Tels des héros déchus, qui s’étaient pourtant auto-investis de la mission messianique de refondation, voire de renaissance nationale, les militaires qui ont pris le pouvoir au Mali s’embourbent aujourd’hui dans des difficultés de toutes sortes, laissant les Maliens vaciller entre les incertitudes d’une révolution mort-née et le désespoir d’un quotidien fait de dures difficultés pour tout le monde.
Messianisme illusoire
Une révolution pour qui ? Une révolution pour quoi ? Après deux ans bouclés à la tête de l’Etat, l’écrasante majorité des Maliens ne se fait plus aucune illusion quant à la capacité des militaires à remettre le pays sur les rails.
Pourtant, il y a eu de l’espoir pour tout un pays, lorsque les militaires de Kati, qui venaient de s’emparer des commandes de l’Etat, avaient promis de s’attaquer à la mal gouvernance, avant de remettre le pouvoir aux civils, à la suite d’élections crédibles et transparentes.
Et non sans avoir, cerise sur le gâteau, entrepris de vigoureuses réformes politiques et institutionnelles, permettant au pays d’enterrer à jamais les démons des crises politiques cycliques, nocives à sa crédibilité républicaine et démocratique.
Aujourd’hui au Mali, le peuple ne s’interroge plus de savoir ce qu’il est advenu de « sa » révolution et des promesses entonnées par la junte, censées augurer un meilleur horizon pour le pays : à l’épreuve du pouvoir, les militaires de Kati ont profondément déçu.
Au-delà des effets d’annonces, devenus la seule marque de leur gestion, ils n’ont pu résister aux tentations de la prédation, d’autant plus décuplées qu’ils n’ont eu en face aucune barrière institutionnelle que leur seule disposition de la létalité armée et la menace implicite de s’en servir pour surmonter ce qu’ils jugeront comme obstacles. À cela il faut ajouter, l’incurie rédhibitoire dont ils ont fait montre, manifeste à travers l’absence cruelle de projet alternatif et surtout d’expertise dans la gestion des affaires publiques et la résolution des difficultés auxquelles la population reste confrontée.
En lieu et place, la junte de Kati a davantage attisé les instincts grégaires, parfois xénophobes, en privilégiant la confrontation et le bellicisme contre quasiment la plupart des partenaires d’aide et de coopération.
À l’évidence, devant les nombreux périls qui assaillent le Mali et sur lesquels les militaires, depuis qu’ils sont au pouvoir, ont démontré qu’ils ont peu de prise, le pire est à craindre pour le pays qui ne parvient guère à se sortir de ses nombreuses et pénibles difficultés ni au plan intérieur, aggravées par la récente fronde sociale en ébullition, ni à l’extérieur, où les tensions diplomatiques crispent les relations avec plusieurs partenaires traditionnels, dont certains pourtant stratégiques comme des pays du proche voisinage.
Déroute des militaires
Les politiques, bien qu’aujourd’hui fortement décriés, peuvent-ils encore se faire entendre et agir ? En tout état de cause, les militaires de Kati, parvenus au pouvoir par la force des armes, ne manqueraient pas de rendre compte de leurs actions à la tête du pays.
En ce sens qu’ils ont aussi lourdement failli à gérer efficacement un pays davantage exposé à toutes sortes de périls. Même discréditée, il y a bien un moment où il faudra que ce pays renoue avec la pratique politique, pour réaliser le rêve de démocratie, si tant est qu’ici ce mot a encore un sens.
En fait, pour les militaires au pouvoir, tout est polémique dans la gestion d’État, même les faits résultant de l’ordinaire diplomatique. Bien sûr, personne, dans ce pays, ne trouvera à redire ou contester l’aspiration à s’affranchir de la tutelle de l’ancienne puissance coloniale. Ceci est une réalité malienne de tous les temps. Mais l’accuser de tous les maux, il faudrait en discuter.
Pire, refuser son aide, même, humanitaire, alors que cela pallie les défaillances notoires de l’Etat central à apporter les services sociaux de base aux populations démunies, relève d’un délire obsessionnel de la confrontation, rendant sceptiques de nombreux observateurs. Les Maliens savent, au-delà de tout, que les relations historiques existant entre leur pays et l’ancienne métropole ne sont pas une simple vue de l’esprit.
Les politiques, bien qu’aujourd’hui fortement décriés, peuvent-ils encore se faire entendre et agir ? Faire payer à nos communautés maliennes, les plus démunies, les conséquences des bravades des colonels de la junte, ne constitue certainement pas une panacée pour un pays, aujourd’hui confronté, chacun en son for intérieur le sait, à des difficultés existentielles.
Ce n’est assurément pas le projet ayant conduit à faire partir IBK du pouvoir. En fait, pour cruellement se dire la vérité, qu’est-ce qui a réellement changé depuis que la junte gouverne ce pays ? Le drame des Maliens est cuisant, nul ne peut s’en détourner, même au prix d’une girouette opportuniste.
Une triste illustration ? Sur le plan sécuritaire, en pointant le doigt sur un seul front chaud du pays, notamment à Niono dans la zone de l’office du Niger, région de Ségou, l’État n’existe plus au-delà de Diabaly. Un peu loin de là, à Gao, l’épicentre de la crise sécuritaire, l’un des ténors du M5-RFP et soutien de la junte au pouvoir, au cours d’une récente sortie publique, a révélé qu’il n’a pas pu « dormir chez lui », au cours d’une visite officielle dans cette ville du nord.
En effet, d’après les statistiques dont la source est le gouvernement lui-même, sur les 110 préfets et sous-préfets déployés, en conseil des ministres, dans les zones du centre du pays, dans les deux régions de Mopti et Ségou, seuls 29 de ces administrateurs ont pu regagner leur poste, les 81 restant à Bamako, car les djihadistes occupaient les villes et agglomérations où ils avaient été affectés.
