De la garde à vue à la détention provisoire, les droits des personnes mises en cause souffrent en République du Mali. Le non-respect du délai de la détention provisoire engendre la surpopulation carcérale au niveau de nombreux établissements pénitenciers. Cela constitue, une violation flagrante des droits des détenus.
Si l’obtention des statistiques sur le nombre des personnes détenues en République du Mali est un marathon interminable et sans résultat à l’arrivée, la sortie du ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux, le 29 juillet 2022 est suffisamment révélatrice du malaise entourant la pratique de la détention provisoire. Dans une note circulaire, le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme rappelle aux procureurs généraux, procureurs de la République et autres juges de paix à compétence étendue leurs obligations légales à visiter régulièrement les établissements pénitentiaires afin de s’enquérir de l’état des personnes détenues. Il instruit par la même occasion la mise en œuvre des délais légaux qui participent du respect de l’obligation de diligence qui incombe aux magistrats dans le traitement des dossiers dans un délai raisonnable.
Des limites fixées par le code de procédure pénale
Selon Me Amadou Tiéoulé Diarra, avocat et non moins président du Réseau des défenseurs des Droits de l’Homme en exercice (RDDH), la détention en droit pénal n’est pas à confondre avec une quelconque détention. « C’est un emprisonnement. C’est une mesure privative de liberté qu’un magistrat (procureur de la République ou un substitut, le juge d’instruction) prend contre un individu. Et qui sera détenu dans un lieu indiqué par le code de procédure pénale et les lois pénales à savoir : la prison ».
Pour Salifou Zoumana Traoré, juge d’instruction en charge du 1er cabinet du Tribunal de Grande instance de la Commune V du district de Bamako, les acteurs doivent respecter les délais de la détention provisoire prescrit par le code de procédure pénale. Selon ce magistrat instructeur, l’article 122 du code de procédure pénale précise qu’en matière correctionnelle ou criminelle, le juge d’instruction peut mettre l’inculpé en détention provisoire ou le placer sous contrôle judiciaire à raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté. L’article 123 détermine les conditions pour priver une personne mise en cause de sa liberté.
La détention provisoire doit être l’unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d’empêcher soit une pression sur les témoins soit une concertation frauduleuse entre inculpés et les complices ; préserver l’ordre public du trouble causé par l’infraction ou pour protéger l’inculpé, pour mettre fin à l’infraction, pour prévenir son renouvellement ou pour garantir le maintien de l’inculpé à la disposition de la justice. « En matière correctionnelle, si le maximum de la peine prévue par la loi est inférieur ou égale à deux ans, l’inculpé régulièrement domicilié au Mali ne peut être détenu plus d’un mois après sa première comparution devant le juge d’instruction », ajoute l’article 125. Ces dispositions, annonce l’article 126, ne s’appliquent ni aux inculpés déjà condamnés pour crime, ni à ceux déjà condamnés à un emprisonnement de plus de trois mois sans sursis pour délit de droit commun. « En matière correctionnelle, si le maximum de la peine encourue est supérieure à deux ans, la détention provisoire ne peut excéder six mois ; toutefois, à l’expiration de ce délai, le juge d’instruction peut la prolonger par une ordonnance motivée de maintien en détention dont la durée ne peut également excéder six mois », énonce l’article 127.
Il ressort de l’article 135 qu’en matière criminelle, « la durée du mandat de dépôt ne peut excéder un an. Toutefois si le maintien en détention provisoire parait nécessaire, le juge d’instruction doit renouveler cette détention par ordonnance spécialement motivée dans les huit jours ouvrables précédant l’expiration du délai ci-dessus spécifié. La prolongation de la détention provisoire peut intervenir chaque année. Cependant, en aucun cas, la détention provisoire de l’inculpé en matière criminelle ne peut excéder 3 ans ».
Négligence des acteurs
Sur les raisons de la détention provisoire prolongée, le juge d’instruction Salifou Zoumana Traoré pointe du doigt la négligence des acteurs qui ne veillent pas aux respects des délais de la détention provisoire. Il cite : le ministère public (Procureur général, Procureur de la République et ses substituts, les magistrats instructeurs et les régisseurs). « Ces acteurs, ne disposent pas d’un système d’alerte pour régulariser la situation carcérale de la personne placée en détention provisoire avant l’expiration du délai légal. C’est-à-dire la mise en place d’une structure qui contrôle la situation carcérale des détenus et inculpés pour éviter la détention provisoire prolongée et illégale dans les maisons d’arrêt », a-t-il déploré. A cela s’ajoute, les moyens matériels de transport pour permettre aux juges d’accélérer les procédures en cours. Enfin, les mutations tous azimuts des magistrats instructeurs jouent sur le traitement efficace des dossiers.
« Selon l’article 129, lorsque le délai de la détention est expiré et en l’absence de l’ordonnance de maintien en détention, le régisseur de la Maison d’arrêt en avise le juge d’instruction et conduit l’inculpé devant le procureur de la République qui requiert le juge ou à défaut le président du tribunal ou le magistrat délégué à cet effet. Celui-ci ordonnera sa mise en liberté après lui avoir fait observer les formalités d’élection de domicile », a précisé Salifou Zoumana Traoré.
