Au bout de la transition, l’Etat devra organiser les prochaines élections et auparavant faire adopter les réformes constitutionnelles et électorales qui doivent y conduire.
L’Etat étant l’ordonnateur premier du socius malien, le premier axe structurant du champ politique malien est toujours le positionnement politique par rapport au pouvoir actuel, au pouvoir du jour. Il y a d’un côté ceux qui soutiennent politiquement les militaires, les « pro-transition », et ceux qui ne la soutiennent pas, les « opposants ».
Les « opposants » parce qu’il n’y a pas de groupes constitués opposés par principe aux militaires. Les « pro-transition » se caractérisent par leur proximité personnelle et politique avec les militaires. La CMAS initialement était « pro transition » avant d’imploser en deux composantes dont l’une, l’ACRT de Issa Kaou Djim, est demeurée « pro pouvoir » jusqu’à son arrestation et à son débarquement du Conseil national de Transition, et l’autre qui avait d’abord adopté plutôt une attitude expectative avant de glisser en direction des « non pro transition ». Aujourd’hui, les rôles sont inversés : le M5 qui était « non pro pouvoir » sous Bah N’Daou s’est réconcilié avec les militaires avec la nomination de Dr. Choguel Kokala Maïga à la Primature.
Ainsi donc « Pro transition » et « opposition » sont des positions fixes qui peuvent changer d’occupants à tout moment et ce jusqu’à la fin de la période de transition. Il faut imaginer qu’il existe un spectre large allant de « pro transition » à « non pro transition », mais qu’à aucun moment un mouvement/parti peut occuper simultanément les deux positions extrêmes du spectre.
Ceux des politiques qui comptent s’aménager les faveurs des militaires, pour s’épargner des poursuites judiciaires ou pour bénéficier de faveurs électorales futures, se rencontrent plutôt au milieu du gué. Ils ne sont pas vocaux dans leurs critiques du CNSP et prétendent jouer la carte de la raison dans l’accompagnement de la transition.
Le deuxième axe qui structure de manière dominante le champ politique malien en 2022 est la position par rapport à la France. Il y a d’abord les « Anti France », ceux qui voient la main maléfique de la France derrière tous les maux du Mali et qui ont milité pour son départ immédiat, et de l’autre côté du spectre les « Non Anti France ».
Car il n’y a pas de « pro français » dans le paysage politique malien : évidemment les « Anti France » fieffés ne seront pas d’accord avec une telle affirmation. Les « Non anti France » sont ceux qui affirment qu’il vaut mieux se regarder dans le miroir et arrêter d’accuser les autres de nos propres turpitudes. En ce moment, il y a un attelage politique hétéroclite et inédit au Mali. La transition amalgame tous les courants politiques.
Ceux qui revendiquent explicitement leur filiation politique avec l’USRDA de Modibo Keïta et dont l’idéologie revendiquée est tirée des enseignements d’Amadou Traoré dit Amadou Djicoroni, figure majeure et centrale de la défense et de l’illustration des actions du régime de Modibo Keïta. Ce courant voue aux gémonies le Comité Militaire de Libération Nationale (CMLN) et l’Union Démocratique du Peuple Malien (UDPM) qu’il accuse, en complicité avec la France, d’avoir fait prendre au Mali une trajectoire infernale.
De l’autre côté, il y a le très populaire Premier ministre de la transition, qui a bâti toute sa carrière politique sur la revendication de l’héritage politique du régime de l’ancien président de la République Moussa Traoré (GMT) et de l’UDPM. Le Premier ministre aussi a toujours défendu la thèse selon laquelle la France a déstabilisé le bon régime de GMT pour le jeter en pâture à des tartuffes de démocrates.
Le fait que cet attelage fonctionne est la traduction politique du fort désamour des Maliens vis-à-vis de l’intervention française au Mali dont la traduction chiffrée est le passage du niveau de satisfaction des Maliens de près de 80% à 10% à peine entre 2013 et 2022. Il se brisera dès que nous ferons face à nous-mêmes et les premières fissures sont déjà apparues au grand jour lors de l’adoption de la nouvelle loi électorale et surtout lors de l’adoption de la Loi de finances 2023.
