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La cécité de Paris sur la situation malienne
Publié le vendredi 17 fevrier 2023  |  L’oeil du Mali
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Il est une constante dans la politique africaine de la France depuis l’époque coloniale : dès que ses intérêts sont menacés, dès qu’il y a des protestations africaines, dès qu’il y a contestation de son ordre, elle voit un complot d’un autre pays occidental, d’une autre puissance.

André Bourgeot, Laurent Bigot, Jacky Bouju, Jean-Loup Amselle, Rémi Carayol et bien d’autres, pour ne citer que des exemples parmi des auteurs vivants, ont abondamment écrit sur le Mali, ont suffisamment mis en garde la France contre sa politique au Mali, mais Macron flanqué de l’incompétent et affairiste Le Drian, entouré de militaires à l’idéologie coloniale et au tropisme touareg, n’a jamais écouté les véritables « maliannistes ».

De supposés spécialistes de l’Afrique, d’ailleurs comment un seul individu peut être spécialiste de tout un continent si ce n’est que son arrogance réduit la complexité des multiples sociétés africaines à quelques schémas simplistes et naïfs qui lui servent de grille universelle de lecture, à l’image d’un Bernard Lugan, sont ceux qui ont eu l’oreille des hiérarques militaires et politiques et précipité le rejet épidermique de la France officielle au Sahel.

Cette détestation de la France officielle n’est pas une détestation de la France ou de l’Occident d’une manière générale. Les êtres humains ont toujours voté avec leurs pieds et à ce décompte ce n’est pas demain que l’Occident ne sera plus plébiscité. Entre un visa de long séjour avec billet d’avion et frais de séjours payés pour la Russie et un visa d’une semaine pour la France qu’il faut payer à 5 millions de FCFA, le choix est vite fait pour les candidats à l’immigration. Les très rares qui choisiront la Russie le feront dans l’espoir de se rendre en Europe occidentale à partir de la Russie.

Ainsi donc, l’Occident officiel se trompe dans son appréciation de la situation malienne en attribuant les succès diplomatiques russes à une campagne réussie de propagande de Poutine et ses alliés. Du coup, il monte lui aussi ses campagnes de propagande pour faire changer d’abord l’opinion malienne, puis espère qu’un retournement de l’opinion contribuera à affaiblir les militaires et/ou à changer les liaisons du Mali avec la Russie.

Et lorsque Macron parle de guerre communicationnelle de la Russie pour expliquer en partie le refus des populations africaines de la présence de son pays en Afrique, il faut croire que la France officielle a fini par croire à sa propre propagande. Le dealer est devenu addict à sa propre marchandise et son commerce s’est effondré. Ce que la France n’a pu obtenir comme consentement, adhésion des populations pendant dix ans de présence militaire au Mali, elle ne l’aura pas par des tentatives vaines de diabolisation des autorités militaires.

Les premiers et les plus grands utilisateurs de sociétés militaires privées sont les Américains. Irak, Afghanistan, Syrie, mais aussi abondamment en Amérique latine pour déstabiliser les pouvoirs qui ne leur sont pas favorables. Alors pointer du doigt les autorités de la transition malienne pour avoir eu recours à une telle société, Wagner en l’occurrence, pour les aider à combattre des djihadistes, est une hypocrisie qui n’influencera en rien les opinions africaines. Au contraire, ça renforcera l’opinion dans sa conviction qu’il y a une conspiration du monde occidental contre le Mali. Conspiration dont la France est l’instigatrice.

Le CNSP a certes pris le pouvoir par les armes aux mains d’un président affaibli par son état de santé, par sa gestion catastrophique du pays, par ses propres partisans qui l’ont lâché etc. Mais le CNSP n’est pas encore une dictature et surtout dispose d’un immense soutien populaire.

Les Occidentaux ont raté leur opportunité de s’immiscer véritablement dans le jeu politique interne au Mali. Ils auraient pu dès le premier mandat d’IBK se ranger du côté du peuple en dénonçant publiquement toutes les pratiques de corruption, en menaçant de quitter le Mali avec leurs appuis financiers et militaires. Mais la France officielle s’est fourvoyée derrière IBK, elle s’est fourvoyée derrière son propre tropisme touareg… et après avoir perdu tout crédit, elle pense qu’elle peut revenir dans le jeu à coup de propagande.

Paris n’a pas encore pris la mesure du désamour des Maliens à son endroit. Et l’arrogance des ministres de la défense et des affaires étrangères successifs ne fait que renforcer ce sentiment. Je vois mal un pouvoir malien rétablir les relations antérieures entre le Mali et la France. À moins que la France ne commence par faire amende honorable à propos des reproches fondés qu’on lui fait. Le régime de Macron continue de se fourvoyer en attribuant les raisons de son échec politique au Mali à une prétendue propagande russe.

