Le chef de parquet du Tribunal de grande instance (TGI) de la Commune IV de Bamako a fait cette déclaration au cours d’un point de presse qu’il a animé, jeudi dernier dans les locaux de son service.
Il a saisi l’occasion pour donner des précisions sur certains dossiers en instance, avant de tenter de lever l’équivoque sur plusieurs aspects de la procédure pénale concernant la liberté d’expression, la détention provisoire et la mise en liberté provisoire, l’enrôlement de la demande de mise en liberté provisoire, les conditions d’accès aux dossiers en instruction par les avocats de l’inculpé
Le procureur Touré a expliqué que contrairement aux juges d’instruction et aux juges du siège, le procureur de la République dispose d’une orientation préférentielle fixée par la politique pénale qui est dégagée par le ministre de la Justice, et le tout s’articule autour de la stabilité et du maintien de l’ordre public. Selon le praticien du droit, le procureur de la République est une partie au procès en ce sens qu’il représente la société. «C’est pour cette raison que la loi lui a conféré le pouvoir de poursuite et du mandat de dépôt», a-t-il expliqué. À ce propos, le magistrat a saisi l’opportunité pour s’exprimer sur le contenu du projet de Constitution qui prévoit la suppression du mandat de dépôt des compétences du procureur de la République.
Selon lui, cette réforme ne serait pas une bonne chose pour un pays en quête de refondation. «Dans un pays qui cherche à se relever, on n’affaiblit pas l’État à travers ses différents instruments d’autorité», soutient Idrissa Hamidou Touré, rappelant que le procureur est l’un des agents publics par lesquels l’État assoie son autorité. En appui à ses propos, le magistrat va plus loin en affirmant que pendant trop longtemps les procureurs «sont restés tranquilles dans leur bureau à faire le dos rond pour ne pas avoir à prendre des décisions qu’il fallait pour maintenir l’ordre public.
En voulant tout simplement éviter que leur nom soit sur toutes les lèvres». Toute chose qui justifie à suffisance le désordre qui règne dans l’espace public malien. Or, dit-il, un procureur de la République est fait pour aller au charbon pour la stabilité et le maintien de l’ordre public. «Force est de reconnaitre qu’on ne saurait réussir une telle mission sans recevoir des coups de la part ceux sur qui il exerce son pouvoir», convient-il.
MAINTIEN DE L’ORDRE PUBLIC- Parlant de la liberté d’expression, le procureur Touré s’est dit surpris d’entendre que cet acquis démocratique n’est pas effectif dans notre pays. Selon lui, le Tribunal de grande instance de la Commune IV n’est nullement opposé à la liberté d’expression que d’aucuns vaudraient confondre ou assimiler «au laisser-aller ou au laisser tout dire». De son point de vue, tout le monde est libre de parler et d’exprimer son opinion au Mali. «Toute personne qui se voit inquiéter pour ses propos, c’est qu’au-delà de la liberté d’expression, l’intéressé s’inscrit dans un autre registre, un autre schéma et ça nous ne pouvons laisser faire ou dire des propos visant à troubler l’ordre public et la stabilité», explique le juriste.
À ceux qui disent qu’on ne peut plus parler au Mali sans dire des choses qui font plaisir aux autorités de la Transition, le procureur Touré répond qu’ils font des affirmations infondées. Occasion pour lui de revenir sur les dossiers concernant le chroniqueur Mohamed Youssouf Bathily alias Ras Bath et Mme Sidibé Rokia Doumbia dite Mme «Vie chère», placés sous mandat de dépôt par son parquet. Selon Idrissa Hamidou Touré, tous étaient dans d’autres registres portant atteinte à l’ordre public et à la stabilité.
Concernant le cas de Ras Bath, le procureur précise que le porte-parole du Collectif pour la défense de la République (CDR) est poursuivi devant le tribunal correctionnel pour «simulation d’infraction» alors qu’il est inculpé par le juge d’instruction «pour association de malfaiteurs et autres…» Donc les deux procédures sont bien distinctes et elles ne sont pas de même nature. «Peut-être qu’il peut bénéficier d’un non-lieu devant le juge d’instruction et être condamné au correctionnel et vice-versa», laisse entendre le procureur. Avant d’inviter nos concitoyens à faire en sorte que les actes qu’ils posent au quotidien soient couverts par la légalité pour ne pas avoir à répondre devant la justice.
En réponse aux allégations d’un des avocats de Ras Bath faisant état de l’opposition du juge d’instruction à leur accès au dossier, le procureur Touré défend la légalité de ce refus qui repose sur les dispositions des articles 110 et suivants du Code de procédure pénale. Selon ces dispositions, «le juge d’instruction est tenu de ne montrer le dossier aux avocats de l’inculpé qu’après avoir fixé la date de l’interrogatoire au fond. Pas avant».
