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Prospective à l’horizon Mali 2020-2025 : Un tableau sombre
Publié le lundi 3 avril 2023  |  L’Inter de Bamako
Remise
© aBamako.com par DR
Remise de rapport du Vérificateur général au président de la transition
Bamako, le 29 novembre 2022 le président de la transition a reçu le rapport du Vérificateur général à koulouba
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La démocratie malienne a atteint par moments le seuil de l’étouffement. Si nous ne prenons garde, elle risque de sombrer dans une agonie imparable. Nous sommes tous interpellés: gouvernants et gouvernés, citadins et ruraux, dirigeants, militants, et adhérents des partis politiques, leaders et membres des organisations de la société civile, leaders d’opinion, intellectuels, autorités religieuses et traditionnelles, etc.

Les recherches faites ont montré que la bataille menée sur le double front de la lutte contre la corruption et l’amélioration des conditions de vie des populations est loin d’être gagnée avec l’instauration de la démocratie. Il y a donc lieu de s’interroger sur les chances de survie de l’expérience démocratique. De façon plus précise, deux (02) questions fondamentales méritent d’être posées: les Maliens perdront-ils foi dans un système démocratique qui tarde à réaliser leurs aspirations légitimes à une bonne gestion des affaires publiques et au mieux-être ? Une déception constituerait-elle un facteur de fragilisation ou de remise en cause de l’expérience démocratique ?

La problématique de la survie de l’expérience démocratique malienne sera analysée à la lumière des théories courantes sur la compréhension de la démocratie et le processus de sa consolidation. La première théorie dite du choix rationnel soutient que le jugement que les individus portent sur un système démocratique se construit de façon raisonnée. Ils comparent les avantages et les inconvénients de plusieurs systèmes politiques et s’associent avec le système qui répond le mieux à leurs intérêts individuels et collectifs. Il va sans dire que les paramètres qui influencent leur jugement sont essentiellement d’ordre économique. Cette idée des retombées économiques d’un système démocratique est traduite sous une forme un peu caricaturale par le concept de «la politique du ventre» imaginé par Jean François Bayart. Dans la logique de cette théorie, un système démocratique qui ne fait pas des avancées sur le plan économique sera boudé par les populations et aura tendance à se fragiliser, et à la longue, à disparaitre.

Si on devait jauger les chances de survie de la démocratie malienne à la lumière de la théorie du choix rationnel, on pourrait comparer l’expérience démocratique entamée, depuis mars 1991, sans exagération aucune, à un navire qui traverse une zone de grandes turbulences, tangue, et prend eau de toutes part en vingt (20) ans de pratique démocratique, le maintien des grands équilibres macro-économiques et la croissance annuelle presque continue du produit intérieur brut, qui sont devenus une obsession des autorités, n’ont pas eu pour effet d’améliorer de façon notable le quotidien des Maliens.

La pauvreté et la corruption n’ont pas régressé, bien au contraire. Dans les grands Centres urbains, l’armée des jeunes diplômés sans emploi, véritable bombe sociale à retardement, reçoit tous les ans de nouvelles recrues. Dans le pays profond, les jeunes ruraux, attirés par les mirages de la ville, fuient en masse les villages et viennent grossir les rangs des désœuvrés dans les quartiers périphériques de Bamako. Bref, le pronostic serait sévère: le navire de l’expérience démocratique malienne pourrait sombrer à tout moment dans les eaux agitées qu’il traverse. Ce pronostic est loin d’être le fruit des élucubrations d’un prophète de malheur. Il rejoint en plusieurs points l’analyse des experts qui ont réalisé l’étude prospective du Mali à l’horizon 2025, notamment les prédictions des troisième et quatrième scénarios de l’étude.

Les prédictions des troisième et quatrième scénarios de l’étude

Le troisième scénario dresse un tableau assez sombre, avec un contexte de marasme économique d’instabilité politique et d’agitation sociale marqué par la montée de l’incivisme des populations, la corruption prononcée de l’administration, l’exacerbation des revendications corporatistes, la prolifération des partis politiques et des associations autour de personnalités préoccupées par leurs propres intérêts, le laisser-aller généralisé.

Le quatrième scénario présente une situation beaucoup plus catastrophique caractérisée par la régression économique, la baisse de l’aide au développement, la dégradation accrue de l’environnement, la montée du chômage, la généralisation de la pauvreté et de la mendicité, la dépréciation des mœurs consécutive à une perte des valeurs morales dans la société, etc.

Pour faire face à ces graves périls, l’État adopte la stratégie du «tout sécuritaire». En cette période de dangers imminents qui menacent les fondements mêmes de l’État et de l’unité nationale, la mission de l’État se ramène essentiellement à la protection de la classe minoritaire des dirigeants et des possédants. Les prédictions de ces deux (02) scénarios confortent l’idée des difficultés de survie d’un système démocratique dans un contexte de marasme ou de régression économique.

Comme on doit se douter, la théorie du choix rationnel sur laquelle se fonde l’hypothèse du naufrage du bateau de la démocratie malienne a des limites. Si on pousse la logique de cette théorie jusqu’au bout, on dira qu’un système démocratique, quelles que soient ses prouesses sur le plan de l’implantation d’un système de gouvernance démocratique et quel que soit le degré de satisfaction des citoyens par rapport à ce système, sera boudé par ces mêmes citoyens s’il n’est pas performant au plan économique.

