Le colonel-major Kèlètigui Traoré a fait la fierté de l’Armée malienne. À la retraite depuis quelques années, il s’est prêté à nos questions relatives notamment au respect de la souveraineté du Mali, aux choix des autorités de la Transition, aux rapports entre le Mali et la France
L’Essor : Dans le cadre de la refondation de l’État, le président de la Transition, le colonel Assimi Goïta, a défini trois principes à savoir : le respect de la souveraineté du Mali, le respect des choix des partenaires et des choix stratégiques opérés par le Mali et la prise en compte des intérêts vitaux du peuple malien dans les décisions. Quel sens donnez-vous à ces trois principes qui tiennent à cœur le chef de l’État ?
Kèlètigui Traoré : La politique de défense de toutes les grandes puissances repose sur les trois principes que le président Assimi Goïta a définis. C’est le cas de la France. Ce pays ne va jamais s’engager dans quelque chose où il n’y a pas son intérêt, où on ne respecte pas sa souveraineté et l’intérêt de son peuple. C’est un principe de gouvernance dans le cadre de la défense. Donc, le président Assimi Goïta est dans son plein droit.
L’Essor : Il est normal que chaque pays soit jaloux de sa souveraineté. Il y a eu une immixtion de plusieurs acteurs étrangers dans la crise que nous traversons depuis 2012. Certains essayent même de piétiner la souveraineté du Mali ? Pensez-vous que la solution à cette crise doit être avant tout malienne ?
Kèlètigui Traoré : La solution sans être malienne place le Mali au centre. C’est-à-dire que notre pays est obligé de travailler avec certains États dès lors qu’il n’est pas producteur d’armes et que le niveau de son Armée ne lui permet pas de couvrir de tel espace en si peu de temps. Donc, il est clair que la gestion de cette crise dépendra surtout de l’efficacité des Forces armées maliennes (FAMa) mais en coopération avec d’autres forces. Maintenant, nous sommes obligés de choisir ces forces puisqu’il s’agit d’une question de souveraineté. Je pense que le Mali peut traiter avec tous les pays de son choix et ce choix doit être respecté. L’Essor : La France a toujours tenté d’influencer les choix politiques et économiques de ses anciennes colonies dont le Mali. Celles qui ont essayé de résister ont été victimes de représailles. Est-ce qu’aujourd’hui, il n’est pas temps de remettre en cause cette attitude paternaliste de l’ancienne puissance coloniale ?
Kèlètigui Traoré : La France vit sur le dos de ses anciennes colonies. Il y a un système d’exploitation qu’elle a mise en place. Chaque fois qu’un pays veut s’extraire de ce système, la France se met en colère. Ce pays n’a pas d’égard envers ses anciennes colonies. Pour les autorités françaises, nous sommes incapables de réflexion et nous ne devrions pas leur dire non. Chaque fois qu’un pays africain dit non à la France, elle est énervée et ne comprend pas cela. Tantôt on dit que c’est la Russie qui manipule ce pays. Tantôt on dit que c’est la Chine ou d’autres puissances. Alors qu’en réalité, il n’en est rien. Pendant des décennies, la France est en train de commettre les mêmes erreurs. Le Mali a décidé de changer les choses. Son choix doit être respecté.
L’Essor : Aujourd’hui, les relations entre le Mali et la France sont très tendues. Les deux pays sont presqu’au bord de la rupture. Quel commentaire faites vous ?
Kèlètigui Traoré : Je demanderai à la France de mettre un peu d’eau dans son vin. Quand un État comme la France que nous respectons beaucoup, se met à faire de la politique de deux poids deux mesures. Pour la même situation, on voit les autorités françaises donner deux interprétations différentes. Il y a eu coup d’État au Mali, la France a donné son point de vue. Il y a eu la même chose au Tchad, elle a donné un autre point de vue. Donc, il se n’agit pas du même coup d’État mais plutôt de l’intérêt de la France. Vous faites vingt coups d’État mais tant que vous sauvegardez les intérêts vitaux de la France, elle vous traite de démocrate. Mais une fois que vous dites non à la France, elle vous considère comme un putschiste. Les écarts de langage utilisés par les responsables français à l’égard des autorités maliennes ne sont pas acceptables. Quand le président Macron sort pour traiter les autorités maliennes de junte, c’est irritant. Raison pour laquelle, je félicite encore une fois le Premier ministre par intérim qui a traité de junte les autorités de la France à la tribune des Nations unies. Je souhaite que les autorités françaises, notamment le président Macron, apprennent à se respecter pour qu’on les respecte aussi. Qu’elles mettent la diplomatie en avant, sinon le Mali sera obligé de répondre par la réciprocité. Je pense que la balle est dans le camp des Français. Le Mali n’a aucun intérêt à aller contre la France. Mais, dès lors que les autorités françaises ne nous respectent pas et pensent que nous devons suivre leurs instructions, cela ne marchera pas.
L’Essor : Le gouvernement de la Transition dit avoir noué un partenariat stratégique avec la Russie pour lutter efficacement contre le terrorisme. Il compte le faire avec d’autres pays comme la Chine, la Turkiye. Pensez-vous qu’il s’agit des choix à encourager ?
Kèlètigui Traoré : J’ai beaucoup apprécié ces choix. Je ne pouvais pas penser qu’un gouvernement malien aurait pu prendre une telle décision. Les Russes sont la solution parce que c’est la France qui a déclenché ce problème de terrorisme avec la guerre en Libye. L’intervention française au Mali était déjà préparée. Les Français sont à la base de ce problème, donc ils ne peuvent pas être la solution. Je trouve que les choix stratégiques du Mali sont parfaits. Quand j’étais à l’ambassade du Mali à Moscou, les Russes nous informaient que les Français étaient en train de livrer des armes aux terroristes et prétendaient combattre ces mêmes terroristes au Mali. J’encourage encore les autorités maliennes à aller vers la Russie.
L’Essor : Le président de la Transition insiste aussi sur la prise en compte des intérêts vitaux du peuple malien dans les décisions. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Kèlètigui Traoré : Chaque fois qu’on parle de coopération, on a l’impression qu’on agit pour l’intérêt de l’autre. On extrait l’or du Mali mais personne ne sait ce que devient cet or. Comme on le dit, nous avons de l’eau à foison, mais nous avons soif. Nous avons des terres cultivables à perte de vue, mais nous avons faim. Nous avons des ressources minières à gogo, mais on est pauvre. C’est tout ce paradoxe qui fait qu’aujourd’hui, le président Assimi Goïta a décidé de mettre les intérêts des Maliens au dessus de tout. C’est ce qui se passe, aujourd’hui, avec la création des usines. On a l’impression que le colonel Assimi Goïta est en train de marcher sur les pas de l’ancien président Modibo Keïta. C’est une chance que nous ayons un président comme Assimi qui, malgré sa jeunesse, se sacrifie pour le Mali. C’est à nous autres de l’aider autant que possible dans cette tâche.