Une semaine après la grande sortie des religieux pour dénoncer des « propos blasphématoires » contre le Coran et l’Islam, le président du Haut conseil islamique du Mali, Chérif Ousmane Madani Haïdara, a été reçu en audience par le président de la Transition, le colonel Assimi Goïta, le vendredi 11 novembre. Même si rien n’a filtré de cet entretien, on pourrait penser que les mises en garde formulées à l’encontre des autorités par le Guide des Ançars étaient à l’ordre du jour.
Au-delà de la colère des religieux musulmans, toutes obédiences confondues, contre ces « propos et actes blasphématoires », l’occasion a surtout été mise à profit par le président du HCIM pour dénoncer « l’exclusion des religieux » des affaires publiques. Il n’avait pas hésité à exprimer sa colère quant au refus des autorités de retenir des noms proposés par la faitière des organisations religieuses pour intégrer le gouvernement de même que le Conseil national de transition (CNT).
Pour protester contre cette situation, il avait même annoncé que les religieux ne se laisseront plus faire. En clair, les propos de Chérif Ousmane Madani Haïdara sonnaient comme des menaces à peine voilées.
Pourtant, de tout temps, l’homme avait clairement indiqué que les postes, fonctions, privilèges et autres avantages qu’il pouvait tirer des autorités ne l’intéressaient pas. Et que seuls ses postes de président du Groupement des leaders spirituels musulmans du Mali et de guide spirituel des Ançars comptaient le plus à ses yeux.
Déjà, à la surprise générale et alors qu’il paraissait s’y désintéresser, il avait pris la succession de l’Imam Mahmoud Dicko à la tête du Haut conseil islamique du Mali (HCIM) en avril 2019. Apparemment, l’homme est devenu très ambitieux jusqu’à réclamer des postes pour les religieux dans la gestion des affaires de l’Etat.
En le recevant en audience le vendredi 11 novembre dernier, le président de la Transition, le colonel Assimi Goïta, va devoir lui faire beaucoup de concessions. Déjà, parmi les postes auxquels pourraient prétendre les religieux, figurent des portefeuilles ministériels avec le remaniement qui devrait intervenir conformément aux dispositions de la nouvelle Charte de la Transition.
Par ailleurs, selon certains, cette nouvelle pourrait conforter les religieux et les pousser à réclamer plus que de raison. Ce qui les replacerait forcément au centre du jeu et des prises de décisions comme par le passé.
La nécessité d’un dialogue entre tous les acteurs de la société
L’on sait que dans ce milieu, ils sont aussi nombreux à exprimer leur hostilité à la laïcité de l’Etat également inscrite dans l’avant-projet de nouvelle Constitution. Pour évoquer la force et le poids que représentent les religieux au Mali, il suffit de revenir en arrière.
En 2009, c’est à cause de leur influence que certaines dispositions du Code de la famille ont été purement biffées. On se souvient aussi qu’en 2019, c’est sous leur pression que l’ancien Premier ministre feu Soumeylou Boubèye Maïga a démissionné puisqu’il avait été accusé d’être à la base de l’introduction d’un module sur l’éducation sexuelle complète dans l’éducation.
Les religieux étaient également à l’origine de la chute de l’ancien président feu IBK puisque les mouvements de contestation qui ont vu la naissance du M5-RFP ont été formés autour de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’Iman Mahmoud Dicko (CMAS).
Même pendant la première partie de la transition – septembre 2020 à mai 2021 – c’est en raison de leur pression que l’ancienne ministre de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille, Mme Bouaré Bintou Founé Samaké, n’a pas été reconduite. Elle était sous le feu des critiques pour avoir initié un projet de loi contre les violences basées sur le genre (VBG) également rejeté par les religieux.
Tout ceci montre à suffisance combien les religieux ont encore de l’influence et leur exclusion de la gestion des affaires publiques peut s’avérer lourde de conséquences. En même temps, il faut mettre des limites à tout pouvoir avant qu’il ne prenne des proportions insoupçonnées.
En tout état de cause, un dialogue doit s’imposer entre tous les acteurs de la société pour éviter au Mali d’autres soubresauts.