Par corruption j’entends l’ensemble des pratiques d’enrichissement illicite des agents publics. En fin 2022, l’Etat du Mali aura dépensé dans le Bureau du Vérificateur Général (BVG) 59 230 385 000 FCFA de 2004 à 2022, soit une moyenne annuelle de 3 117 388 684 de FCFA sur la période. Qui peut objectivement affirmer que ce montant faramineux, environ 60 milliards de FCFA, à servir à réduire d’un iota la corruption au Mali ?
De 2017, année de l’installation du président de l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite (OCLEI), à fin 2022, l’OCLEI aura englouti 9 926 197 500 FCFA de ressources budgétaires maliennes. Ses allocations budgétaires dépassent désormais le seuil de 2 milliards de FCFA par an depuis 2021.
Le professeur Niang de Jokko ni Maaya avait affirmé sur les ondes de Studio Tamani en 2017 que l’OCLEI ne sera qu’une structure budgétivore de plus. Difficile de lui donner tort à la vue des maigres résultats engrangés par la structure depuis sa création. En octobre 2020, dans la même émission le Grand Dialogue du Studio Tamani, sous les critiques percutantes du Professeur Klèman Dembélé, Oumar Traoré, membre du Conseil de l’OCLEI, déplorait le manque de ressources financières pour que l’OCLEI remplisse convenablement ses missions. L’éternelle rengaine.
À la fin Forokoni bè too aa doggi saara laa. Enfin, en 2022, Djibril Kané du conseil de l’OCLEI reconnaissait sur les ondes de la même radio que l’OCLEI n’était pas en état de fournir l’impact de son action en cinq ans d’activités. Après avoir englouti près de 10 milliards de nos francs, sans compter les appuis des partenaires techniques et financiers, tout ce que l’OCLEI a, à présenter, c’est une dizaine de dossiers d’enrichissement illicite transmis à la justice ! Alors que les naïfs s’attendaient à ce que l’OCLEI aident à recouvrer des dizaines de milliards d’argent sales d’entre les serres des voleurs de la République, nous nous retrouvons une fois de plus à écouter des responsables de premier plan brasser du vent et nous faire prendre des vessies pour des lanternes.
Les 10 milliards de FCFA dilapidés dans l’OCLEI auraient pu servir à soulager les populations du pays dogon empêchées de cultiver par les barbus malfaisants. Ces 10 milliards auraient pu contribuer à nous permettre de nous passer de l’aide que les USA ont accordée au Mali, en fin septembre 2022, pour lutter contre la famine dans le pays. C’est parce que depuis toujours qu’une petite minorité dilapide nos ressources internes que l’Etat est chaque fois obligé de tendre sa sébile pour que les Maliens ne meurent pas de faim. Ce sont ces innombrables cas de mauvaise utilisation de nos ressources publiques qui ont conduit le Mali à perdre sa souveraineté dans tous les domaines.
Pour nous nourrir, il nous faut le concours des USA, pour nous défendre, il nous faut le concours de la Russie, pour disposer de routes, il nous faut le concours de l’Union européenne, pour traverser le fleuve à Bamako c’est grâce soit à la France colonisatrice, soit à l’Arabie saoudite, soit à la Chine.
Pour mettre de l’ordre comptable dans nos propres finances publiques, il nous faut être menacé par le FMI, pour financer notre éducation, il faut l’intervention de la Banque mondiale. Bref, pour faire quoique ce soit de sérieux et de décisif au Mali, il nous faut faire des génuflexions, tendre la sébile, demander l’aumône, bénéficier de la générosité ou des calculs géostratégiques d’autres pays.
Tout cela parce que, à tout moment, une petite minorité de nos compatriotes s’accaparent des ressources nationales, les dilapident en des usages improductifs et ostentatoires. Les miettes qu’elle verse aux catégories les plus démunies et aux innombrables « hommes de Dieu » et hommes de caste leur servent à tromper la vigilance du peuple en se présentant comme des personnes généreuses, alors qu’elles sont pires que des vampires buveurs de sang.
Lorsque la Fondation Friedrich Ebert (FES) a demandé aux Maliens, par voie de sondage réalisé en avril 2022, de citer les principaux défis et priorités du Mali, les quatre premiers dans l’ordre étaient : la lutte contre l’insécurité (76%) ; la lutte contre l’insécurité alimentaire (48%), la lutte contre le chômage des jeunes (41%) et la lutte contre la pauvreté (40%). Par contre, seuls 3% des sondés ont estimé que « la lutte contre la mauvaise gouvernance/corruption » était un défi ou une priorité. Pourtant, ils sont près de 82% à trouver que le niveau de corruption est élevé au Mali (43% très élevé et 39% élevé) et 65% à penser que l’impunité est la norme dans notre pays (30% très fréquente et 35% fréquente).
