Pour Boubou Cissé, les proconsuls de Kati au pouvoir au Mali, ne lésinent sur aucun moyen répressif, y compris en instrumentalisant la justice, pour museler la classe politique, réduire les espaces de liberté dans le dessein de raffermir leur accaparement du pouvoir, sous prétexte de lutter contre le terrorisme, mais sur fond d’échecs patents dans tous les domaines de la gestion des affaires publiques, dont justement la sécurité de la population !
La volée de bois de vert, administrée par Boubou Cissé, l’ancien et dernier Premier Ministre du régime déchu du défunt IBK, ne manquera certainement pas de renforcer le sentiment et la mentalité d’assiégés, dans les enceintes du Camp Soundjata, ayant conduit la junte militaire à lancer une chasse aux sorcières tous azimuts qu’elle ne s’est pas privée d’enclencher contre ses opposants supposés ou réels.
L’ancien chef du gouvernement, aujourd’hui en exil au Niger après de multiples poursuites judiciaires, engagées contre lui par la junte, n’est guère tendre avec le régime des proconsuls de Kati, dans cette interview publiée, le 7 novembre 2022 sur son site par Jeune Afrique.
Dans un inventaire à la Prévert, rapporté par le confrère panafricain, le candidat putatif de l’Union pour la République et la Démocratie, URD, dresse un tableau sombre du Mali des Colonels du Camp Soundjata : situation sécuritaire délétère de plus en plus dégradée, au regard de la progression du terrorisme sur fond d’absence de l’Etat sur une partie croissante du territoire national, tissu économique délabré en proie aux privations dans un climat de corruption d’Etat au summum, population aux abois en prise aux pires difficultés pour faire face à la cherté de la vie, éducation à vau-l’eau voire supprimée par les djihadistes sur des pans entiers du territoire national, jetant des centaines de milliers d’enfants hors de tout système éducatif, etc. Bref, « tout s’est dégradé… aucun des maux qui ont été avancés pour justifier le putsch de 2020 ne semble connaître ne serait-ce qu’un début de solution », stigmatise-t-il avec une verdeur peu coutumière pour cet homme plutôt connu comme plus enclin au calme et à la mesure.
Confrontée à la réalité du pouvoir et la gestion des difficultés au quotidien de la population, la junte peine à assumer et s’évertue à se défausser de ses responsabilités. Au contraire, on assiste à une absence de dialogue interne et à la floraison artificielle d’affaires, dont on rend coupables les hommes politiques, certes responsables par bien des aspects, mais désignés à une vindicte populaire d’autant plus bien disposée qu’elle était déjà défiante.
Pourtant, déplore Boubou Cissé, « la transition aurait pu se passer dans un climat moins délétère ». Au lieu de quoi, on assiste à un « effacement de la classe politique traditionnelle, devenue aphone », car elle est sous la menace d’une « épée de Damoclès judiciaire que les autorités de la transition ont placée au-dessus de la tête des hommes politiques », en multipliant les poursuites à l’encontre des caciques de la politique malienne, jugés présidentiables, comme le conclut notre confrère Jeune Afrique.
Le cas du défunt Soumeylou Boubèye Maïga, mort dans les geôles de la junte sans bénéficier des soins réclamés et qu’exigeait son état de santé, est devenu rédhibitoire pour nombre de leaders politiques. Et pour cause, la prudence recommande de moins s’exposer aux actes répressifs d’une junte qui se soucie comme d’une guigne du respect des droits élémentaires, comme l’illustrent nombre de cas de personnes toujours détenues depuis des mois sans jugement, voire sans accusations formelle autre que le seul soupçon d’atteinte à la sûreté de l’Etat, non d’ailleurs démontrée.
On note ainsi une propension, jamais encore atteinte au Mali de la part d’un Président, à violer systématiquement la loi ou à en accommoder certaines dispositions pour les rendre conformes à ses désirs, qui vient s’ajouter à l’instrumentalisation judiciaire systématique au pire systémique, utilisée pour réduire au silence ses éventuels concurrents.
Pour Boubou Cissé, « l’instrumentalisation systématisée de la justice », n’a d’autre dessein que d’assurer et de raffermir la « … mainmise grandissante de la junte militaire sur l’espace politique ». Ce que Kati est en passe de réussir, au regard de la prudente absence de réactions de la classe politique, face aux exactions et aux multiples entorses à la loi auxquelles s’adonne la junte dans la mise en œuvre de ce qu’elle estime être des réformes politiques, bien souvent taillées sur mesure.
Tout cela procède de la volonté du Colonel Assimi de s’assurer un boulevard. Comme bien d’autres hommes politiques, ayant aujourd’hui pris le chemin de l’exil, l’ancien Premier ministre d’ IBK est également l’objet du courroux judiciaire des militaires du Camp Soundjata. Boubou Cissé n’en est d’ailleurs pas à une première démêlée politico-judiciaire avec la junte qui l’avait contraint à de longs mois de clandestinité. A l’époque, la junte l’accusait de tentative de coup d’Etat contre elle et avait à cet effet épinglé d’autres présumés complices, dont le chroniqueur Ras Bath. Toutefois, la justice de l’époque avait conclu à un non-lieu, contraignant la junte toute penaude à desserrer l’étreinte, avant qu’elle ne farfouille à nouveau pour ressortir l’affaire des surfacturations du marché Paramount et faire récemment de l’exilé, en compagnie d’autres personnalités, une monnaie d’échange dans l’affaire des 46 militaires détenus par Kati, en guise de contrepartie pour leur libération. Cependant, « j’entends que mon nom est mêlé à cette affaire, mais je ne sais pas si je suis concerné directement. Quoi qu’il en soit, que je le sois ou non, demander ce genre de troc à un pays ami relève du chantage. C’est moralement choquant, contraire au droit et à toutes les règles diplomatiques », condamne Boubou Cissé. Par ailleurs, la posture au tout bellicisme de la junte ne trouve aucune grâce aux yeux de l’ancien chef de gouvernement pour qui, « évidemment, le Mali doit parler aux autres nations d’égal à égal. Mais cela ne peut pas passer par l’invective permanente », dont sont pourtant coutumiers les Colonels de Kati au pouvoir à Bamako.
Pas de quoi rassurer des soudards, de plus en plus acculés par les réalités triviales de la gestion publique, se heurtant aujourd’hui à nombre d’écueils qui commencent à nourrir une grogne populaire confrontée à une situation un peu plus insupportable chaque jour.