Et pour contrer cette propagande imaginaire des Russes, l’Etat français timidement lance des opérations de propagande mal inspirées et sans effets car n’ayant aucun relais local. Il y a des anti-français au Mali, mais par contre il n’y a pas de pro-français sur qui la France peut s’appuyer en ce moment pour changer l’état de l’opinion et combattre le pouvoir des militaires. Tout ce que le brouhaha de la France a comme conséquence c’est de compliquer la tâche de ceux qui s’opposent ou critiquent les militaires sur la base de principes ou de faits. Parce ce qu’ils sont rendus presque inaudibles par le bruit de fond de la France, mais surtout ils perdent leur crédibilité en étant accusés d’être des pions de la France. Dans la guerre communicationnelle, la vérité est toujours la première victime.

L’Occident est en conflit avec la Russie. De Bamako, ce que l’on voit, c’est le combat de deux géants, deux pachydermes. Et un lapin n’a pas à prendre parti dans un combat de pachydermes. L’un comme l’autre peut l’écraser par inadvertance. La chèvre n’est pas le compagnon d’ébats sexuels du chameau au risque de voir son fondement déchiqueté.

Non seulement tous les impérialismes se valent, plus ou moins, mais en plus dans la situation géopolitique mondiale actuelle et future, telle qu’elle se dessine, l’Afrique noire doit faire bloc et ne s’aligner derrière aucune superpuissance militaire, chinoise, russe ou américaine. La fièvre russophile constatée dans les rues de Bamako ne doit pas être interprétée par les Occidentaux comme de la passion amoureuse. Les Maliens sont désorientés, ils se cherchent. Une personne qui se noie est capable de s’accrocher à la queue d’un crocodile.

Pour comprendre le rejet massif et populaire de la France officielle au Mali, il faut s’orienter dans le champ politique local. Le positionnement par rapport à l’idée que l’on se fait de l’influence réelle ou imaginaire de la France sur le Mali est l’une des dimensions constitutives de ce champ politique depuis toujours. Cette dimension se manifeste avec une bien plus grande acuité depuis le deuxième semestre de l’année 2021.

La France qui défraie la chronique en cette période. La France qui déchaîne les passions. En 2019 déjà, 65,6% des Maliens étaient très insatisfaits de l’opération Barkhane , ce chiffre monte à 79,3% si l’on y rajoute le pourcentage de « plutôt insatisfaits » .

Les grandes mobilisations populaires qui ont eu lieu tout le long de l’année 2021, qui soit réclamaient le départ des forces militaires françaises du Mali, soit exprimaient le soutien des masses aux autorités de la Transition en butte aux autorités françaises, ont culminé par un meeting gigantesque où l’expression du rejet de la France était unanime : c’est la seule chose à peu près sur laquelle une majorité de Maliens sont d’accord en ce moment concomitamment au soutien massif qu’ils apportent aux autorités de la transition (67% très satisfaits et 28% plutôt satisfaits) .

Ce rejet de la politique française au Mali n’est point nouveau. Il est constitutif de la République du Mali, ancienne colonie française. Le pendant social de ce rejet est l’anti-francisme qui peut avoir des volets économiques. Cet anti-francisme peut être massif à certaines périodes de l’histoire et n’être qu’un phénomène résiduel à d’autres ; mais il n’est jamais absent des consciences des Maliens.

Les défenseurs des deux premiers régimes politiques du Mali ont toujours attribué leur chute à l’instrumentalisation par la France à son profit de conflits sociopolitiques nationaux. Autant l’USRDA a accusé la France d’être à l’origine de sa perte autant l’UDPM qui a remplacé l’USRDA, après un long hiatus d’une junte militaire dont le leadeur finit par fonder l’UDPM, accuse la France d’être derrière les évènements qui ont conduit à la révolution du 26 mars 1991.

S’orienter dans le champ politique malien présuppose que l’on repère au préalable les structures de ce champ. En l’état actuel, il se compose d’un État en période de transition aux mains de l’armée en partage avec un attelage de diverses forces sociopolitiques, de divers groupes armés hostiles ou favorables à l’Etat malien.

En effet, toute l’ancienne classe politique, opposition comme majorité au président IBK, est présente dans les institutions de la République notamment au gouvernement et dans l’organe législatif de la transition. Ces hommes en armes agissent dans un environnement international qui leur impose les habits de la démocratie, les symboles de la démocratie. Cette démocratie apparente se traduit par le maintien des libertés publiques, au premier rang desquelles la liberté d’expression, la liberté d’association et la liberté d’entreprendre.



Abdoulaye S Bagayoko/L’oeil du Mali
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