Cette contradiction apparente entre la reconnaissance de l’ampleur de la corruption et la place qu’elle doit avoir dans les priorités des autorités de la transition traduit le désarroi des Maliens. Ils sont désabusés et en sont arrivés à croire que la corruption est un phénomène naturel comme un cyclone. On n’y peut rien contre.
Si nous en sommes arrivés à ce point dans le fatalisme, c’est que depuis toujours les Maliens ont entendu des discours sans effets sur la lutte contre la corruption. Tout récemment, encore Bah N’Daou, avec des accents martiaux, promettait de veiller sur nos deniers publics comme le lait sur le feu, il jouait à son tour la même pièce de théâtre qui a été représentée devant les Maliens par AOK en 1992 puis en 1999, par ATT en 2002 et en 2009, par IBK en 2013 et en 2019.
Assimi est peu loquace, cependant lui aussi a fait quelques représentations de notre tragédie nationale. Il entonne les mêmes berceuses qui ont accompagné les Maliens depuis 1992 jusqu’au jour où, de manière brutale, le peuple se réveillera à nouveau…pour juste remplacer le chanteur et l’orchestre par d’autres qui mettront au goût du jour les mêmes airs. Cela dans le meilleur des cas, car il est de moins en moins certain que le Mali survive longtemps au cancer de la corruption qui le ronge. Les territoires effectivement contrôlés par l’État malien se réduisent comme peau de chagrin de mois en mois. Et si le rythme de perte de contrôle observé depuis 2013 se poursuit, il n’est pas sûr qu’en 2025, il subsiste un État du Mali.
Selon les chiffres de la Loi de Finances rectificative de 2022, le Mali dépensera en 2022, pour sa défense et sa sécurité, 599 884 685 000 de FCFA, soit dix fois plus qu’en 2004. C’est-à-dire presque six cents (600) milliards de FCFA. Les montants de ces dépenses de 2004 à 2022 figurent dans le tableau en face de cet article.
En 2011, dernière année d’avant crise, les dépenses relatives au secteur de la « défense et de la sécurité » ont représenté environ 7,4% des dépenses publiques du Mali et 10,2% de ces dépenses publiques n’incluant pas les investissements financés par des ressources extérieures. En février 2015, pour faire face aux menaces multidimensionnelles auxquelles le pays fait face, l’Assemblée nationale du Mali a adopté un projet de « Loi d’orientation et de programmation militaire » (LOPM) pour la période 2015-2019 dont le budget de mise en œuvre est d’environ 1230 milliards de FCFA .
Avec la Loi de finance rectificative du 13 mai 2015 , les dépenses de LOPM ont été intégrées au budget d’État avec pour conséquence financière l’augmentation de la part relative du secteur de la « défense et de la sécurité » qui s’est élevée à environ 13% des dépenses publiques totales et 17% des dépenses publiques n’incluant pas les investissements financés par des ressources extérieures.
En 2022, les dépenses du secteur de la « défense et de la sécurité » représenteront environ 22,7% des dépenses publiques totales et environ 24,2% des dépenses publiques n’incluant pas les investissements financés par des ressources extérieures. La part des dépenses de défense et de sécurité dans nos ressources propres a donc presque triplé et met ainsi à mal des Finances publiques déjà éprouvées.
L’endettement extérieur dépassera les 50% du Produit Intérieur Brut (PIB) pour la première fois depuis l’annulation en 2006 d’une substantielle part de la dette extérieure multilatérale du Mali dans le cadre de l’initiative Pays Pauvres très endettés (PPTE).
Si la lecture de ce graphique n’est pas suffisamment explicite, nous pouvons ajouter que les dépenses militaires de 2013 à 2022 ont représenté environ 82% des dépenses militaires sur la période 2004-2022. Autrement dit à cause de la guerre les montants moyens des dépenses militaires ont été multipliés par environ 4,42 et malheureusement à l’horizon ne pointe pas une diminution des efforts militaires de l’État malien.
La guerre a également démultiplié l’insécurité et pour y faire face des montants colossaux ont été également mobilisés. Le Mali a dépensé pour sa défense et sa sécurité en 2022 environ dix fois plus d’argent qu’en 2004 .
Aussi faramineux soient ces montants même avec leur décuple nous ne pouvons venir à bout de l’élite politico-administrative la plus vorace, la plus apatride de l’univers. Jamais ne nous pourrons vaincre nos ennemis avec les mêmes pratiques de gestion des affaires publiques. Par contre, même avec les quarts de ces montants, nous le pourrons si nous menons la guerre à la corruption.
