La journaliste franco-finlandaise Taina Tervonen a enquêté sur le pillage du trésor de Ségou, au Mali, en 1890. Un vol révélateur de l’histoire coloniale et qui pose la question des restitutions.
Au cours de son enquête sur le pillage du trésor de Ségou, Taina Tervonen a été « surprise par la violence, la brutalité de cette histoire coloniale que les Français ne connaissent pas en profondeur ».
La journaliste franco-finlandaise Taina Tervonen s’est penchée sur le pillage du trésor de Ségou, au Mali, en 1890. Un vol révélateur de l’histoire coloniale et qui pose la question des restitutions. Entretien.
Quel est ce trésor de guerre pillé à l’Afrique, sur les traces duquel vous vous êtes lancée ?
Il s’agit d’armes, de bijoux d’or et d’argent, de manuscrits ayant appartenu au chef musulman El Hadj Oumar Tall, fondateur de l’Empire toucouleur, qui s’étendait sur le Mali. Ces objets ont été pris à son fils Ahmadou lors de la chute de Ségou, capitale de l’empire, en 1890, par les troupes colonisatrices.
Pourquoi vous y êtes-vous intéressée ?
En 2017, a surgi le débat sur la restitution des œuvres pillées dans les colonies, qui en dit long sur l’héritage colonial… Ces objets-là, le khalife Thierno Madani Tall, descendant des Tall, les réclamait depuis trente ans. Après avoir été montrés lors d’expositions coloniales, ils dormaient dans des réserves, invisibles au public. On ne montre pas, mais on ne rend pas ! Qu’est-ce qui bloque ?
Au Sénégal, le khalife vous demande pourquoi une blanche, descendante de colons, s’intéresse à cette histoire ?
Oui, pourtant mes ancêtres étaient des bûcherons et des paysans finlandais ! Mes parents étaient des missionnaires protestants finlandais. Avec eux, j’ai passé les quinze premières années de ma vie au Sénégal. Mais en l’espèce, c’est la couleur de la peau, celle du colon, qui compte.
Vous connaissiez donc le trésor de Ségou ?
J’ai appris l’histoire coloniale à l’école… version sénégalaise ! Je connaissais El Hadj Oumar Tall, une figure familière dont on récitait l’histoire en primaire, et l’existence de son sabre, pièce maîtresse du trésor de Ségou. Je savais l’importance de cette figure historique et la valeur symbolique des objets.
Pourquoi le colonisateur a-t-il volé ces objets ?
Pour leur supposée valeur marchande, mais aussi parce qu’il s’emparait d’objets qui étaient des symboles de pouvoir, touchaient à l’identité. Le colonel Louis Archinard, qui a vaincu Ségou, savait ce qu’il faisait. Au Sénégal, on connaît très bien Archinard. En France, il est tombé dans l’oubli, même au Havre, sa ville natale.
Qu’avez-vous appris sur le trésor ?
Il avait été éparpillé, dans les réserves du quai Branly, au muséum d’histoire naturelle du Havre, au musée de l’Armée, à la Bibliothèque nationale de France… Dans les archives, difficile d’en apprendre beaucoup sur les objets. Il y a très peu d’articles d’historiens. Pas comme pour les objets pris au Dahomey, l’actuel Bénin, dont certains, exposés au quai Branly, ont été rendus. Mais le pire, c’est que beaucoup de pièces du trésor ont disparu.
Dans quelles circonstances ?
Certaines ont été volées, d’autres ont été vendues, fondues en lingots d’or pour équilibrer les comptes de l’Office colonial. La lettre d’un corbeau dénonce des vols commis par un comptable de l’Office… Le comble, c’est que parmi les arguments invoqués par les conservateurs français pour ne pas rendre les objets des ex-colonies, il y a celui que les Africains ne sauraient pas s’occuper de leur patrimoine, qu’ils n’ont pas de musées. Derrière tout cela, il y a l’idée que les Africains sont incapables. Certains évoquent aussi le côté universel de l’art. Pourquoi faudrait-il rendre les objets, puisqu’ils sont dans des musées français ? Cet ethnocentrisme est très marqué en France.
Dans le butin de guerre, il y avait aussi… un enfant ?
Oui, Abdoulaye, le fils d’Ahmadou. Il a été pris à dix ans, alors que, selon les récits héroïques, il défendait sa mère en brandissant le fameux sabre d’El Hadj Oumar Tall. Ensuite, il a été envoyé en France et quasiment adopté par une famille de Parisiens.
Était-il courant que l’on s’empare ainsi d’enfants ?
Oui, les fils de chefs étaient envoyés dans des « écoles des otages » créées par Faidherbe, administrateur colonial du Sénégal. Rebaptisées « écoles de fils de chefs et d’interprètes » elles donnaient aux garçons une éducation à la française afin qu’ils deviennent interprètes au service du colonisateur. Mais Archinard voulait aller encore plus loin. Il pensait qu’il fallait couper les enfants de leurs racines, de leur famille et de leur pays afin qu’ils ne soient plus les héritiers de leur histoire. Cela en dit long sur la façon de penser la conquête coloniale et la violence que l’on exerçait sur les identités.
Qu’est devenu Abdoulaye ?
Il a fini par entrer à Saint-Cyr, mais il est mort de la tuberculose à 20 ans. J’ai lu ses lettres à Archinard, son histoire est tragique. Il avait l’injonction de devenir français, mais on lui a reproché des choses qui lui montraient qu’il n’en serait jamais un. C’était glaçant, tellement cela me rappelait la violence de notre société d’aujourd’hui envers les jeunes noirs et Arabes que l’on ne considère pas comme français de peau. On leur dit « Il faut que tu sois français, mais tu ne le seras jamais complètement. »
Ironie du sort, le sabre qu’Abdoulaye brandissait a été restitué ?
Oui, j’ai commencé à travailler sur cette histoire en 2018 et en 2019, le Premier ministre Édouard Philippe a rendu l’arme. Plus exactement, le sabre était en prêt à Dakar et il a prolongé le prêt en parlant de « restitution ». Même si cela n’en était pas une au sens strict car la loi ne le permettait pas. Cela en fait tout de même la première pièce restituée par la France. Pourquoi lui ? Je l’ignore, sans doute pour des raisons diplomatiques. Mais il y a une polémique au Sénégal. Certains disent que les Français ont gardé le vrai sabre, voire que le sabre volé n’est pas vraiment celui de la légende, resté à Bandiagara où est mort El Hadj Oumar !