La fusion des différents groupes armés composant la Coordination des Mouvements de l’Azawad, n’est pas pour assurer un pouvoir militaire installé à Bamako et qui ne semble jusque-là pas avoir trouvé les réponses appropriées aux questions concernant le septentrion malien. L’annonce survient sur fond de défiance des populations envers l’Etat central, accusé de ne pas jouer son rôle régalien de défense et de sécurisation des populations, également privées des services sociaux et équipements de base… Ce qui nourrit et renforce les velléités d’indépendance !
Unité identitaire
Ça y est ! Longtemps annoncé, mais jusque-là sans y parvenir, les groupes armés du Nord du Mali ont fini par s’y résoudre. Dans une déclaration, en date de ce 8 février 2023, les trois principaux groupes armés indépendantistes du Nord du Mali, composant jusque-là la Coordination des Mouvements de l’Azawad, CMA, ont décidé de fusionner en « une seule entité politique et militaire ». La déclaration est signée des principaux responsables, dont Bilal Ag Chérif, le Secrétaire général du Mouvement national de libération de l’Azawad, MNLA qui avait lancé les premières attaques de la rébellion armée venue de Libye, et de Alghabass Ag Intalla, Président du Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad, HCUA par ailleurs ancien adjoint de Iyad Ag Ghali et fils du défunt Amenokal dont son frère, Mohamed, a hérité des charges d’autorité traditionnelle, auxquels il faut ajouter Ibrahim OuldHanda, secrétaire général du Mouvement Arabe de l’Azawad, MAA.
Les initiateurs de la fusion annoncée depuis fin décembre dernier, justifient l’initiative par, entre autres raisons, notamment « la dégradation de la situation sécuritaire de l’Azawad (et) la volonté des populations de l’Azawad d’unir leurs forces pour faire face à tous les défis » ainsi que leurs « attentes légitimes … de vivre en paix et en tranquillité chez elles ».
On aura certainement remarqué le caractère identitaire touareg de la nouvelle alliance, qui semble faire peu de cas des communautés noires sédentaires du septentrion malien, pourtant majoritaires et diverses, allant des peulhs aux Sonrhaïs en passant par les Bellahs (groupes esclaves ou serfs entretenant des liens féodaux avec les Touaregs, considérés comme nobles et maîtres des premiers) et communautés nomades alliées. On assiste donc à un retour en force, à travers cette fédération des groupes armés du nord, et sa configuration actuelle, au discours et aux revendications indépendantistes prétextant les urgences des besoins sécuritaires, au demeurant réels, des populations, sur fond d’absence de l’Etat.
Une coalition armée contre… le Mali
Plusieurs évènements ont été les facteurs déterminants de la fusion des groupes armés du Nord du pays. En particulier, l’absence totale de l’Etat dans ces attributs régaliens de protection et de sécurité, assimilée à une indifférence, envers des populations qui ne cachent plus leur dépit d’éprouver un sentiment d’abandon.
Il y a fort à parier que la nouvelle force politico-militaire sera un interlocuteur plus radical face aux tergiversations d’un Etat central, pourtant à la gouvernance certes militarisée mais aux peu de retombées sur la restauration de la sécurité des populations. Déjà aux prises avec une recrudescence des violences terroristes au centre du pays étendues au sud, le Mali n’a réellement jamais réussi à imposer une présence militaire significative au septentrion. Tout au plus jusqu’aux récents conflits avec les forces internationales, dont le plus emblématique avec la Force Barkhane, toutes sommées ou contraintes de quitter le pays pour de douteuses raisons de souverainisme belliciste. Des revendications nationalistes ont justifié l’exigence des contraintes imposées ou même le départ des forces militaires d’appui, pourtant invitées dans un cadre multinational à la défense et à la restauration de l’intégrité du territorial national et la sécurisation des personnes et de leurs biens. En dépit de cela, l’Etat s’est montré plutôt défaillant, qui n’a jamais réussi à se substituer aux forces retirées ou chassées, tant en termes de réponses en besoins sécuritaires que d’apport des services essentiels et de base aux populations locales. Celles-ci subissent depuis lors de multiples et sanglantes exactions aux responsabilités diversement attribuées, mais surtout mettant en cause les nouveaux acteurs armés qui ont proliféré pour combler le vide créé par le départ et le désengagement des forces armées étrangères.
