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Entre Nous : Sous la pression de la « rue »
Publié le mardi 22 novembre 2022  |  Le challenger
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Depuis peu, la grogne enfle du côté des syndicats de magistrats. La cause ? Un projet de modification de la loi sur la Cour suprême adopté récemment par le Conseil des ministres.

Les syndicats semblent voir dans ce projet une faveur indûment faite aux membres de la Cour suprême par la nouvelle disposition insérée dans l’article 18 de la loi n°2016-046 du 23 septembre 2016 sur l’organisation, les règles de fonctionnement de la Cour suprême et la procédure suivie devant elle.

Cette réforme, si elle venait à être votée, en rajouterait à la contradiction qui existe déjà entre le statut des magistrats et la loi organique sur la Cour suprême et justifierait la réprobation et la levée de boucliers des syndicats.



Les arguments de part et d’autre
Pour justifier la nécessité d’aller à la relecture de l’article 18, le camp de ceux qui y sont favorables, met en avant deux arguments :

Elle permettrait que les membres de la Cour suprême achèvent le mandat pour lequel ils sont nommés conformément à la loi.
Elle éviterait que la limite d’âge “oblige” certaines compétences encore utiles à la mission de la haute juridiction à faire valoir leurs droits à la retraite alors que leur mandat serait encore en cours.
Le statut particulier et constitutionnel d’institution de la République” dont bénéficie la Cour suprême qui devrait lui valoir certains “privilèges” s’ajoutant pour certains à ces deux arguments.

A l’opposé, les syndicats estiment que les membres de la Cour suprême, pour hauts magistrats qu’ils sont dits, n’en demeurent pas moins des magistrats tout court dont la gestion de la carrière reste réglée par le Statut à l’instar de tous les autres magistrats. Et donc, qu’aucun privilège touchant leur carrière ne saurait leur être accordé à l’exclusion de leurs collègues des juridictions de degré sans violer la loi sur le Statut.

Comme on le constate, chaque camp a des arguments de droit à faire valoir.

Si la loi nomme les membres de la Cour suprême pour un mandat, celui-ci doit être entendu pour impératif et ne devrait prendre fin que dans les conditions déterminées par la loi.

Justement, le problème est que parmi celles-ci, figure la limite d’âge. Or cette limite est fixée actuellement à 65 ans pour l’ensemble des magistrats par le Statut de la magistrature.



Les syndicats sont, pour partie, dans leurs droits
Une loi ne pouvant autoriser les magistrats, membres de la Cour suprême à poursuivre leur carrière au delà de la limite qui leur est imposée par une autre loi en leur qualité de magistrats, les syndicats sont dans leurs droits de s’opposer à la relecture de l’article 18 pour autant qu’il leur paraît comme attentatoire à l’égalité de traitement pour tous les magistrats.

Cela devrait être leur seul argument d’ailleurs sans qu’ils aient, à tort, à vouloir remettre en cause le statut particulier d’institution de la République que la Constitution accorde à la Cour suprême et qui en fait une entité qui n’a de commun avec les juridictions de jugement que le statut général des magistrats, des hommes et des femmes qui officient.



III. La Cour suprême n’est pas qu’une juridiction, ses membres ne sont pas que des magistrats

Nous en voulons pour preuve la loi n°2016-046 du 23 septembre 2016 fixant l’organisation, les règles de fonctionnement de la Cour suprême et la procédure suivie devant elle.

Sans mettre en cause (dans son texte en vigueur) les principes généraux contenus dans le Statut, relatifs à la carrière des magistrats, notamment au début et à la fin de celle-ci, cette loi organique pose des principes qui tiennent compte de sa nature spécifique, de la particularité de son statut, de sa mission et des fonctions de ses membres.

C’est en raison, entre autres, de cette spécificité :

Qu’elle est érigée au rang d’institution de la République par la Constitution du 25 février 1992 ;
Qu’une loi organique en détermine l’organisation, les règles de fonctionnement et la procédure suivie devant elle malgré l’existence des textes de loi portant organisation judiciaire qui ne s’appliquent qu’aux juridictions de jugement ;
Que ses membres prêtent serment en leur qualité, non plus de magistrats (ils l’ont déjà fait avant d’être renvoyés à l’exercice de leurs premières fonctions), mais de celle qui s’y ajoute désormais, de membres de la Cour suprême…


Quelles solutions pour rapprocher les positions ?
Une grève des syndicats pour des questions de simple discordance entre des textes s’appliquant dans le même et seul secteur de la justice paraîtrait stupide aux yeux de l’opinion et pourrait être perçue comme le “linge sale qui aurait pu être lavé en famille” et épargner les justiciables, qui y sont étrangers à tous égards, un arrêt dans la distribution du service public de la justice aux conséquences désastreuses.



Pour l’éviter, nous proposons aux parties de mettre immédiatement en place un comité de médiation interne regroupant : les représentants du département de la justice, les représentants des syndicats, le bureau de la Cour suprême… afin de convenir :

Du retrait du circuit d’adoption du projet de modification de l’article 18 de la loi 2016-046 du 23 septembre 2016.
De la levée par les syndicats de leur mot d’ordre de grève.
Du renvoi à la relecture en cours du Statut de la magistrature du souci réel d’harmoniser les dispositions du Statut relatives à la limite d’âge et celui de permettre que les membres de la Cour suprême, même atteints par la limite d’âge, puissent poursuivre leur mandat jusqu’à son terme (ce cas de figure devrait alors être exceptionnel).
De l’ajout aux conditions de nomination à la Cour suprême d’une limite d’âge tenant compte de la durée éventuelle du mandat (initial et renouvelé) de sorte à éviter que soient nommés des magistrats qui seraient à moins de 5 ans (la durée minimum du mandat de membre) de la retraite.
De la nécessité de veiller à éviter que désormais toute règle particulière à une structure au sein de laquelle se trouvent des magistrats soit ou conforme au statut général des magistrats dans ses dispositions auxquelles ils continueraient à être soumis ou qu’on les mette hors du champ d’application des dispositions du statut qui seraient incompatibles avec leurs fonctions.
Amadou T. DIAKITE,

Magistrat, Avocat général à la Cour suprême.
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