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L’aide publique et humanitaire de la France n’est plus la bienvenue au Mali
Publié le jeudi 16 fevrier 2023  |  Iris France.org
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© Autre presse par DR
Le président français Emmanuel Macron et le président de la transition malienne Assimi Goïta.
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La montée d’un sentiment anti-français en Afrique de l’Ouest et au Sahel, dans un contexte de guerre en Ukraine, inquiète les autorités françaises. L’échec de la démocratisation et la posture interventionniste de la France dans la région attise un climat d’hostilité. Au Mali, la fin de l’aide publique et humanitaire marque la rupture Paris-Bamako dans un contexte sécuritaire encore incertain.

Paris-Bamako : la rupture diplomatique

Il est difficile de documenter la réelle perte d’influence de la France sur le continent africain, ou ce que les médias relèvent comme étant « le sentiment anti-français »[1]. Entre 2017 et 2023, de nombreuses manifestations et mouvements de révolte anti-français ont été médiatiquement visibles dans plusieurs villes d’Afrique de l’Ouest et au Sahel. Le recyclage du fait post-colonial et de la « Françafrique » mobilise plusieurs centaines de personnes sous le slogan « France dégage » brandi dans des manifestations à Dakar, Niamey, Bamako et Ouagadougou. Un « sentiment anti-français » et une dégradation de la réputation de la France en Afrique francophone[2] qui est alimentée par une propagande et la diffusion de plusieurs vidéo-clips sur Twitter ou Facebook, où on y voit des caricatures de soldats français zombies, Emmanuel Macron dans le rôle d’un rat ou encore un héros milicien Wagner au côté d’un soldat malien.

Cette tension au Mali, paraissant loin d’être passagère, est instrumentalisée par le nouveau gouvernement, après une décennie d’interventions militaires françaises. Elle est principalement accentuée par plusieurs maladresses diplomatiques de la part de la France au Sahel, sans compter les graves incidents causés durant l’opération Barkhane. La bavure de l’armée française au Mali du 3 janvier 2021, tuant 19 civils lors d’un mariage, est un élément parmi tant d’autres, qui justifie la cristallisation de cette rancœur. Ce qui est particulièrement reproché depuis les indépendances, c’est surtout la tendance de la France à s’immiscer dans les affaires politiques, économiques et sociales des États d’Afrique francophone, ainsi que son manque de transparence quant à ses intérêts réels en Afrique subsaharienne. Par ailleurs, à travers l’opération Barkhane au Mali et le G5 Sahel, la France ambitionnait de se garantir une influence privilégiée dans la zone.

Pour le Mali, l’année 2022 a été marquée par de multiples crises diplomatiques et une rupture sans précédent avec la France, mais aussi par des sanctions économiques de l’UEMOA-CEDEAO. Suite au coup d’État et la prise de pouvoir du Colonel Assimi Goita, le 31 janvier 2022, Joël Meyer, alors ambassadeur de France au Mali, fut sommé de quitter le pays par la junte malienne. Le 15 mai 2022, les autorités maliennes, dans une stratégie de rupture avec la France, décident de quitter le G5 Sahel. En août 2022, alors que l’Union européenne est engagée auprès de l’Ukraine face à l’invasion russe, le chef d’État malien, le colonel Assimi Goïta, a fait démonstration de son rapprochement avec le président russe, Vladimir Poutine, rendant les relations entre Bamako et Paris encore plus glaciales. Par ailleurs, le 24 septembre, le colonel Abdoulaye Maïga, Premier ministre par intérim, accuse la France, lors de l’assemblée générale des Nations unies de « pratique néocoloniale, condescendante, paternaliste et revancharde ».

Qu’en est-il des Organisations non gouvernementales (ONG) et Organisations de la société civile (OSC) maliennes ?

Depuis la fin de l’opération Barkhane, le 9 novembre 2022, et le retrait des troupes militaires françaises, les relations France-Mali sont au plus mal. En réponse au dialogue amorcé entre Bamako et Moscou, la France a suspendu son Aide publique au développement (APD) au Mali, le 16 novembre 2022, « face à l’attitude de la junte malienne qui s’est alliée avec la milice Wagner », selon le communiqué du Quai d’Orsay. Pour l’Organisation de coopération de développement économique (OCDE), le Mali était jusqu’alors un pays prioritaire de l’APD et a reçu en 2020 77 milliards de francs CFA de la part de la France (soit environ 107 millions d’euros). Les données (non actualisées) de l’ambassade de France démontrent qu’entre janvier 2013 et septembre 2017, en plein cœur de la crise malienne, la France a alloué, via l’APD, 310 milliards de francs CFA (environ 473 millions d’euros). Ainsi, cette « sanction » pourrait être la première d’une longue liste pour les pays du Sahel, qui semblent de plus en plus attirés par un rapprochement avec Moscou. Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a toutefois déclaré que « l’aide humanitaire (de la France) » à l’attention des ONG et OSC était maintenue au Mali.

Pourtant, le 21 novembre 2022, le Premier ministre malien par intérim, Abdoulaye Maïga, acte cette rupture diplomatique par l’interdiction « avec effet immédiat » de toutes activités menées par des organisations non gouvernementales et organisations de la société civile soutenues par l’aide française.

Il faut tout de même constater que le contexte humanitaire au Mali reste critique avec une pauvreté chronique, un accès inégal aux ressources de première nécessité et à des services de santé de base. Selon le Bureau des Nations unies pour la Coordination des affaires humanitaires (OCHA), le nombre de personnes ayant des besoins humanitaires est passé de 7,5 millions en janvier 2022 à 8,8 millions en janvier 2023, soit une hausse de 17% entre 2022 et 2023, illustrant l’aggravation des besoins humanitaires[3]. De nombreux enjeux de sécurité alimentaire ne sont pas garantis pour des centaines de milliers de civils. Le représentant de l’ONU au Mali, El-Ghassim Wane, a récemment pointé du doigt devant le Conseil de sécurité, un processus de paix dans l’impasse malgré la continuité des efforts de la MINUSMA pour protéger la population.