Toute chose qui a conduit progressivement les différents groupes armés, toutes obédiences confondues, à mutualiser leurs forces dans une dynamique de convergence d’intérêts, qui est d’abord de contenir voire de repousser l’avancée des terroristes de l’Etat Islamique au Grand Sahara, EIGS. Ainsi, plusieurs mouvements armés laïques et signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation, issu du processus d’Alger, APR, ont participé aux affrontements du mardi 6 septembre 2022, face à l’EIGS à Talataye, affrontements cependant couronnés par une déroute des groupes armés maliens malgré leur coalition. Le fait est que ces groupes, parties prenantes aux côtés de l’Etat à l’APR, n’ont pas hésité à rejoindre le Groupe de Soutien à l’Islam, JNIM de Iyad Ag Ghali, renforcé par la Katiba Macina de l’émir Amadou Kouffa, pour affronter ensemble l’EIGS. Ces groupes laïcs avaient expliqué leur ralliement aux terroristes d’Iyad Ag Ghali, par l’absence de réponse de l’Etat central militaire de Bamako, à leurs nombreux appels à secourir et protéger les populations civiles exposées aux exactions sanglantes et aux pratiques de dépeuplement de leurs terroirs de vie, par l’EIGS à la composante plus internationaliste, de provenance à la fois irako-syrienne mais aussi de Boko Haram du Nigeria.
De même récemment, la révélation avait été faite par nos confères de Radio France Internationale de concertations tous azimuts lancées par Iyad Ag Ghali, impliquant à la fois les principaux chefs des mouvements composant la CMA, mais étendues à tous les chefs communautaires Touaregs, des régions de Kidal. L’émir de Ançar Eddine devenu JNIM avait commencé ces consultations précédemment à Ménaka, avant de les poursuivre dans la région de Kidal, les mercredi 25 et jeudi 26 janvier derniers, en vue de fédérer les divers groupes armés du Nord du Mali pour officiellement combattre l’Etat Islamique au Grand Sahara, EIGS.
La fusion des entités composant l’ex-CMA participe donc d’un processus de mutualisation des moyens et de fédération des forces politiques et militaires qui, au départ, n’avaient guère les mêmes options. Certaines de ces forces, comme le MNLA, étaient résolument indépendantistes, quand d’autres par contre étaient issus, cadres dirigeants et troupes, du mouvement terroriste de Iyad Ag Ghali. La volonté indépendantiste avait été notamment contrariée dans leur alliance contre-nature avec les divers groupes djihadistes, dont Ançar Eddine de Iyad Ghali avec lequel le MNLA avait conquis la quasi-totalité des régions de Kidal, Tombouctou et Gao avec leurs hauts faits d’armes à Aguelhok. Mais le MNLA avait été chassé du théâtre malien, après avoir été mis en déroute par le Mouvement pour l’unité et le djihad en Afrique de l’Ouest, MUJAO, qui l’avait expulsé au Burkina Faso.
L’irrédentisme avait d’ailleurs mis la revendication sous le boisseau en mettant un bémol à cette ambition, après l’intervention française de janvier 2013, avec la force Serval qui avait chassé les terroristes du nord du Mali. Mais tous ces groupes, djihadistes défroqués du HCUA et MNLA ayant pansé leurs plaies sous la protection des autorités burkinabé d’alors, avaient cependant été remis en selle par la France, qui avait interdit l’accès de la ville de Kidal à l’armée malienne avant d’en remettre les clés aux groupes armés actuels qui y ont depuis pignon sur rue et qui ont été jusque-là l’ossature de la CMA.
Sous donc le couvert des litotes et périphrases, l’indépendance, dans ses attributs et ses manifestations, revient à la mode, comme une option notamment renforcée comme on le voit par cette fusion des tendances de la CMA.
Du coup se pose la question des réponses des autorités militaires de Bamako, dont la tiédeur envers les enjeux de sécurité dans le nord confine à l’indifférence. Il est vrai que la montée en puissance de Famas, s’est jusqu’à présent concentrée au centre du pays. Se gardant bien d’empiéter sur les plates-bandes des sourcilleux groupes armés du septentrion, devant qui l’armée malienne a subi une déroute historique en 2012, faisant perdre au Mali les deux tiers du territoire national…