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L’œil de Le Matin : Refusons de suivre des pyromanes déterminés à rompre le peu qui reste de notre équilibre social
Publié le vendredi 18 novembre 2022  |  Le Matin
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Englué dans une crise multidimensionnelle depuis près de deux décennies, le Mali n’a pas totalement basculé dans le chaos à cause de certains équilibres comme la coexistence pacifique de nos religions. Un mince équilibre malheureusement soumis ces derniers jours à rude épreuve à cause de l’irresponsabilité de ceux qui voient la laïcité autrement que le respect de la liberté du culte.

C’est ainsi que nous avons appris que le Collectif «Je suis Malien et Chrétien, ne touche pas à ma religion» a déposé une plainte auprès du procureur de la République auprès du Tribunal de grande instance (TGI) de la commune IV de Bamako contre l’imam Mahi Ouattara pour «mépris, insultes et blasphème envers la religion chrétienne par voie de médias sociaux et Internet». Heureusement, il a retiré ladite plainte contre après une médiation du HCI-Mali qui a sans doute mesuré la portée de cette plainte et ses conséquences sur l’ordre public.

Il est vrai que la vidéo incriminée est choquante et ne colle pas à la réalité socioreligieuse de notre pays. L’attaque de l’imam Ouattara est d’autant injustifiée que celui qui s’est attaqué à l’islam n’est pas chrétien et son acte a été massivement condamné dans la communauté chrétienne qui a manifesté aux côtés des musulmans le 5 novembre dernier à la Place de l’indépendance. Autrement, l’imam avait toutes les raisons de faire l’économie de cette provocation. En y cédant, il donne raison à ceux qui prêchent pour un assainissement du secteur du prêche dans ce pays. Ce à quoi le Haut conseil islamique (HCI/Mali) travaille d’ailleurs.

Aujourd’hui, personne n’a intérêt à chercher à réduire l’espace de tolérance et d’acceptation réciproque qui est l’un des caractéristiques majeures de la société malienne depuis des siècles. Bien au contraire, nous devons chercher le vrai dialogue par la collaboration entre chrétiens et musulmans dans les divers chantiers de la construction du pays comme «la promotion humaine, l’éducation, la santé ou les affaires sociales». Et selon des statistiques officielles, plus de 80 % des élèves de l’enseignement privé catholique viennent de familles musulmanes (qui font confiance à cette institution) et un bon pourcentage des enseignants sont également des musulmans qui «épousent pleinement le projet éducatif de l’église, basé sur une vision spirituelle de l’Homme».

De l’avènement de la démocratie à aujourd’hui, musulmans et chrétiens ont marché main dans la main pour dénoncer toutes les atteintes à la personne humaine et les tares de notre gouvernance, pour plaider le vivre ensemble et la cohésion sociale… Sans compter que, dans notre pays, la communauté chrétienne a toujours fait montre de sagesse, de tolérance… en pratiquant sa foi dans la discrétion et dans le strict respect de toutes les autres religions. On se rappelle par exemple que, en janvier 2018, les leaders des jeunesses musulmanes et chrétiennes du Mali s’étaient engagés à promouvoir le dialogue interreligieux dans le pays.

Nous sommes sur la même longueur d’onde que les communautés chrétiennes du Mali (Association des Groupements des églises et missions protestantes évangéliques au Mali, Conférence épiscopale du Mali) qui, dans une déclaration datant du 9 novembre 2022, ont rappelé suivre «avec une attention soutenue l’évolution de la situation sociopolitique» de notre pays qui est en train de prendre «une dimension autre aux conséquences qui peuvent être incalculables».

Nous avons croisé les bras, indifférents, pour les regarder mettre à feu et à sang le centre de notre pays sous prétexte d’un antagonisme violent entre peuls et dogons. Aujourd’hui, ils sont encore à la manœuvre pour faire basculer le pays dans une guerre de religion. Nous avons déjà tous les problèmes du monde à faire face aux conséquences dramatiques du terrorisme. Ce n’est donc pas le moment d’ouvrir une autre boîte aux pandores. Nous avons presque toujours accepté nos différences pour une vie communautaire harmonieuse. Il n’y pas de raison d’y renoncer en ce moment précis où notre pays a besoin d’unité et de cohésion sociale pour sortir de l’impasse de l’insécurité, de l’instabilité.

Il est donc du devoir de nous tous d’œuvrer à empêcher l’effondrement de la digue de la tolérance religieuse, de la cohabitation pacifique des différentes religions pratiquées dans notre pays. Si jamais cette digue cède, elle emportera ce qui reste de la fondation de la nation et de la République. Que Dieu nous en préserve.

Moussa Bolly
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