De nouveaux témoignages et documents éclairent les circonstances de l’agression dont Dioncounda Traoré, le président de la transition, a été la victime le 21 mai dernier. En particulier une vidéo exclusive que Jeune Afrique s'est procurée. Accablant.
Et si une commission d'enquête internationale se penchait sur l'agression de Dioncounda Traoré ? La question pourrait être à l'ordre du jour du sommet de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), qui se tient les 28 et 29 juin à Yamoussoukro. Car, à Bamako, l'enquête piétine. Seulement trois inculpations pour « troubles graves à l'ordre public », début juin. Depuis, rien.
Pourtant, plus d'un mois après les faits, plusieurs témoignages et documents - dont la vidéo exclusive que vous pouvez voir ci-dessus -, auxquels J.A. a eu accès, révèlent les secrets de cette agression. Bien plus violente et scandaleuse que l'on aurait pu imaginer. Retour sur cette folle journée du 21 mai.
Combien sont-ils ? Cinq mille, dix mille ? Une marée humaine déferle dans les rues de Bamako, à l'appel de la Coordination des organisations patriotiques du Mali (Copam). La coalition, composée d'associations et de petits partis, soutient le coup d'État militaire qui a renversé Amadou Toumani Touré (ATT) le 21 mars. Surtout, elle rejette la décision de la Cedeao, qui a installé Dioncounda Traoré dans le fauteuil présidentiel pour une année de transition.
Horde
La Copam a donc organisé une « convention nationale » avec un objectif : désigner le chef de la junte, le capitaine Amadou Haya Sanogo, président de la transition. Organisée au Centre international de conférences de Bamako, ladite convention tourne court : les leaders sont absents, et la foule, furieuse, marche sur la place de l'Indépendance, au centre-ville. Lequel des manifestants propose de rallier le palais de Koulouba ? « C'était spontané », assure l'un d'eux. La horde des mécontents passe devant la cité administrative qui borde le fleuve Niger, fait un détour par le 34e bataillon des commandos-parachutistes - ex-siège des Bérets rouges, fidèles à ATT, le président déchu - et gravit la route aux virages en épingle qui mène à Koulouba. Ils brandissent des pancartes hostiles à la Cedeao et à son président, l'Ivoirien Alassane Ouattara. Mais celui qui cristallise les rancoeurs, c'est Traoré. « Il peut être président de la Cedeao s'il le veut, mais pas du Mali », hurlent-ils en envahissant le palais.
Les gardes - des Bérets verts de l'armée de terre - ne font rien pour les en empêcher, prenant même la pose avec des admirateurs. Ils ne réagissent pas davantage lorsque quelques audacieux escaladent la façade pour accéder aux coursives, ou qu'un groupe utilise une échelle en guise de bélier pour défoncer les grilles.
Ils le frappent à coups de poing, de pied, de livre... "Il est mort, c'est sûr!", exultent-ils.
Dans le hall, on s'adonne au pillage. À l'étage, un petit groupe s'est lancé à la recherche du président. Sur la coursive, il tombe sur cinq Bérets rouges. On parlemente, avant de s'affronter. Le seul militaire armé n'ose pas faire usage de son fusil. De toute façon, ils sont débordés par la meute.
« Il est dedans ! » crie l'un des assaillants, qui a trouvé le bureau où s'est réfugié le chef de l'État. Ils se poussent, se piétinent, s'invectivent pour avoir le droit de le molester. À coups de poing, de pied et de livre. Deux manifestants tentent de raisonner leurs amis. Ils sont repoussés. Traoré tombe. Deux Bérets marron - la garde nationale - font rempart avec leur corps et lui mettent un casque sur la tête. Vite arraché, il est utilisé pour le frapper. Des renforts tentent de se frayer un chemin à coups de matraque.
Prostré
Le président est transporté dans le fond de la pièce. À ses côtés, l'un de ses collaborateurs, en larmes, qui a lui aussi reçu des coups. Traoré est à terre. Ni son âge (70 ans) ni son statut ne l'ont mis à l'abri. Alors, il se protège la tête. Autour de lui, militaires et manifestants s'affrontent, mais il reste prostré. Ces derniers s'acharnent à nouveau sur lui, lui arrachent ses chaussures et ses vêtements. L'un des assaillants brandit un morceau de chemise. Ils l'ont dénudé. « Il est mort, c'est sûr », exultent-ils. Avant que des renforts viennent exfiltrer le président exsangue. La scène de lynchage a duré une dizaine de minutes.
Informé, Cheick Modibo Diarra, le Premier ministre, se précipite au palais. Après avoir vu le président, il sort s'adresser à une poignée de jeunes, restés dans la cour. « Il pleurait », raconte un témoin. Sur l'honneur bafoué du Mali, sans doute...