En d’autres termes, les citoyens seraient tentés de jeter le «bébé de la démocratie» avec «l’eau de bain de l’économie», selon la formule séduisante utilisée par Robert et ses collègues.

Une deuxième théorie plus nuancée suggère une double approche de la compréhension qu’ont les citoyens d’un système politique démocratique. Cette théorie dualiste fait un distinguo entre la conception «substantiviste» et la conception «procédurale» de la démocratie. Les personnes qui ont une conception substantiviste de la démocratie attachent une valeur instrumentale au système politique démocratique. Elles en attendent des avantages matériels et la promotion d’une certaine égalité sociale.

En termes clairs, elles jugent le système démocratique en fonction du panier de «biens économiques et sociaux» qu’il procure. Les personnes qui ont une conception procédurale de la démocratie attachent une valeur intrinsèque au système politique démocratique. Leurs attentes englobent des choses comme le respect des libertés individuelles et collectives, le choix des dirigeants par le biais d’élections libres et transparentes, l’existence de contre-pouvoirs véritables, le traitement équitable des citoyens par l’État, etc. Là, le jugement se fonde sur le contenu du panier des «biens politiques».

Certes, ces biens politiques ne sont pas une denrée de première nécessité, mais ils sont importants pour le bien-être des individus. Si on devait appliquer cette théorie dualiste au contexte malien, on pourrait affirmer que le panier des biens politiques est relativement fourni alors que le panier des biens économiques et sociaux est relativement dégarni.

Étant donné que la plupart des citoyens sont vraisemblablement des «substantivistes» et se classeraient donc dans le camp des sceptiques et des déçus, on peut espérer que l’opinion favorable de la minorité des «procéduristes» constituerait un ballon d’oxygène pour le système démocratique. Toutefois, il ne s’agit guère d’un état de grâce permanent, car la survie et la pérennisation de l’expérience démocratique requièrent, dans le moyen et long terme, que le contenu des deux (02) paniers soit un tant soit peu équilibré.

La problématique de la survie de l’expérience démocratique malienne peut être analysée aussi sous l’angle de la théorie de la demande et de l’offre de démocratie. Cette troisième théorie suggère que le sort d’un système démocratique dans un pays donné est fonction de deux (02) paramètres:

– Le premier paramètre, c’est l’existence d’une demande réelle de démocratie dans ce pays, c’est-à-dire la croyance chez une grande majorité de l’élite et des citoyens ordinaires que la démocratie est bel et bien le mode préféré de système politique.

– Le deuxième paramètre, c’est la capacité des institutions politiques à procurer un degré de démocratie acceptable aux yeux des citoyens de ce pays. Selon cette théorie, la demande de démocratie contribue au processus de légitimation du système politique, tandis que l’offre de démocratie participe de son institutionnalisation.

Pour analyser le cas malien à la lumière de cette dernière théorie, nous ferons appel aux résultats d’une série de sondages d’opinion effectuée dans un certain nombre de pays africains, dont le Mali, entre 1999 et 20003. La série est connue sous le nom de «Afro Baromètre».

La demande de démocratie est mesurée sur une double dimension: la préférence pour un système politique démocratique et le rejet d’un système politique autoritaire. La plupart des Maliens pensent que la démocratie est préférable à tout autre système politique: 60% des personnes interrogées en 2001 contre 71% des personnes interrogées en 2003. La plupart des Maliens rejettent un régime militaire: 70% en 2001 contre 65% en 2003. La plupart des Maliens rejettent aussi un régime de parti unique : 73% en 2001 contre 71% en 2003. Ces chiffres suggèrent l’existence d’une forte demande de démocratie au sein de la population.

Qu’en est-il de l’offre de démocratie ?

Elle est mesurée dans le sondage sur une double dimension: le niveau de démocratisation du système politique, et le degré de satisfaction avec le fonctionnement de la démocratie. Là, les chiffres ne sont pas fameux. Le niveau de démocratisation est jugé bas. Seulement 23% des Maliens trouvent que le système politique est pleinement démocratique en 2001 contre 30% en 2003. En 2001, 37% pensent que le système politique est démocratique mais présente des problèmes majeurs contre 24% en 2003.

Sur le plan de la satisfaction des individus avec le fonctionnement de la démocratie, en 2001, 18% des Maliens sont très satisfaits, 17% un peu insatisfaits. En 2003, on trouve 81% d’insatisfaits dans la catégorie qui pense que le système politique malien n’est pas démocratique contre 14% d’insatisfaits dans la catégorie qui pense que le système est pleinement démocratique. Les résultats du sondage suggèrent globalement que l’offre de démocratie n’est pas satisfaisante au Mali. Si on devait appliquer la théorie de la demande et de l’offre de démocratie au contexte malien en utilisant les résultats des sondages de l’«Afro Baromètre», on pourrait dire que la démocratie malienne se tient debout sur une seule jambe. Elle est donc handicapée par une impotence partielle.

En effet, il existe une forte demande de démocratie, gage d’une certaine légitimation du système politique. Toutefois, l’offre ne suit pas, ce qui se traduit par un faible ancrage et une faible institutionnalisation du système démocratique.

La conclusion à tirer ici est que la survie et la consolidation de l’expérience démocratique au Mali requièrent la recherche d’un équilibre entre la demande et l’offre de démocratie, afin que le système démocratique puisse faire usage de ses deux (02) jambes pour se mouvoir.

Source: «Mali: Une démocratie à refonder» (Ali CISSÉ)
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