Dépassement de délai de détention, une violation des droits de l’Homme
« Si le délai de la détention est dépassé, cela peut être une violation des droits de l’Homme. Et constituera une entorse à la loi. En conséquence, ce non-respect du délai de détention peut entraîner le surpeuplement des Maisons d’arrêt », a laissé entendre le juge d’instruction du 1er cabinet au TGI de la Commune V.
« Quand il y a un dépassement de délai, en matière correctionnelle ou criminelle, il faut en imputer la faute au service d’inspection des affaires judiciaires », a confié Me Amadou Tiéoulé Diarra. Car, selon lui, ce sont les rapports de l’Inspection qui révèlent les irrégularités dans les détentions. « Normalement si les services d’inspection judiciaire jouent un rôle de contrôle administratif, je pense que le nombre de dépassements de duré sera réduit. Parce que quand on se sent contrôler, on améliore son travail », a-t-il dit. L’avocat très engagé sur le terrain de la défense des Droits de l’Homme est formel : « quand la durée de la détention est dépassée, les droits fondamentaux de la personne détenue sont violés ».
Presque pas de visites dans les prisons
De l’avis de Ladji Sara, Procureur général par intérim près la Cour d’appel de Bamako, la lettre circulaire du Garde des Sceaux est un rappel des textes du droit positif. Selon lui, les visites dans les prisons permettent de s’apercevoir qu’il y a des détenus qui sont dans des positions telles que le non-respect de la loi, le dépassement de délai de détention provisoire. « Quand le Procureur général ou le Procureur de la République se transporte dans un établissement pénitentiaire, il peut découvrir en procédant au contrôle qu’il y a des gens qui sont en dépassement de délai de détention provisoire ». Si le mandat n’est pas renouvelé comme la loi le dit, a expliqué Ladji Sara, on est dans le cas d’une détention arbitraire. « La personne ne doit continuer à être gardée dans la prison. Ce qu’on appelle indistinctement du service public de la justice. Qui peut être imputable et au juge et au régisseur des Maisons d’arrêt », a laissé le Procureur général par intérim. Ce membre influent du ministère public va plus loin : « En ce qui concerne les prévenus, quand on vous place sous mandat vous devez comparaître pour la première fois devant la formation de jugement au plus tard dans les 3 mois. C’est-à-dire que le juge ne peut pas audiencier au-delà de 3 mois, si c’est le cas la détention est illégalement prolongée ».
Dans le cadre de l’exécution de sa mission, Amnesty International Mali, selon son coordinateur Droit humain, Mohamed Béchir Singaré, a documenté quelques cas emblématiques. Il a cité le cas d’une ressortissante burkinabé poursuivie pour un détournement dans son pays. Localisée au Mali, elle a été arrêtée à la demande des autorités burkinabé. « Elle a fait plus d’un an à Bolé sans qu’on touche à son dossier. Cela a coïncidé avec notre visite. On a fait le plaidoyer auprès du Procureur général et du ministre. Immédiatement, les autorités maliennes ont alerté la justice burkinabè en disant qu’elle ne peut pas rester dans cette situation et de venir la récupérer sinon qu’elle sera remise en liberté. Dans notre entendement, elle devrait être libérée, car elle était en détention arbitraire. Mais malheureusement, elle a été remise aux autorités burkinabè, mais elle est sortie dans l’inégalité », a-t-il détaillé. Mohamed Béchir Singaré a aussi évoqué la situation d’une femme qui avait été condamnée à 10 ans de prisons en Thaïlande. Emprisonnée à Bolé, elle était gravement malade. Heureusement elle a été libérée grâce à l’intervention d’Amnesty International.
Prisons remplis par les prévenus
Aux dires du secrétaire général de la section syndical des surveillants des prisons du Mali, Abdoulaye Fofana, Inspecteur principal des services pénitentiaires, dans la plupart de nos Maisons d’arrêt, le nombre de détenus non jugés (prévenu ou inculpé) est élevé que celui des condamnés. A titre d’illustration, il a cité le cas de la Maison centrale d’arrêt de Bamako où cohabitent plus de 3000 détenus sur lesquels les détenus en attente de jugement quadruplent le nombre de condamnés. « La plupart de nos Maisons d’arrêt ne répondent pas forcement aux normes internationales d’où de véritables soucis pour nous qui sommes le personnel de l’administration pénitencier précisément, les surveillants de prisons, dans l’exercice de leur travail», a-t-il dénoncé.
Selon le Coordinateur général du Bureau d’Amnesty International au Mali, une Maison d’arrêt qui est initialement prévue pour 400 personnes accueille de nos jours de milliers de détenus. « L’une des raisons de cet engorgement est la non diligence dans le traitement des dossiers par certains », a expliqué Mohamed Béchir Singaré. Pour lui, le constat est qu’il y a peu de juges. « Un seul juge peut avoir à traiter une centaine de dossiers. Dans ce cas, il est très difficile que le délai soit respecté. Mais, quel qu’en soit la situation, ils sont tenus par le respect du code de procédure pénale », a-t-il martelé. Tout en mettant l’accent sur les conditions du travail des juges, le Coordinateur général de l’organisation internationale de défense des droits de l’Homme a estimé que certains acteurs de la justice ne font pas honneur à la justice malienne.
