre à ces préoccupations légitimes au lieu de se complaire dans l’emphorie qui le caractérise en ce moment, oubliant tout le travail à faire pour permettre un accès large et rapide aux ressources Ppte en vue d’en tirer le maximum d’avantages Bamba Mafoumgbé,