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Tiéman Hubert Coulibaly : « Assimi Goïta est un dictateur »
Publié le lundi 28 novembre 2022  |  Jeune Afrique
Tieman
© aBamako.com par mouhamar
Tieman Hubert Coulibaly, Ministre malien de la défense et des anciens combattants
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Pour l’ancien ministre de la Défense et des Affaires étrangères d’Ibrahim Boubacar Keïta, la junte au pouvoir à Bamako conduit le Mali à sa perte. Interview.


Tiéman Hubert Coulibaly, l’ancien ministre malien des Affaires étrangères, à Paris, le 22 novembre 2022. ©️ Vincent Fournier pourJ A

Son ton était nettement plus feutré quand il était ministre d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Désormais opposant à la junte au pouvoir à Bamako, Tiéman Hubert Coulibaly, qui vit en exil, ne mâche plus ses mots. Et lâche ses coups contre Assimi Goïta et les colonels qui dirigent la transition depuis leur coup d’État contre son ancien patron, en 2020.

Celui qui fut ministre de la Défense, de l’Administration territoriale et des Affaires étrangères du défunt IBK entre 2015 et 2018 est persona non grata au Mali. Depuis juillet dernier, il est visé par un mandat d’arrêt international émis par la justice malienne, qui l’accuse, ainsi que ses ex-collègues Boubou Cissé et Mamadou Igor Diarra, de « crime de faux, usage de faux et atteinte aux biens publics » dans une affaire d’achats d’équipements militaires remontant à 2015.

« Nomade », comme il se décrit lui-même, le président de l’Union pour la démocratie et le développement (UDD) a rendu visite à Jeune Afrique à l’occasion de l’un de ses passages à Paris. Selon lui, l’heure n’est pas aux petits calculs politiciens en vue d’une éventuelle élection présidentielle en 2024, mais à la mobilisation contre le régime de la transition que dirige Assimi Goïta, dont il réclame le départ. Entretien.

Jeune Afrique : Dans le mandat d’arrêt international qu’elle a émis à votre encontre, il est écrit que la justice malienne vous soupçonne d’avoir détourné de l’argent lors de l’achat de véhicules blindés à la société sud-africaine Paramount quand vous étiez ministre de la Défense, en 2015. Que répondez-vous à cela ?

Ces accusations sont fausses. Elles ont un fondement politique. Ce dossier Paramount n’en est pas un. Il s’agissait d’engager un programme de rééquipement de l’armée malienne, qui avait besoin de reconstituer ses capacités blindées. Le contrat a été signé conformément à toutes les procédures prévues en la matière : passage devant le Conseil supérieur de défense nationale, programmation des acquisitions dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation militaires – le tout en partenariat avec les ministères concernés, au premier rang desquels celui de l’Économie et des Finances. Dans ce genre de contrats, le ministère de la Défense est l’acheteur, et le ministère de l’Économie et des Finances, le payeur.

NI MES AVOCATS NI MOI N’AVONS EU ACCÈS AU DOSSIER PARAMOUNT

Comment expliquez-vous que ce contrat ait été suspendu puis amendé par Boubou Cissé quand il est arrivé au ministère de l’Économie et des Finances ?

Des questions relatives à certains moyens de paiement restaient en suspens. Le ministre de l’Économie et des Finances avait en effet estimé que les billets à ordre ne correspondaient pas à la réglementation, ou, en tout cas, qu’ils ne lui convenaient pas.

Comme il était le payeur, il a amendé le contrat pour prévoir d’autres instruments de paiement. Cela s’est fait au moment où j’étais déjà parti du ministère de la Défense, en septembre 2016. Je me souviens toutefois avoir tenu des réunions techniques d’ajustement pour faire en sorte que les deux ministères soient parfaitement en phase pour l’exécution de ces contrats.

Avez-vous eu accès au dossier ?

Ni mes avocats ni moi n’y avons eu accès.

L’AFFAIRES DES 46 SOLDATS PORTE GRAVEMENT ATTEINTE À NOS RELATIONS AVEC LA CÔTE D’IVOIRE

Les autorités ont, un temps, conditionné la libération des 46 soldats ivoiriens détenus à Bamako à votre extradition et à celle d’autres ressortissants maliens réfugiés à Abidjan. Diriez-vous, comme certains responsables ivoiriens, qu’il s’agit d’un « chantage » ?

Il s’agit, à l’évidence, d’un chantage ! J’estime, par ailleurs, que retenir ces militaires ivoiriens au Mali dans ces conditions relève d’un comportement curieux compte tenu des relations entre nos deux pays et de leurs enjeux politiques, économiques, historiques et même sociaux. Cette affaire n’avait pas lieu d’être.

S’il ne voulait pas de ce contingent, le Mali aurait simplement dû en avertir les autorités ivoiriennes et renvoyer ces militaires dans leur pays. Ce qu’il se passe aujourd’hui est un fait sans précédent dans l’histoire des relations entre le Mali et la Côte d’Ivoire. Cela porte gravement atteinte à la coexistence pacifique qui a toujours prévalu entre nous.