Dans la mesure où, il s’agit d’une procédure inquisitoire dans laquelle tout est écrit et secret. De l’enquête préliminaire jusqu’à la fin de l’instruction préparatoire, détaille le magistrat. Une manière pour lui de rassurer l’opinion publique qu’il n’y a aucune cabale contre Ras Bath. Il assure que chacun est libre d’exercer et de jouir tranquillement de ses droits et libertés constitutionnels, seulement dans les limites fixées par la Constitution et les lois subséquentes.
AUTO-SAISINE- Par ailleurs, le magistrat explique les circonstances dans lesquelles un procureur est appelé à s’auto saisir : il s’agit essentiellement des infractions relatives à la chose publique ou à l’ordre public contrairement aux violations du droit privé, notamment une injure proférée contre une tierce personne nommément. Dans ce dernier cas de figure, c’est à la personne victime de l’injure d’aller porter plainte contre l’auteur auprès du procureur.
Mais lorsqu’une injure est proférée publiquement sur les réseaux sociaux sans nommer quelqu’un, tout de suite cela entre dans le cadre de l’auto saisine du procureur, qui est l’un des défenseurs de la loi, de la société, de l’ordre public et de la stabilité. Il en va de même lorsqu’il est porté atteinte à l’honorabilité d’un dépositaire de l’autorité publique donc du pouvoir, le procureur s’auto saisit pour faire respecter la légalité. Car les autorités représentent également des biens publics qui doivent être respectés et protégés partout et en tous lieux.
Sur le sujet se rapportant à la lenteur liée aux demandes de mise en liberté provisoire au niveau du Tribunal de grande instance de la Commune IV, Idrissa Hamidou Touré rappelle que l’enrôlement est un acte d’administration judiciaire qui relève de l’appréciation souveraine du procureur de la République, donc de son pouvoir discrétionnaire. L’idéal voudrait que la demande de mise en liberté provisoire, dès réception, soit enrôlée à la prochaine audience qui peut être souvent prévue juste trois jours après la réception.
«Mais, il y a de forte chance que le procureur oppose son droit de veto s’il arrivait que le juge accède à cette libération provisoire avant un mois», révèle-t-il. Mais lorsqu’après analyse, il se révèle que l’inculpé est en détention depuis au moins un mois le procureur enrôle la demande tout de suite et ne s’oppose plus à la décision de mise en liberté provisoire. «Car nous estimons que le prévenu aura eu le temps nécessaire de se repentir de son acte».
Occasion pour le magistrat de souligner que ce sont les textes qui indiquent que la détention sert à prévenir le renouvellement de l’infraction. «C’est comme une sorte d’éducation et de correction», argumente M. Touré. En outre, la détention préventive sert aussi à mettre fin aux troubles causés par l’infraction. «C’est ce qui soutient notre démarche par rapport au délai d’enrôlement et tout cela est en lien avec la nature de la violation commise.
Par exemple, en ce qui concerne les cas de vol de motos et autres, tant que l’inculpé n’est pas jugé définitivement au fond, ici en Commune IV, on s’oppose à toute demande de liberté provisoire. «Tout simplement parce nous estimons la peine que peut représenter pour la victime du vol de moto, de rencontrer le malfaiteur juste quelques jours après l’acte», souligne le procureur Touré.
Par rapport au débat sur les compétences en matière de cybercriminalité, le magistrat affirme que cette question est prise en charge par l’article 2 de la loi sur la cybercriminalité qui voudrait que l’on fasse application du principe de «l’ubiquité». «Cela sous-entend qu’on tienne compte indistinctement du lieu de commission et de celui où l’infraction a produit ses résultats. Et ça c’est du droit pur et simple», dit-il.
Par rapport à la thèse de l’empiètement sur la présomption d’innocence, notre interlocuteur relève que si le procureur place un prévenu sous mandat de dépôt cela voudrait dire qu’il estime déjà que la personne est coupable sinon il applique le principe du classement du dossier sans suite. Occasion pour lui de clarifier que le procureur de la République n’est pas un magistrat impartial à l’opposé du juge d’instruction et du juge du siège. Car, le procureur est tenu par des orientations préférentielles qui s’appellent préservation et stabilité de l’ordre public. Ce qui résulte de la politique pénale du département en charge de la Justice, dont le creuset n’est autre que la lutte contre l’impunité. «Il faut lutter contre les crimes et les délits et un procureur de la République est fait pour cela et rien d’autre», conclut Idrissa Hamidou Touré.