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Général à la retraite Ismaïla Cissé : «Avec le partenaire russe, notre armée peut retrouver son image d’antan»
Publié le mardi 6 decembre 2022  |  L’Essor
Patrouille
© AFP par PHILIPPE DESMAZES
Patrouille de l`armée malienne et française à Goundam
Patrouille de l`armée malienne et française entre Goundam et Tombouctou
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Au cours de sa riche carrière, le général à la retraite Ismaïla Cissé a été gouverneur du District de Bamako durant huit ans, avant de devenir ambassadeur du Mali à Malabo en Guinée équatoriale.




Dans les lignes qui suivent, le général à la retraite se prononce sur le respect de la souveraineté du Mali, le respect du choix des partenaires et des choix stratégiques opérés par le Mali et la prise en compte des intérêts vitaux du peuple malien dans les décisions. Trois principes édictés par le président de la Transition dans le cadre de la refondation de notre pays

L’Essor : Dans le cadre de la Refondation de l’État, le président de la Transition, le colonel Assimi Goïta, a défini trois principes à savoir : le respect de la souveraineté du Mali, le respect du choix des partenaires et des choix stratégiques opérés par le Mali et la prise en compte des intérêts vitaux du peuple malien dans les décisions. Quel sens donnez-vous à ces trois principes qui tiennent à cœur le chef de l’État ?

Général à la retraite Ismaïla Cissé : Pour parler de la refondation de l'État, il faut d’abord voir  ce qui nous a amené à vouloir refonder le Mali. Nous avons en mémoire les différentes crises que nous avons connues depuis 2012. Les rébellions répétitives ont même failli amener le pays à la sépara
tion. Quand on voit tout ce que nous avons connu comme mauvaise gestion ces dernières années, la corruption à grande échelle dans le pays, toutes ces choses devraient nous conduire à un changement. Et ce changement ne peut venir que si on refonde l'État. C'est pour cela qu’à la fin des Assises nationales de la refondation (ANR), la principale décision prise a été celle de la refondation de l'État.  

Comme le président de la Transition l'a si bien souligné, je suis d'accord avec le respect de ces trois principes. Un État indépendant ne peut asseoir son indépendance que sur sa souveraineté. La souveraineté d'un pays est un fait qui est reconnu par le droit international. Le principe du droit international est de ne jamais obliger un pays à faire une chose. Donc, la souveraineté est un fait qui est cher à tous les États. Parce que sans souveraineté, il n'y a pas d'existence d'État. 

Une indépendance sans souveraineté est un leurre. Le Mali, comme beaucoup d'autres États, est très jaloux de sa souveraineté. Car, quand on sait d'où on vient et qui nous sommes, nous ne pouvons qu’être jaloux de notre souveraineté. 

L'Essor : Il est normal que chaque pays soit jaloux de sa souveraineté. Il y a eu une immixtion de plusieurs acteurs étrangers dans la crise que nous traversons depuis 2012. Certains essayent même de piétiner la souveraineté du Mali. Pensez-vous que la solution à cette crise doit être avant tout malienne ? 

Général à la retraite Ismaïla Cissé : La crise qui secoue le Mali ne peut trouver une solution que par les Maliens. Personne ne viendra faire le Mali à notre place. Toute immixtion, ingérence ou tout apport ne peut être que supplémentaire ou complémentaire. Le principe de base est de résoudre nos problèmes en dialoguant entre nous. Nous devons parler entre Maliens, discuter autour de la table afin de trouver une solution. Sinon, le principe du va-t-en-guerre ou celui du tout militaire n’a jamais résolu un problème. Toutes les guerres ont fini par trouver leur solution à travers le dialogue. Je pense que le dialogue intra-malien pourra nous conduire à un début de solution. 

L'Essor : La France a toujours tenté d’influencer les choix politiques et économiques de ses anciennes colonies dont le Mali. Celles qui ont essayé de résister ont été victimes de représailles. Est-ce qu’aujourd’hui, il n’est pas temps de remettre en cause cette attitude paternaliste de l’ancienne puissance coloniale ?

Général à la retraite Ismaïla Cissé : Bien sûr qu’il est temps de remettre en cause cette attitude paternaliste de ce pays. Nous devons combattre ce paternalisme de la France avec tous nos moyens mais sans jamais aller à la rupture. Nous pouvons combattre toutes ces grandes puissances qui veulent nous imposer un mode de gouvernance, sans jamais aller à une rupture totale.  

L'Essor : Aujourd’hui, les relations entre le Mali et la France sont très tendues. Les deux pays sont presqu’au bord de la rupture. Quel commentaire en faites-vous ?

Général à la retraite Ismaïla Cissé : En tant qu’ancien diplomate, nous avons toujours priorisé le dialogue parce  que nous estimons que tout malentendu ne peut trouver une solution que par le dialogue. Voilà pourquoi, nous ne prônons pas la rupture avec des puissances ou des États avec lesquels nous avons des problèmes. Un moment donné, on peut avoir des problèmes avec un État. 

