Bissau (Guinée-Bissau) a abrité la 63e conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) le 9 juillet 2023. Et bien naturellement que les transitions politico-militaires au Burkina Faso, en Guinée et au Mali étaient une fois de plus au cœur des débats. Et il est regrettable de constater que les dirigeants de la sous-région continuent de brandir les menaces pour exiger un retour rapide à «l’ordre constitutionnel» dans ces trois pays.
«Nous ne permettrons jamais que les coups d’Etat se succèdent en Afrique de l’ouest… Nous devons être fermes en matière de démocratie qui est la meilleure forme de gouvernance. Nous sommes ici parce que nous avons fait beaucoup de sacrifices pour la démocratie. Nous devons être l’exemple pour le reste de l’Afrique» ! La menace est du nouveau président du Nigeria, Bola Tinubu (Asiwaju Bola Ahmed Adekunle Tinubu), qui succède au Bissau-guinéen Umaro Sissoco Embalo à la présidence tournante de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO).
«Nous devons réagir, nous ne pouvons pas rester comme des chiens sans crocs à la Cédéao. Nous devons mordre comme il le faut. Avec la confiance placée en moi, je m’engage à œuvrer dans ce sens», a-t-il promis, oubliant volontairement qu’il ne s’agit plus du Nigeria, mais de toute une sous-région, l’une des zones les plus sous-développées de l’Afrique. Et au lieu de dégager des voies et moyens permettant à l’organisation de réellement accompagner les régimes transitoires (Mali, Burkina Faso et Guinée-Conakry), les dirigeants de la Cédéao se sont une fois de plus perdus dans les invectives, les intimidations et les menaces contre des Etats qui ne demandent pourtant qu’à être soutenus pour poser les jalons d’une démocratie constructive et éviter tout retour à la case-départ dans quelques années.
Le président de la commission de la Cédéao, Oumar Alieu Touray, a en effet annoncé des «sanctions majeures» contre le Mali, le Burkina Faso et la Guinée Conakry en cas en cas de non-respect des échéanciers de 24 mois fixés aux trois pays en phase de transition pour un retour à l’ordre constitutionnel. «Les chefs d’Etat ont insisté sur le respect strict de l’échéancier électoral. Les autorités de transition ne doivent pas faire obstruction au travail des médiateurs. A défaut de respecter l’échéancier, des sanctions majeures pourraient s’en suivre», a-t-il menacé.
«Le retour à l’ordre constitutionnel normal dans ces trois pays est une nécessité impérative pour la stabilité politique et la promotion de l’Etat de droit démocratique pour le bien être de notre communauté sous régionale», avait relevé Umaro Sissoco Embalo, le président bissau-guinéen dans son allocution d’ouverture du sommet. Par contre, l’Envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique de l’ouest et le Sahel a été très réaliste. En effet, Leonardo Santos Simão a rappelé qu’il faut «tenir compte des situations spécifiques de chaque pays pour des transitions réussies». Il a ainsi tenu à faire la part de choses contrairement à l’attitude va-t-en guerre des présidents de l’Afrique de l’ouest qui se complaisent dans le déni de la réalité alors que la majorité d’entre eux sont loin d’être des références démocratiques.
Une situation qui les empêche de réellement réfléchir sur les raisons profondes des putsches dans notre sous-région. Comment un pays comme le Mali, qui était cité comme une référence démocratique en Afrique, s’est-il soudainement retrouvé au creux de la vague englué dans une crise multidimensionnelle ? Pourquoi les «putschistes» du 18 août 2020 ont-ils été applaudis et sont-ils encore si populaires dans l’opinion nationale voire africaine ?
Autant de questions que Bola Tinubu et ses homologues auraient dû examiner avec toute la profondeur requise. Si les menaces des sanctions avaient réellement un impact, la transition aurait pris fin au Mali aujourd’hui. Il ne leur revient pas de décider à la place des populations maliennes la durée de cette transition. Aujourd’hui, ce qui est important aux yeux des Maliens, ce n’est pas le temps que la transition va prendre, mais l’urgence d’instaurer les bases d’une gouvernance vertueuse. Il ne s’agit plus de se précipiter pour organiser des élections comme en 2013 pour revenir à la case-départ quelques années après. Mais, de créer les conditions d’une véritable gouvernance démocratique qui ne laisse plus de place aux maux ayant engendré l’impasse dans laquelle le pays se retrouve depuis plus d’une décennie.
Ce n’est pas la menace des sanctions qui va dissuader les Maliens (sans doute les Burkinabé et les Guinéens aussi) de parachever les réformes envisagées dans le cadre de la refondation de l’Etat. Les dirigeants de la Cédéao doivent comprendre que cela est l’un des meilleurs moyens de mettre ce pays à l’abri d’un nouveau putsch dans quelques années. Raison de plus pour accompagner le peuple malien à y parvenir au lieu des menaces et des intimidations veines !