La Transition a parachevé l’œuvre de réhabilitation de GMT entamée sous ATT, accélérée sous IBK. Le positionnement par rapport à GMT et à son héritage politique est une autre ligne de démarcation dans le champ politique malien. Il y a ceux qui sont farouchement Anti GMT et il y a à l’opposé les Pro GMT. Ceux dont l’identité politique est fortement marquée, revendiquée par leur opposition à GMT, ne peuvent participer avec les pro-GMT qu’à un projet commun destructeur d’un certain ordre.
Un autre axe dans le champ politique malien dont l’existence a traversé les époques est l’opposition entre les « vieux » et les « jeunes ». Avec 80% de la population de moins de 40 ans, dont plus de 70% de moins de 30 ans, la question se pose encore avec plus d’acuité. Se positionne-t-on comme étant « jeune » ou à l’opposé on se laisse définir par les adversaires comme étant « vieux » ? Ce positionnement n’est pas aussi clivant que les précédents.
Le dernier axe dans le champ politique malien est l’incarnation de la rupture ou de la continuité avec les anciennes pratiques. La rupture suppose des idées radicalement nouvelles, fortes qui s’attaquent aux racines des maux sans prendre prétexte de rassemblement ou d’union nationale pour identifier et punir les coupables, mettre l’administration et la hiérarchie militaire au pas.
Les religieux
Sous ce vocable se trouve en fait une galaxie hétéroclite de guides spirituels plus ou moins influents, de divers courants musulmans aux positions religieuses et politiques rarement uniformes. En schématisant nous pouvons identifier dans la partie libre du pays deux grands groupes de religieux aux visions politiques de l’islam opposées. Les éléments d’obédience soufie constituent le premier groupe tandis que le second est formé par les wahhabites.
Quoique les wahhabites ne forment pas non plus un bloc monolithique. Numériquement, les premiers sont les plus nombreux, financièrement les seconds sont les plus puissants en raison des importants soutiens financiers qu’ils reçoivent des pays du golfe depuis le premier choc pétrolier. Les religieux ont vocation à s’adresser à toutes les couches sociales. Les éléments du premier groupe sont dans une posture généralement d’accompagnement du pouvoir en place quel qu’il soit. Tandis que les seconds militent en partie pour un islam politique.
Il y a également d’autres axes qui prennent plus ou moins de l’importance en fonction de la configuration du moment (Divers aspects de la religion par exemple).
Dans ce champ politique, les Maliens soutiennent massivement les autorités de la transition qui ont une cote de popularité de près de 95%. Les priorités qu’ils expriment sont relatives d’abord à la résolution de l’insécurité dans le pays (76%), et dans les régions les plus touchées par le phénomène, ils sont plus de 89% à l’ériger en priorité des priorités.
Ensuite, ce sont les questions relatives à la sécurité alimentaire qui arrivent dans la liste des priorités (48%). Bien loin des principales préoccupations des Maliens, l’organisation des élections (6%) ou la lutte contre la corruption (3%). Ils souhaitaient au moment de la collecte de ces informations (Avril 2022) une durée moyenne de la transition de 3 ans huit mois.
Les Maliens expriment un besoin de sécurité et un besoin d’être à l’abri de la faim. Joseph Brunet-Jailly, dans une remarquable analyse de l’opinion publique malienne, affirmait déjà en 2019 que : « Décidément, au Mali, l’opinion publique ne pense pas ce que vous voudriez croire, elle ne pense pas, elle veut manger. »
Les Maliens ne lient pas la satisfaction de ces besoins à la mise en place d’un pouvoir élu démocratiquement. Les préoccupations des partis politiques relatives à un retour à une vie constitutionnelle normale ne sont pas du tout celles des Maliens en ce moment.