Avez-vous quitté la Côte d’Ivoire pour cette raison ?

Très sincèrement, je ne pense pas avoir été un seul instant en danger en Côte d’Ivoire ni en délicatesse avec les autorités ivoiriennes. Bien sûr, il ne faut pas non plus que ma personne devienne un enjeu dans les relations bilatérales, ni un facteur gênant pour ceux qui m’ont offert une hospitalité fraternelle et généreuse.

Où résidez-vous aujourd’hui ?

Je suis devenu un nomade, par la force des choses. Je vais ici et là…

… et donc en Côte d’Ivoire ?

Oui.

Êtes-vous prêt à être entendu par la justice de votre pays ?

Dans une interview que j’ai accordée à la chaîne malienne Joliba TV, qui en a d’ailleurs fait les frais, j’ai dit que j’étais prêt à répondre devant n’importe quelle commission rogatoire qui serait désignée par les autorités maliennes.

Donc n’importe où, à l’exception de Bamako ?

Comment pouvez-vous imaginer que j’aille m’offrir [en pâture] à des gens qui n’ont aucun égard pour les droits humains ?

Vous dénoncez une procédure politique, qui viserait à briser vos ambitions et celles des autres personnalités citées dans cette affaire – comme les anciens ministres Boubou Cissé et Mamadou Igor Diarra. La justice est-elle aux ordres de la junte ?

Comparé à ce qu’il se passe actuellement au Mali, mon sort personnel n’est pas très important. Je dénonce une instrumentalisation de la justice, mais, ce qui est en jeu, ce n’est pas ma carrière ; c’est la démocratie et l’esprit républicain que nous avons essayé de construire. Ces actes visent évidemment à éloigner, voire à neutraliser ceux qui pourraient faire entendre une voix différente et discordante. Voilà la vérité. Il s’agit de menacer des hommes politiques capables de porter la contradiction [au pouvoir] et d’offrir une vision différente, de les éloigner du pays, voire de les faire taire à jamais.

Avez-vous fait l’objet de menaces ?

Être menacé d’être envoyé en prison est déjà bien suffisant. Souvenez-vous du cas de Soumeylou Boubeye Maïga – paix à son âme –, qui a été emprisonné et a perdu la vie.

Avez-vous reçu des menaces de mort ?

Des menaces planent. Je n’entrerai pas dans les détails.

CETTE JUNTE GOUVERNE DE MANIÈRE INDÉCENTE ET FAIT PREUVE D’UNE GRANDE INCOMPÉTENCE

Iriez-vous jusqu’à dire que le Mali est redevenu une dictature militaire ?

Ceux qui sont au pouvoir se comportent exactement comme des dictateurs. C’est leur véritable nature.

Et Assimi Goïta ?

C’est un dictateur. Il dirige un système dictatorial. De mon point de vue, c’est clair. Mais il est tout aussi clair que l’esprit républicain n’est pas mort. Les derniers développements le prouvent bien. Aujourd’hui, une bonne partie de l’opinion s’est rendue à l’évidence : cette junte gouverne de manière indécente et fait preuve d’une grande incompétence.

Notre pays est totalement isolé. Les forces terroristes exercent leur autorité sur près de 80% du territoire. L’administration, du moins le peu qu’il en restait, n’est plus en état de fonctionner. Des dangers réels pèsent sur la sécurité, individuelle et collective. Et je ne parle même pas de l’économie. Depuis quelque temps, toutes les organisations syndicales, sentant le danger, et, surtout, l’inefficacité de ce gouvernement, sont dans la rue. Les grèves se succèdent. C’est bien la preuve que ce pays est totalement bloqué du fait de l’incompétence et des mauvais choix qui ont été faits dès le début de cette transition.

Lesquels ?

Le choix de l’isolement, par exemple.

CETTE JUNTE VEUT FAIRE DE NOS PARTENAIRES DES ENNEMIS DU PEUPLE MALIEN ALORS QUE CE N’EST PAS VRAI

Regrettez-vous que la junte ait décidé de rompre avec les pays occidentaux, et en premier lieu avec la France, pour se rapprocher de la Russie ?

Je regrette le choix fait par cette junte de s’inventer des ennemis, et de vouloir faire de l’ensemble de nos partenaires des ennemis du peuple malien alors que cela n’est pas vrai. Prenons l’exemple de la Côte d’Ivoire. Nous sommes tous deux membres fondateurs de la Cedeao. Or cette junte se démène pour faire passer la Cedeao pour une organisation scélérate.

Nous avons aussi des relations de coopération de longue date avec la France et d’autres pays. Le Mali, enclavé en raison de sa position géographique et de son histoire, a vocation à entretenir les meilleures relations possibles avec l’ensemble des pays du monde. Y compris avec la France et avec la Russie.

