Le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov est attendu dans la nuit de lundi à mardi au Mali, en pleine idylle sécuritaire et politique entre Moscou et la junte au pouvoir à Bamako.
Bamako (AFP)
La visite de M. Lavrov dans ce pays en proie à la violence jihadiste et à une profonde crise multidimensionnelle doit durer moins de 24 heures et concrétise le rapprochement opéré par les colonels maliens depuis 2021, en même temps qu'ils rompaient l'alliance militaire avec la France et ses partenaires.
Si des ministres maliens se sont rendus à plusieurs reprises à Moscou depuis, la venue de M. Lavrov est présentée par les autorités maliennes comme la "première du genre".
M. Lavrov, qui était lundi matin en Irak, sera reçu mardi par le chef de la junte, le colonel Assimi Goïta.Des discussions avec son homologue Abdoulaye Diop et une conférence de presse sont également programmées.
Sa visite "matérialise la volonté ferme" des président Goïta et Vladimir Poutine "d’impulser une nouvelle dynamique" à leur coopération dans les domaines de la défense et de la sécurité ainsi qu'au niveau économique, ont indiqué les Affaires étrangères maliennes.
Les militaires qui ont pris le pouvoir par la force en 2020 et ont consolidé leur emprise par un second putsch en 2021 ont fait de la Russie leur principal allié contre les jihadistes.L'arrivée de combattants liés à la Russie sur le sol malien a été rapportée dès la fin 2021.Ils seraient des centaines à combattre au côté des soldats maliens.
Les autorités maliennes les présentent comme des instructeurs dépêchés au nom d'une coopération historique d'Etat à Etat.Elles revendiquent leur présence comme l'expression d'une liberté de choix stratégique dont la junte a fait son mantra avec la défense de la souveraineté.
Les Occidentaux et des organisations de défense des droits disent eux qu'il s'agit de mercenaires de la société russe Wagner, aux agissements décriés ailleurs en Afrique ou en Ukraine.
Le Mali a par ailleurs réceptionné à différentes reprises des avions et hélicoptères de guerre livrés par la Russie.
Le bilan de ce changement de pied stratégique est sujet à controverse.
Les autorités maliennes assurent avoir inversé la dynamique contre les jihadistes.
L'ONU dresse elle un bilan plus sombre.Des nouvelles alarmantes remontent depuis des mois des régions de Tombouctou, Gao et Ménaka (nord et nord-est) où les combats entre jihadistes et groupes armés causent de nombreuses victimes civiles et provoquent des déplacements massifs.
- Stratégie d'influence -
M. Lavrov arrive au Mali alors que l'ex-rébellion touarègue et des groupes armés qui ont signé en 2015 un important accord de paix avec l'Etat central ont suspendu leur participation à cet accord.
Les nouveaux alliés de l'armée malienne font l'objet d'accusations répétées d'exactions contre les populations civiles, de la part d'organisation de défense des droits et de témoins.
Moins de 48 heures avant l'arrivée de M. Lavrov, la junte a annoncé l'expulsion du chef de la division des droits de l'Homme de la mission de l'ONU (Minusma).
Ce nouveau coup porté à la relation avec la Minusma fait suite à un discours prononcé par une défenseure malienne des droits humains devant le Conseil de sécurité.Elle dressait un tableau sombre de la sécurité et dénonçait l'implication, selon elle, des nouveaux alliés russes dans de graves violations.
Au-delà du Mali, la visite de M. Lavrov s’inscrit dans une stratégie d’influence sur l’ensemble du continent, où de nombreux pays se sont gardés de condamner l'invasion russe de l'Ukraine.M. Lavrov a effectué en janvier sa deuxième tournée en Afrique en six mois.L'Afrique, terrain d'une âpre concurrence économique et politique entre grandes puissances, est en même temps le théâtre d'une offensive diplomatique américaine.
Le Premier ministre malien Choguel Kokalla Maïga encourageait la semaine passée son homologue burkinabè Apollinaire Kyélem de Tambela, en visite à Bamako, à suivre l'exemple malien en matière de défense de la souveraineté et de liberté des choix stratégiques.
La même semaine, le capitaine Ibrahim Traoré, président du Burkina Faso voisin du Mali, a démenti la présence de mercenaires de Wagner sur le sol de son pays, en butte lui aussi à la propagation jihadiste et également théâtre de deux coups d'Etat en quelques mois.