A période exceptionnelle, communication gouvernementale exceptionnelle ? Dans tous les
cas, il semblerait que la particularité du lexique employé par la Transition dans son
langage institutionnel relève d’une tentative de donner une apparence normale à une
situation qui ne l’est point. De la « rectification de la Transition » à la « souveraineté
retrouvée » en passant par la « charte de la Transition » révisée ou pas, l’exercice
s’apparente à celui d’un équilibriste.
Dès les premières heures qui ont suivi la chute d’IBK en aout 2020, un seul mot est sur
toutes les lèvres, le « Mali Kura ». Un vœu émis par tous, conscients du fait que les maux qui
minent le pays sont profonds et qu’il faille opérer un changement depuis la racine. Les
« Assises Nationales de la Refondation » ont été tenues dans cette optique. Elles auront
permis, en tout cas dans la forme, de recueillir les avis et aspirations profondes des Maliens
sur les enjeux majeurs du pays, même s’il aura été aussi reconnu que nombres de localités
ne purent y participer. Désormais, ses résolutions constituent la matrice que les autorités
doivent appliquer. Un « Comité Indépendant de Suivi-Évaluation de la mise en œuvre des
Recommandations des Assises » a été mis en place sous le nom de CINSERE afin de veiller à
l’application des recommandations.
Mais avant, survenait ce qui a été appelé « rectification de la trajectoire de la Transition »,
un certain 24 mai 2021. Le président de la Transition d’alors, Bah N’Daw, et son Premier
ministre, Moctar Ouane ont été « mis hors de leurs prérogatives » par le vice-président,
Colonel Assimi Goita. Cette opération fut qualifiée par certains de « coup dans le coup ».
Dès lors, beaucoup constatèrent une certaine radicalisation de la Transition se matérialisant
par des ruptures diplomatiques, un durcissement du langage gouvernemental, entre autres.
Les auteurs originels du putsch ne s’en cachaient plus. Ils n’auraient pas pris autant de
risques pour céder le pouvoir aussi facilement. Désormais, le pouvoir leur appartient
exclusivement. Et depuis, l’on assiste à une « montée en puissance » de l’armée malienne
notamment grâce au nouveau partenaire russe mais aussi à une réappropriation de l’aspect
sécuritaire dans son ensemble par les autorités de Transition.
Une « montée en puissance » qui aura certainement servi comme argument à l’instauration
d’une journée de la « souveraineté retrouvée » avec la grande mobilisation du 14 janvier
2022 à Bamako contre les sanctions de la CEDEAO. Le Premier ministre, Choguel Maiga, dira
à cet effet qu’« il n’y a pas une portion du territoire malien où l’armée malienne ne peut
pas aller ». D’où certainement le fait qu’il ne put se rendre à Ansongo et Bourem pour des
raisons sécuritaires. Et qu’en même temps, 57 policiers maliens ont été transportés à
Ménaka par la MINUSMA à travers quatre hélicoptères, et ce à la demande du
gouvernement malien. Sans oublier, le fait qu’également les mouvements composants la
CMA fusionnent et que, dans la foulée, ils montent une opération de sécurisation au nord
notamment à Kidal et à Ber, sans l’aval de Bamako. Ce choix des autorités de la Transition
rappelle fort une terminologie employée aux premières heures du régime d’IBK lorsque
celui-ci avait été déclarée 2014 comme l’« année de la lutte contre la corruption ». En guise
de résultats, nous avons eu « les engrais frelatés » et les « équipements militaires
surfacturés ». D’autres scandales de corruption suivirent les années suivantes.
Un autre fait qu’il ne faut surtout pas occulter, c’est l’instauration d’une « Charte de la
Transition », qui tutoie la loi fondamentale, et qui la dépasse même par endroit.
L’ordonnancement juridique du pays se retrouve, tout naturellement, bouleversé. A la
faveur de la rectification, Assimi prêtait serment devant la Cour Constitutionnelle comme
président de la Transition. En ce moment, pour les puristes, l’on nageait en pleine
incohérence. Mais il semblerait que la Charte l’emporte globalement sur la Constitution,
surtout si elle venait à être révisée car elle fut mise à jour.
Aujourd’hui, face au caractère irréaliste du chronogramme proposé, l’on parle de plus en
plus de « prorogation intelligente » de la Transition vers sans doute ce qui pourrait être
qualifié de « mandat transitionnel ».
Ahmed M. Thiam