Mon point de vue est qu’on se parle, qu’on laisse toujours la porte ouverte au dialogue et à la négociation. Mais, il ne faut jamais aller à la rupture. Les peuples français et malien sont liés par l’histoire. Les Français ont été présents sur notre sol pendant des décennies. Donc aujourd’hui, le problème qui se pose, c’est peut-être entre les gouvernants mais pas entre les peuples. Voilà la raison pour laquelle, on peut toujours trouver une solution en négociant.    

L'Essor : Le gouvernement de la Transition dit avoir noué un partenariat stratégique avec la Russie pour lutter efficacement contre le terrorisme. Il compte le faire avec d’autres pays comme la Chine, la Türkiye... Pensez-vous qu’il s’agit de choix à encourager ?

Général à la retraite Ismaïla Cissé : Oui, le choix avec d’autres partenaires est également un fait de souveraineté et d’indépendance. Si le choix avec la Fédération de Russie, la Chine et la Türkiye défend le principe de partenariat gagnant-gagnant, pourquoi pas. Le principe de souveraineté nous impose de choisir le partenaire que l’on veut à condition que ce partenaire respecte notre souveraineté. La Russie dont vous parlez est l’un de nos premiers partenaires depuis 1960 et parlant de notre armée, 90% de nos effectifs militaires, officiers et sous-officiers ont été formés par l’ex-Union soviétique qui est devenue la Fédération de Russie. Beaucoup de nos cadres civils sont formés dans ce pays. 

L’essentiel de nos matériels proviennent de ce pays dans le cadre de la coopération militaire. Personnellement, j’ai fait mon académie miliaire à Moscou et après je suis allé en Occident, précisément en Allemagne où j’ai fait l’École de guerre. Le matériel, la formation militaire en Russie, c’est sans égal en termes de comparaison avec d’autres partenaires. 


Donc, si on choisit de revenir à un pays qui a équipé notre Armée, qui a fait la fierté de notre Armée dans le temps dans la sous-région, c’est une bonne chose. Aujourd’hui, les autorités de la Transition ont fait le choix de partir encore vers la Fédération de Russie pour l’équipement de notre Armée, pour la formation de nos jeunes. C’est une bonne décision. Je suis convaincu qu’avec le partenaire russe, notre Armée peut retrouver son image d’antan et faire la fierté de notre pays. 

L'Essor : Le président de la Transition insiste aussi sur la prise en compte des intérêts vitaux du peuple malien dans les décisions. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Général à la retraite Ismaïla Cissé : Si on est responsable d’un État, on ne doit pas prendre de décisions qui vont à l’encontre du choix du peuple. Si un dirigeant le fait, il n’a pas respecté le serment qu’il a prêté. Quand on prête le serment de servir son pays, de respecter la Constitution, de défendre l’intégrité territoriale de son pays, on ne peut pas prendre des décisions qui vont à l’encontre du choix de son peuple. 

Celui qui le fait a trahi son serment. Et quand l’on trahit un serment, on passe devant le tribunal populaire. Donc, je ne vois pas comment est-ce qu’un dirigeant, surtout d’un État africain, peut aller à l’encontre des intérêts de son peuple. Celui qui le fait trouvera le peuple sur son chemin. Et beaucoup de crises que nous avons connues dans ce pays, sont dues à cela. Parce que les gens prennent des décisions qui ne vont pas forcément dans  le même intérêt que leur peuple. 

Cela fait plus de 10 ans que nous sommes en train de combattre le terrorisme que certains appellent le djihadisme. Mais nous avons vu qu’avec tous les efforts que nous avons déployés, la solution n’est pas encore au rendez-vous. Aujourd’hui au niveau du Centre du Mali, nous connaissons une crise sans précédent avec des pertes en vies humaines, des pertes de bétail. La solution que nous pouvons trouver en plus de l’option militaire, c’est le dialogue. Pourquoi ne pas aller au dialogue avec les Maliens de l’autre partie, pourquoi ne pas dialoguer avec eux. 


Surtout qu’à l’intérieur du pays, nous avons quand même des personnalités religieuses qui peuvent être en face de ces gens-là pour parler de l’islam, de la religion, pour discuter avec eux sur la base du Coran. Pourquoi ne pas tenter cette expérience-là ? Et ce dialogue va nous amener à une négociation. On va négocier avec eux. Ce qui est possible, on le leur dira. Nous leur parlerons de la Constitution de notre pays que tout le monde doit respecter. Mais en attendant, on peut mettre la balle à terre pour essayer de sauver beaucoup de vies humaines tant au niveau de l’Armée qu’au niveau de la population.

Propos recueillis par
Aboubacar TRAORÉ
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