Le recours aux mercenaires du groupe Wagner est-il une bonne solution ?

Un pays ne devrait jamais accepter d’introduire des mercenaires sur son territoire, parce qu’il deviendra forcément leur première victime. J’ai toujours dit et répété que j’étais partisan d’une coopération avec les États, et non avec des groupes militaires privés.

LES MALIENS COURENT LE RISQUE IMMÉDIAT DE PERDRE LEUR PAYS

En l’occurrence, un groupe étroitement lié au Kremlin…

Je me souviens d’une déclaration de Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères. Il avait admis que des sociétés privées russes étaient présentes en Afrique, notamment au Mali, mais avait assuré que l’État russe n’avait rien à voir dans ces affaires. Je m’en tiens à cette déclaration.

De toute manière, je ne vois pas en quoi ces groupes paramilitaires contribuent à la stabilisation du Mali. Aujourd’hui, la situation a empiré sur le plan sécuritaire. Tout s’est détérioré. Des groupes terroristes, notamment la GSIM [Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans] et l’EIGS [État islamique au Grand Sahara], s’affrontent sur notre territoire afin d’établir leur autorité sur certaines régions. L’EIGS s’est renforcé avec l’arrivée de combattants et de chefs étrangers. Ce problème se pose au colonel Goïta. Mais quelle réponse y apporte-t-il ?

LE PROGRAMME DES MILITAIRES, C’EST DE L’ESBROUFFE, DEPUIS LE DÉPART

Pensez-vous qu’une élection présidentielle se tiendra en février 2024, comme cela a été annoncé ?

Quand vous voyez ce qui se passe dans le Nord et que vous savez que les groupes terroristes ont des vues sur le Sud et l’Ouest, votre réflexion porte davantage sur la réponse à apporter à ces gigantesques défis qui sont lancés aux Maliens et au Mali. Organiser une élection suppose que l’on « tienne » un territoire. Or, avec cette junte, les Maliens courent le risque immédiat de perdre leur pays. Il faut donc imaginer un nouveau dispositif : une transition, civile, qui apporterait des réponses à toutes ces questions.

Vous pensez donc qu’il n’y aura pas de scrutin dans deux ans ?

Les militaires au pouvoir n’ont aucune intention d’organiser des élections. Leur programme, c’est de l’esbrouffe, depuis le départ. Ils gagnent du temps. Toute la querelle qui les oppose aux civils est là : leur objectif était d’éradiquer la classe politique et de s’installer durablement au pouvoir. Malheureusement, ils n’ont pas su gouverner. Vous ne pouvez pas quotidiennement diviser votre pays, servir des mensonges au peuple pour le chauffer à blanc contre des compatriotes que vous traitez d’apatrides, flatter un nationalisme totalement inutile afin de détruire les relations tissées avec nos voisins depuis des siècles et espérer obtenir des résultats !

Si ces élections ont finalement lieu, Assimi Goïta aura-t-il le droit de s’y présenter ?

Il n’en n’a pas le droit mais il a l’intention de le faire. Ses soutiens préparent sa candidature.

Vous faites partie du Cadre d’échange des partis et regroupements politiques. Cette coalition doit-elle présenter une candidature commune ?

Il est prématuré d’évoquer ces sujets. Je ne suis pas obsédé par cette élection, mais par le sort du Mali.

LE MALI A BESOIN D’UNE NOUVELLE TRANSITION, DIRIGÉE PAR DES CIVILS

Cela signifie-t-il que vous ne souhaitez pas être candidat ?

Vous voulez que je prononce sur un sujet secondaire comparé à l’actualité. Aujourd’hui, l’objectif principal est de faire en sorte que le Mali dispose d’une équipe de transition compétente, composée de civils, afin sortir de cette situation. C’est à ce prix que des élections pourront se tenir. Il serait indécent de ma part de vous parler de ma candidature ou de vous parler des élections pendant que mon pays se trouve dans une telle situation.

Si nous continuons à nourrir le débat en évoquant nos candidatures ou nos petites ambitions personnelles, cette junte se maintiendra au pouvoir. Nous devons, nous, hommes politiques républicains, trouver le moyen de débarrasser le Mali de cette équipe.

Comment parvenir à une transition civile ?

Il faut amener Assimi Goïta et sa junte à se retirer, afin que s’installe une équipe capable de sortir notre pays de cette situation cauchemardesque.

Quels pourraient être ces moyens ?

Les jours, les semaines et les mois à venir nous apporteront des idées.

Seriez-vous prêt à participer à une telle transition ?

Je suis prêt à contribuer à la définir et à trouver les moyens pour la mettre en place. Encore une fois, et ce n’est pas de la démagogie, je ne suis pas préoccupé par mon sort ou par ma carrière. J’ai été ministre plusieurs fois, j’ai servi mon pays avec un engagement total et beaucoup de fierté. Mon souci, c’est l’avenir du Mali.

Jeune Afrique
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