Montée d’adrénaline, branle-bas de combat, atmosphère de ‘’qui l’emportera en patriotisme intransigeant’’ : la remise de l’avant-projet de la nouvelle constitution de notre pays au Président Assimi Goïta le mardi, 12 octobre, a provoqué une levée de boucliers à laquelle on ne s’attendait sûrement pas. Partisans et adversaires de la Transition, peu importe désormais de savoir qui est honnête ou as, ont semblé, dans une sorte d’entente inédite, se passer le mot pour pousser ensemble des cris d’orfraie contre une disposition de l’avant-projet de la nouvelle constitution, que l’on a jugée non conforme aux aspirations du peuple malien dans sa quête de souveraineté vraie depuis le 18 août 2020, une exigence du reste confirmée par les Assises Nationales de la Refondation tenues fin décembre 2021. En cause, l’article 31 de la nouvelle Loi fondamentale, qui stipule : « Les langues parlées au Mali par une ou plusieurs communautés linguistiques font partie du patrimoine culturel. Elles ont le statut de langues nationales et ont vocation à devenir des langues officielles. La loi fixe les modalités de protection, de promotion et d’officialisation des langues nationales. Le français est la langue d’expression officielle. L’Etat peut adopter, par la loi, toute autre langue étrangère comme langue d’expression officielle. » Pour certains, prétendre que « Le Français est la langue d’expression officielle » du Mali est dans l’esprit national, celui dépouillé de toutes les réminiscences du passé colonial du fait d’une France qui ne veut toujours pas le bonheur des descendants des Soudanais et de tous ceux qui ont été Soudanais un temps-ces derniets ne sont plus nombreux- une insulte grave à la lutte héroïque en cours et pour l’avenir des générations à venir. Si ça ne tenait qu’à eux, on organiserait au plus vite sur la place du Monument de l’indépendance à Bamako un autodafé dont les victimes tout indiquées ne seront autres personnes que le pauvre Fousseyni Samaké et les membres de la commission nationale de rédaction, leur document produit, parce que perfide et sacrilège servant en plus d’attiser le feu qui va les consumer tous ensemble. De l’extrémisme de mauvaise saison, on le voit, qui ne fera en rien avancer le Mali. Triste rappel quand-même des moments entre la fin de 1990 et le début de 1991 quand les Maliens surchauffés avaient recours à l’article 120 (100 FCFA d’essence et 20 FCFA pour l’allumette) de l’arsenal populaire pour brûler des citoyens, leurs compatriotes.
Dieu soit loué, les esprits se sont aussi vite calmés comme ils se sont enflammés comme si un diablotin s’était subrepticement emparé d’eux. Et si tout cela ne relevait que d’un malentendu à cause du zèle de vouloir prémunir le Mali des exotismes dégradants et des pièges de l’aliénation ? L’article 31 de la nouvelle constitution est pourtant très explicite quant à la volonté populaire et quant aux perspectives de patriotisme intransigeant. En cinq phrases bien correctes et compréhensibles, il a campé le présent et tracé les voies pour l’avenir (Les langues parlées au Mali par une ou plusieurs communautés linguistiques font partie du patrimoine culturel. Elles ont le statut de langues nationales et ont vocation à devenir des langues officielles. La loi fixe les modalités de protection, de promotion et d’officialisation des langues nationales. Le français est la langue d’expression officielle. L’Etat peut adopter, par la loi, toute autre langue étrangère comme langue d’expression officielle). L’espace géographique africain et l’histoire récente dans un pays que nos autorités militaires ont visité il n’y a pas si longtemps nous offrent une bonne, sinon meilleure lecture, de notre fameux article 31. Après leur victoire militaire et la prise du Rwanda par eux, les responsables du FPR, qui ont tous grandi en Ouganda, donc tous mieux à l’aise avec l’anglais qu’avec le français, ont adopté dans la nouvelle constitution de leur quatre langues officielles qui sont dans l’ordre : le Kinyarwanda, le Français, l’Anglais