La politique est un terme tellement galvaudé sous nos tropiques qu’il est devenu méconnaissable, transformé en épouvantail par nos apprentis sorciers. Aujourd’hui, dans son acception véhiculée dans la société malienne, depuis les hameaux de culture jusqu’aux quartiers les plus huppés de la capitale, aux yeux du citoyen lambda, le mot politique rime avec imposture, mensonge sans vergogne à tel enseigne qu’il est coutume d’entendre «ne me sers pas de la politique en guise de mets ! » en lieu et place de «ne me mens pas ! »
Le défaut de redevabilité, l’apanage de beaucoup de nos élus, le manque de projets de société de la part des prétendus partis politiques, la politisation de l’administration générale…ont fini par décrédibiliser l’Etat.
À cause des promesses non tenues, les populations vouent nos acteurs politiques aux gémonies, alors que la politique dans son sens étymologique est une pratique noble. Car peu de personnes en connaissent la signification précise. Il provient du mot grec «polis» qui signifie «cité» mais plutôt dans le sens de «communauté organisée», de société ». La politique c’est donc la gestion de la société. Or, quels problèmes se posent à la société ?
Pour l’essentiel, il s’en pose deux sortes :
-Créer le plus de richesses possibles à mettre à la disposition de tous : il s’agit là d’un problème de production, donc d’un problème économique.
– Assurer une bonne répartition des richesses disponibles entre les individus : il s’agit là d’un problème social.
Or les mesures économiques visant à développer la production ont souvent un effet antisocial, car elles favorisent la concentration des richesses et du pouvoir de décision entre les mains de quelques uns comme les entrepreneurs privés. Ainsi, les sociétés les plus dynamiques économiquement sont souvent très inégalitaires.
En sens inverse, les mesures sociales qui visent à une plus juste répartition et à une amélioration du sort des couches modestes de la population coûtent de l’argent à la société (hôpitaux, écoles par exemple), et l’appauvrissement donc d’une certaine manière. C’est ainsi que, dans le monde actuel, les sociétés les plus justes sur le plan social sont en même temps des sociétés de relative pauvreté où les pénuries sont nombreuses (cas de Cuba dont les structures sanitaires sont remarquables).
Dosage équilibré entre mesures économiques et mesures sociales
Les mesures économiques sont donc généralement antisociales et les mesures sociales antiéconomiques, et la politique est l’art difficile d’établir, dans une société donnée, et à un moment donné, un certain dosage entre les mesures économiques et les mesures sociales. Avoir des idées politiques, un programme politique, c’est avoir une conception claire et précise du dosage des mesures économiques et des mesures sociales, que l’on souhaite voir appliquer dans son pays.
La vie politique, est alors la confrontation de ces idées et de ces programmes. Dans la plupart des pays africains, on ne trouve pas de réel débat politique, de vie politique ainsi comprise. « Faire de la politique » y signifie simplement lutter pour conquérir pour soi-même et pour son ethnie une part du pouvoir et des privilèges qui y sont attachés. Les hommes et les groupes rivaux ne se soucient pas de réfléchir aux problèmes fondamentaux de la société, ni de proposer un programme précis pour les résoudre, mais seulement d’accéder au pouvoir.
Mais cette lutte pour le pouvoir ne mérite pas le nom noble de «politique». La stagnation de l’Afrique et l’inefficacité des Etats qui la composent trouvent là en grande partie, leur origine.
Mohamed Koné, Correspondant à Kadiolo
Source : Quel Etat pour l’Afrique ? de Thierry Michalon. Edition 1984