Sur cette base, on peut affirmer que dans ces deux régions du centre, l’autorité de l’Etat malien s’exerce sur seulement 26% du territoire, 74% échappant à son contrôle et toujours aux mains des djihadistes. Vu sous cet angle, le projet sécuritaire d’une armée qui monte en puissance et d’un retour effectif de la sécurité semble encore loin d’être effectif.
Culture du bellicisme, des invectives et des opprobres
Idem pour l’économie nationale qui est à l’agonie. Jadis considérée comme l’un des moteurs de la CEDEAO, l’économie malienne est aujourd’hui au point mort. La culture malienne, faite de dialogue, d’ouverture et de compromis, n’en est non plus pas une exception. Aujourd’hui, sans conteste, elle a complètement disparu, car elle a été dévoyée par les colonels de la junte de Kati qui l’ont instrumentalisée sans vergogne pour s’incruster au pouvoir.
Acclamer les invectives et les opprobres, publiquement lancés contre des adversaires et des dirigeants étrangers, est considéré aujourd’hui comme une marque de patriotisme. Un recul fort éloigné de la culture malienne, d’il y a moins de dix ans seulement, faite de tolérance et d’ouverture pour accepter l’autre avec ses différences. C’est là un aspect plus profond de la tragédie malienne, qui mettra du temps à être extirpé.
Au plan diplomatique, le tableau n’est guère reluisant. Et pour cause, les militaires putschistes au pouvoir ont toujours la même posture : la surenchère, doublée de l’agressivité diplomatique, pour ne pas apparaître faible vis-à-vis de la France. Mais finalement, pour quelle raison et vers quelle perspective ? Pour quelle finalité toutes ces postures conflictuelles dans les relations avec les autres ?
En réalité, il semble qu’au regard de l’absence de projet alternatif en perspective, tout porte à croire qu’eux-mêmes ne le savent pas. Les militaires de Kati n’ont d’autre issue que de poursuivre en surfant sur la prétendue fierté malienne qui sonne de plus en plus creux. Toute chose manifeste dans l’inversion de la charge des accusations, comme l’utilisation quasi enfantine du mot ‘’junte’’, pour parler des autorités civiles françaises élues, pendant qu’ils sont, eux, des militaires arrivés au pouvoir par la force des armes et s’y maintiennent par la menace latente et implicite d’en faire usage contre… ceux qui contesteraient cette situation.
Leur persistance à s’agripper aux leviers de commandes de l’Etat, sans partage et au mépris des valeurs et de l’orthodoxie de la gestion publique et politique, démontre à suffisance que les colonels de la junte sont bien responsables et doivent assumer et répondre de la situation de plus en plus catastrophique que vivent les Maliens.
Se défausser sur les autres
Face à notre propre incapacité de résilience, ce sont les autres, comme la France, qui sont responsables de nos problèmes. De la même manière, sur la polémique, née de la suspension de l’aide publique française au développement au Mali (même si par ailleurs on peut critiquer l’aide publique au développement d’une manière générale), la junte au pouvoir n’éprouve aucun besoin pour expliquer au peuple malien son incapacité à faire face aux groupes armés terroristes. Elle en vient plutôt à mettre cela, de façon commode, sur le dos de la France qui soutiendrait, selon elle, les terroristes.
D’ailleurs, on attend toujours la réunion à l’ONU où en seront démontrées les preuves, comme la junte en fait une rengaine. Pour beaucoup d’avis éclairés sur les arcanes diplomatiques, c’est bien pour ça que les militaires ont demandé à la France de provoquer cette réunion. Et voilà, comme ça, le jeu est bien clair : ils sont sûrs que ça ne se fera jamais, cette réunion convoquée par la France pour évoquer des accusations maliennes sur elle.
Toujours la tactique de l’inversion de la charge des responsabilités et des accusations, si chère aux maîtres de Bamako, consistant à se défausser de ses responsabilités sur l’autre pour ne jamais rien assumer…
Rien d’étonnant donc de voir que les réactions sur Twitter, à propos de la décision des militaires d’interdire les activités des ONG financées par la France, y compris surtout dans l’humanitaire, leur sont globalement favorables. Il est bien clair que le sentiment de fierté, là encore, de s’affranchir de la France, est toujours porteur d’autant que le curseur se replace sur le grand Mali des empires, etc.
La mise en scène est là : une interdiction, au nom de la souveraineté nationale, toujours sous le prétexte de la défense des intérêts vitaux des populations maliennes. On en vient à se demander si interdire au Mali les ONG, financées par la France, c’est défendre les intérêts vitaux de ces mêmes populations auxquelles l’Etat, et surtout davantage sous cette junte, n’a jamais réussi à apporter le minimum essentiel en termes de services sociaux indispensables, comme l’éducation, la santé, les activités génératrices de revenus pour relancer les activités de vie durablement compromises par l’insécurité redondante.
Tout ceci participe, de la part du pouvoir militaire malien, d’un sordide jeu de surenchère politique infernale. Chacun s’accorde qu’en définitive, les populations restent les premières victimes de ce jeu de dupes d’un pouvoir qui n’a rien d’autre à offrir à son peuple. La vieille culture ne manque pas de bon sens qui assure, chez les bambaras, que les hommes peuvent festoyer ensemble la nuit durant, sans que cela les empêche, le jour venu, d’en découdre les uns avec les autres…
Comme quoi, même en face du chaos potentiel, dans un village, chez nous, il restera toujours à la manette du masculin, comme du féminin. À l’aquarelle de la célèbre Niélény et du mythique Bakaridjan. Pour redonner l’espoir perdu…