et le Swahili. Intelligente trouvaille qui a favorisé l’utilisation de l’anglais comme langue d’expression officielle quand bien-même le Kinyarwanda, comme le français d’ailleurs dans une proportion, est parfaitement parlé par les deux ethnies du Rwanda, les Hutus et les Tutsis. Clin d’œil dans le jardin yankee, on remarquera que les Etats-Unis d’Amérique ont évité d’inscrire dans leur constitution une langue officielle. Au regard de tout cela, il y a à espérer que le Bambara (ou autres langues du Mali) pourrait un jour devenir la langue officielle, comme le prévoit admirablement l’article décrié. C’est même une probabilité très élevée. Il s’y ajoute que depuis des siècles, l’Arabe est officieusement la langue officielle à Tombouctou sans que, pourtant, jamais elle n’a pu supplanter la belle langue Songhoï. Les précieux manuscrits anciens de la Cité des 333 saints l’attestent et les productions nouvelles ne prétendent pas que l’Arabe est à abhorrer parce qu’étant la langue des esclavagistes d’un temps reculé. Rappelons-nous les paroles de notre compatriote Pr. Boniface Diarra officiant au Canada, quand il dit en français : « Je suis malheureusement obligé de m’exprimer dans la langue de ceux qui nous violent. »
Rendons grâce à Fousseyni Samaké et à son équipe de nous avoir produit un document qui ne viole pas notre aspiration à plus de souveraineté et à plus de respect de nos valeurs socioculturelles. En attendant que le document soit adopté par le conseil des ministres pour devenir Projet à soumettre à référendum, il y a place à la discussion, à des apports nutritifs de qualité. Il y a déjà de l’espoir avec l’introduction de la “justice traditionnelle” hautement efficace et adaptée dans beaucoup de cas mineurs. Il y a à veiller à ce que n’y soit inscrite aucune possibilité pour l’acceptation de l’homosexualité, comme avait voulu le faire avec ruse le régime abattu le 18 août 2020 par une manoeuvre d’adhésion à on ne sait quelle Charte des droits de l’homme de l’Union Africaine. Certes, des améliorations sont toujours possibles pour circonscrire toute fâcherie populaire. On pourrait, par exemple, trouver une formulation appropriée disant que le français est la langue de l’administration jusqu’à la proclamation d’une langue nationale comme langue officielle. En réalité et dans la pratique des membres de la société malienne, le Bambara occupe le rang de langue officielle par défaut parce que, comme langue nationale, elle domine les autres langues nationales en termes de proportion de citoyens qui la parlenr et, de plus, les analphabètes, de loin les plus nombreux, reçoivent les services administratifs en Bambara. La seule différence est que les documents et les textes sont en français. Si le constituant, à l’écoute des insatisfactions et des colères sommes toutes légitimes, consent à faire du Bambara la langue officielle (le dernier mot revient toujours au peuple qui se prononcera lors du référendum), il doit prévoir, par exemple, un moratoire de 5 à 10 ans. Durant cette période transitoire, il va falloir former d’abord des enseignants en langue et écriture Bambara, voter un budget conséquent pour traduire tous les documents, textes de loi en Bambara afin que tout soit prêt pour que les enfants de la première année débute avec le nouveau programme. Le processus doit être planifié pour éviter le chaos. De plus, même si la majorité des Maliens parle le Bambara, on ne peut pas l’imposer à l’ensemble du peuple s’il y a défaut d’un consensus social. Les velléités des locuteurs du Kabyle en Algérie et du Breton et du Corse en France peuvent servir de boussoles. En rappelant enfin la démarche rwandaise, on peut pas dire que le remplacement d’une langue sur la base émotionnelle aura des conséquences d’ordre pratique sur la qualité de la formation, et également en termes de coups financiers énormes. Donc, il faut être rationnel et agir avec prudence dans le processus de planification pour la mise en œuvre du nouveau programme. La nouvelle constitution !