A en croire Magassa Diawoye de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH), il y a plus de gens en détention provisoire que des condamnés dans plus de 90% des prisons du Mali visitées par la Commission. Lors de ses visites, a noté Magassa Diawoye, la CNDH a constaté que la plupart des prisons ne répond pas à la norme internationale. La Commission nationale des droits de l’homme a aussi constaté qu’il y a beaucoup de dépassements de délai de garde à vue dans les unités d’enquête. « Que ça soit en prison ou dehors, si nous constatons une situation de violation de droits de l’Homme, la CNDH, de son mandat, dispose de beaucoup de possibilités pour y mettre fin », a-t-il fait savoir.
Pour des pratiques plus respectueuses des droits humains
Salifou Zoumana Traoré appelle tous les acteurs à respecter scrupuleusement les délais de la détention provisoire et de faire en sorte que les dossiers des personnes en détention soient leur priorité. Le magistrat instructeur plaide auprès de l’Etat pour la mise en place d’une structure de veille sur le respect du délai, des conditions de vie des personnes placées en détention et la création d’un système d’alerte qui va permettre non seulement aux juges et à l’administration pénitentiaire de se conformer à la loi. A en croire Me Amadou Tiouélé Diarra, en matière correctionnelle ou en matière criminelle, l’avocat doit surveiller la durée du délai de détention provisoire, en tant que technicien de droit et défenseur des droits de l’Homme. « Quand le délai est dépassé, il va saisir la chambre d’accusation qui veille à la régularité des actes d’instruction et des mesures prises par le parquet», a-t-il déclaré avec précision.
Le secrétaire général de la section syndical des surveillants des prisons du Mali appelle à plus de diligence dans le traitement des procédures au niveau des juridictions. «Si on arrive à prendre en compte les mesures notamment, la diligence des procédures au niveau des juridictions, on peut surmonter ce challenge », a conclu Abdoulaye Fofana.
La CNDH, a souligné, Magassa Diawoye recommande le jugement à temps des personnes en détention. Elle appelle aussi les autorités à mieux protéger les droits de l’Homme, de tenir compte des recommandations faites par la CNDH, de faciliter la circulation et les enquêtes de l’institution.
Selon le Procureur général par intérim, le juge, les autorités judiciaires doivent traiter les procédures conformément à la loi. Il a insisté sur les principes de la présomption d’innocence. « Dans toutes œuvres humaines, il y a des imperfections. Souvent, les gens ne sont pas de mauvaise foi. Normalement quand les cabinets d’instruction sont bien tenus, on est à l’abri des cas de dépassement de détention provisoire », a indiqué le responsable par intérim du Parquet de la Cour d’appel. Ladji Sara invite les magistrats à être regardants sur les procédures. Car la liberté est sacrée. La détention est l’exception, a-t-il rappelé. Selon lui, il faut faire en sorte que la détention soit la plus courte possible quand elle intervient en cherchant « une juste dose entre les intérêts des personnes mise en cause et les intérêts des victimes ». Les détenus ont le droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Le Procureur général par intérim près la Cour d’appel de Bamako estime qu’il y a beaucoup de sanctions. « Cela entraîne même la nullité des procédures », a-t-il laissé entendre.
Bintou Coulibaly
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10 décembre : journée du détenu : Pour une amélioration de la chaine pénale
La journée du détenu sera célébrée le samedi 10 décembre 2022. Cette Journée, s’inscrit dans le cadre de l’humanisation de la prison, la promotion de la préparation de la réinsertion sociale et le respect des droits des détenus. Elle est l’occasion de nous pencher sur les conditions de vie et de détention des prisonniers à la Maison centrale de Bamako.
Construit pour 400 personnes, la Maison centrale d’arrêt de Bamako est la seule prison pour sexe masculin. A la MCA, le maitre mot, c’est : le surpeuplement. La maison centrale héberge plus de 2500 pensionnaires qui vivent dans les conditions très difficiles. Si des prisonniers ont pu être jugés et condamnés, certains attendent leur sort depuis des années. Malgré l’expiration du délai de détention provisoire, des prisonniers y croupissent en attendant que Dieu fasse en sorte qu’un Procureur décide de leur rendre visite et de savoir qu’ils sont détenus hors délai.
Dans le cadre de l’humanisation des prisons, un certain nombre de prisonniers ont été transférés à Kenieroba à 80 km de Bamako. « Si Kenieroba n’avait pas existé, les conséquences du surpeuplement de la MCA allait être catastrophique », affirme un surveillant de prison. Et d’ajouter qu’en plus de cette mesure de transfèrement, les Grâces présidentielles ont aussi impactés sur le nombre croissant des prisonniers à « Bamako-coura ».
Il faut dire que l’humanisation des lieux de détention, passe également par la réinsertion socioprofessionnelle du détenu.