Les ONG et OSC maliennes tentent de combler l’absence de l’État dans l’accès aux services sociaux de base auprès des populations fortement affectées par plus d’une décennie de crise. Mais leurs difficultés résident dans le fait qu’elles sont majoritairement très localisées et que leurs financements dépendent exclusivement de l’aide extérieure occidentale. Par ailleurs, leur structuration est récente et fragile. Elles sont présentées dans les programmes de développement comme « la force vive », capable de pallier les États faillis et des partenaires privilégiés pour les organisations développementistes du Nord. Ces associations locales et acteurs communautaires travaillent en proximité avec la population et sont plus à même d’accéder aux bénéficiaires.

La rupture diplomatique entre Paris et Bamako impacte ainsi directement le secteur de l’aide locale au Mali et laisse présager une forte augmentation du chômage des personnels du secteur qui ne seront plus financés. Les ONG françaises s’inquiètent de cette rupture de l’aide via le collectif Coordination Sud insistant sur le fait que ce sont « 7,5 millions de personnes qui ont besoin d’assistance, soit plus de 35 % de la population malienne en 184e position sur l’Indice de développement humain » à travers une lettre adressée aux autorités françaises. Conformément à la décision du gouvernement malien, plusieurs ONG et OSC maliennes ont suspendu leurs projets financés par des structures françaises. Les premiers acteurs touchés par cette rupture franco-malienne sont évidemment les très petites associations et structures communautaires soutenues exclusivement par des organisations françaises et qui risquent de se retrouver dans l’impossibilité d’exercer leur mission sociale.

Dans un contexte sécuritaire et humanitaire aujourd’hui alarmant, le retrait de l’aide publique de la France et l’interdiction des activités humanitaires financées par des structures françaises laisse présager une dégradation de la situation au Mali. Cependant, il sous-entend aussi la venue de nouveaux bailleurs de fonds occidentaux qui n’avait jusqu’alors, pas le monopole de l’aide dans cette zone. Le nouveau gouvernement malien semble être dans une stratégie de divorce avec son ancien colonisateur et le secteur de la solidarité internationale est forcé de s’adapter.

Vers la fin d’une influence française en Afrique de l’Ouest et au Sahel ?

Par l’instrument de l’Aide publique au développement, la France s’est jusqu’alors assuré une influence considérable et une place diplomatique de choix auprès de ses partenaires d’Afrique de l’Ouest et du Sahel. Les seize pays prioritaires de l’APD sont des pays d’Afrique francophone (et d’anciennes colonies françaises). Les organisations des sociétés civiles des pays récipiendaires sont encore dans une démarche de dépendance auprès des bailleurs de fonds institutionnels. Même si les méthodologies d’intervention des grands acteurs de l’aide française admettent de plus en plus une démarche de co-intervention et participative avec les organisations africaines, le modèle d’aide au développement subit de vives critiques dans la région. La perte d’influence progressive de la France parait évidente en Afrique de l’Ouest et au Sahel, et le secteur de l’aide est naturellement fortement atteint par ce climat de tension. Peu importe sa forme, c’est la présence des Français qui est contestée dans la région.

Au Mali, le 7 février dernier, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale a reçu à Bamako son homologue russe, Sergueï Lavrov. Cette visite, vue comme la première du genre, renforce la volonté de coopérer avec les forces russes au niveau de la sécurité et défense, mais aussi au niveau économique. Cet évènement pourrait être un tournant dans la région et avec le Mali comme impulseur d’une nouvelle forme de partenariat dans la région (même si le président Ibrahima Traoré du Burkina Faso a affirmé ne pas vouloir être en rupture diplomatique avec la France). Cependant, dans des contextes humanitaires tendus et de crise sécuritaire, il faut se poser la question si ces États d’Afrique de l’Ouest et du Centre sont en mesure de défendre vraiment leurs intérêts face à leur nouveau partenaire. Le risque ici étant de s’allier avec une force elle-même instable et engagée déjà dans un conflit. Le Mali ne pourra amorcer une stabilité économique que par la formation de plusieurs partenariats et non d’un seul privilégié en direction de la Russie ou de la Chine, pour ne pas faire perdurer le modèle de dépendance, de partenariats économiques inéquitables et de redevabilité auprès d’une grande puissance économique. De plus, l’accointance avec des régimes autoritaires ne garantit pas une amélioration de la situation pour la population malienne particulièrement vulnérable. En effet, dans un pays régi par une junte militaire où les questions sociales sont jusqu’alors passées au second plan et la corruption banalisée, une détérioration est annoncée. Non pas spécifiquement par le retrait de l’aide française, mais par le durcissement du nouveau régime et le contexte sécuritaire incertain.

Il est temps pour la France d’ouvrir une réflexion profonde sur son mode d’influence et sur les relations diplomatiques qu’elle engage avec les États africains qui sont eux dans une stratégie de désolidarisation, loin d’un « partenariat décomplexé ». Au contraire, une partie de ces États s’est abstenue de condamner l’agression russe devant l’Assemblée des Nations unies le 2 mars 2022[4]. Dans cette volonté émancipatrice face à leur ancienne métropole, c’est le principe de « partenariat choisi » qui est revendiqué. Font-ils un choix allant dans le sens de leur autonomie et indépendance réelle ? La question reste ouverte

IRIS
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