Aux grands maux les grands remèdes. Tant qu’un dirigeant ne sera pas prêt à déclarer la guerre à la mauvaise gouvernance, tant qu’un dirigeant ne sera pas prêt à envoyer sa belle-famille derrière les barreaux, si elle est en faute, tant que nous n’aurons pas un dirigeant prêt à nettoyer la magistrature malienne au lance-flammes nous pouvons rêver d’amélioration de nos conditions de vie, mais au réveil, nous n’aurons que de la désolation.
Guerre contre la corruption
En lieu et place d’une lutte implacable contre l’enrichissement illicite, nous assistons encore et encore à des manœuvres dilatoires et d’enfumage des citoyens dont les attentes sont une fois de plus repoussées aux calendes grecques. Nous entendons encore et encore que les dossiers sont en cours d’instruction, que les moyens sont mis à la disposition de la justice, que l’administration de la justice n’est pas un spectacle et qu’il va donc falloir laisser les magistrats instruire en toute quiétude et peut-être quelques victimes sacrificatoires jetées en pâture pour tromper la vigilance du peuple.
Quand il s’est agi de faire un premier puis un second coup d’Etat, ni la constitution ni les lois de la République n’ont constitué d’entraves. Quand il s’est agi de nommer les membres du CNT, le président de la transition ne s’est pas embarrassé du respect des textes. Quand il s’est encore agi de remembrer le CNT, une simple signature a suffi pour mettre en forme le fait du prince. Alors qu’on ne vienne pas nous chanter des berceuses en affirmant que ce sont les procédures judiciaires, des lois ou je ne sais quelle excuse juridique à la noix qui retardent la réalité de la lutte contre la corruption au Mali.
À la différence de la lutte contre la corruption, qui a été chanté et qui n’a jamais abouti au Mali, le gouvernement de la transition doit changer de concept et faire la guerre à la corruption. Pour cela, il doit conformément à la constitution actuelle déclarer officiellement l’état de guerre pour disposer de tous les outils pour sa cause.
Décréter l’état de guerre
C’est la corruption qui est à l’origine de la guerre et c’est la corruption qui nous empêche de la gagner. C’est la corruption qui a été à l’origine de l’affaiblissement de notre armée et c’est la corruption qui l’empêche malgré 3 349 315 645 000 Milliards de FCFA dépensés depuis 2013 d’éliminer définitivement tous les ennemis de Dieu qui assassinent nos vaillants soldats et nos paisibles populations. La corruption est le nœud gordien de tous les problèmes du Mali. Sa réduction à un phénomène résiduel et marginal est la condition sine qua non de la résolution de toutes les priorités des Maliens.
Le pire des effets de l’enrichissement illicite n’est pas le montant faramineux des ressources publiques détournées. Le Mali pourrait aller beaucoup mieux en brûlant chaque année les montants des ressources publiques détournées, s’il n’y avait pas d’enrichissement illicite.
Le pire c’est qu’étant donné que point n’est besoin d’une qualification professionnelle particulière pour s’y adonner ou encore moins des efforts acharnés, l’enrichissement illicite tue le travail bien fait, encourage la médiocrité et la paresse physique et intellectuelle, annihile l’esprit d’initiative et la volonté créatrice, annule tout désir de se former dans l’emploi et décourage les élèves et les étudiants à donner le meilleur d’eux-mêmes car même avec un diplôme acheté, ils auront suffisamment de compétences pour s’enrichir de manière illicite sur le dos de la patrie. L’enrichissement illicite brise l’échine d’une nation.
Cela est ma contribution et elle appelle nécessairement à être enrichie par les nombreuses propositions déjà élaborées par des individus ou des citoyens ordinaires regroupés en association. Mais en l’état actuel, elle peut déjà être mise en œuvre.
Ce serait stupide d’attendre l’échec de la transition pour la critiquer après coup. Ce serait absurde d’attendre de militaires, qui ont passé l’essentiel de leur carrière sur le terrain, de comprendre le mode de fonctionnement de l’Etat. Ce serait donc suicidaire de ne pas les accompagner dans la gestion des défis existentiels auxquels notre patrie fait face. Les accompagner signifie aussi leur dire ce qu’il lui faut faire en toute franchise et sans prendre de gants.
L’échec d’Assimi ne sera pas certainement celui de la jeunesse malienne, mais elle en paiera sans doute le prix. Alors, Assimi, tu vas réussir avec notre accompagnement et tu ne nous conduiras pas à l’abattoir dans le silence. Si tu réussis, les plus grands honneurs seront pour toi, mais la plus grande satisfaction sera pour nous les Maliens ordinaires !