Les violences qui se sont déroulées le lundi 30 septembre au siège de l’ex – Cnrdre à Kati et la réaction énergique qu’elles ont entraînée de la part des autorités occupent encore tous les esprits à travers le Mali, tout en donnant lieu à des interprétations diverses, voire radicalement opposées.
Si ces évènements continuent de susciter de nombreuses interrogations plusieurs jours après leur survenance, c’est probablement parce qu’ils sont loin d’avoir délivré tous leurs secrets et que de nombreuses zones subsistent à leur propos.
Que s’est- il vraiment passé à Kati le 30 septembre 2013 ?
Selon la version officielle, ce jour-là, quelques dizaines de soldats ont fait irruption au siège de l’ex-Cnrdre pour protester contre les nominations récentes d’officiers au grade supérieur, promotions qu’ils jugent discriminatoires, dénonçant pèle – mêle leurs conditions de vie; les décisions d’élévation au grade supérieur de plusieurs officiers; et la nomination à titre exceptionnel du capitaine Amadou Haya Sanogo, ex (chef de la junte militaire, au grade de général de corps d’armée).
Intervenant sur certains média privés, certains témoins ont donné une version assez proche, en précisant que tout serait parti d’une altercation qui aurait eu lieu le lundi matin entre un jeune sous-officier et le Capitaine Amadou Konaré, un homme considéré jusqu’à la date fatidique du 30 septembre 2013 comme le n° 2 d’une junte qui continuait toujours de compter malgré sa dissolution officielle et malgré celle du Comité de suivi de la réforme de l’Armée.
Selon ces témoins, et notamment une soldate membre de la garde prétorienne du Capitaine Konaré, le sous-officier en question aurait rappelé à son interlocuteur une ancienne promesse d’octroi de terrain à usage d’habitation, lequel lui aurait répondu sans ménagement ceci : « dans toute cette affaire-entendez le coup d’Etat militaire – je n’ai moi-même rien obtenu, sauf des ennuis. Allez-porter votre doléance à ceux qui en ont tiré profit».
Le jeune officier aurait été par la suite éconduit manu militari. Vexé, il aurait réuni plusieurs soldats, dont des membres de l’entourage du capitaine Konaré, et c’est en ce moment que la décision d’attaquer les quartiers du général Sanogo aurait été prise et immédiatement mise à exécution. La suite est connue : tirs en l’air, occupation du siège et saccage des bureaux de l’ex-Cnrdre, enlèvement du Colonel Habib Diallo, collaborateur du général, qui se retrouve avec plusieurs balles à la jambe et grièvement blessé, pendant que son chef s’était prudemment éclipsé.
A côté de cette thèse qui met en avant le déroulement pratique des faits, il y a une autre qui met l’accent sur certains éléments troublants. Selon ses tenants, le jeune sous – officier en question ne serait autre qu’un ex – intégré d’un mouvement d’autodéfense songhoï et ses liens avec les services secrets seraient connus. Ils ajoutent qu’en réalité, dès dimanche soir 29 septembre, les protestataires auraient tenté d’entrer en contact avec le général Sanogo pour exposer leurs doléances et que celui-ci, informé de leur intention et suspectant un piège, aurait décliné leur offre d’entretien. Ils affirment enfin, que toute l’affaire a été orchestrée par les autorités pour se débarrasser d’hommes de troupes et d’officiers de l’ex-junte jugés incontrôlables et par ailleurs décidés à en découdre avec le Général Sanogo.
Quid de la réaction des autorités ?
Informé des évènements de Kati qu’il qualifiera plus tard de honteux dans une allocution télévisée, le Président IBK, a, on le sait, écourté la visite officielle qu’il effectuait en France. Dès son retour, il a annoncé l’ouverture immédiate d’une enquête destinée à faire toute la lumière sur les tenants et les aboutissants de cette ténébreuse affaire et sifflé «la fin de la récréation ». Le mardi 1 octobre, aux environs de 17 heures, les éléments perturbateurs, qui occupaient encore les lieux, sont neutralisés par des forces dirigées par le Colonel Elysée Dao, sous la supervision du Commandant de la Zone militaire III. Face aux caméras, il fait chorus avec le Chef d’Etat major général, le général Ibrahim Dahirou Dembélé, pour rappeler la détermination du commandement militaire à restaurer l’ordre et la discipline au sein des Forces armées et de Sécurité. Une trentaine d’hommes de troupes et d’officiers, dont le Capitaine Konaré et le Colonel Youssouf Traoré, ex-n° 3 de la Junte, auraient été arrêtés.
Les armes lourdes sont enlevées dont celles qui se trouvaient à la résidence du général Sanogo, le tout sera bouclé par des perquisitions et saisies d’armes légères. Certains protagonistes des affrontements préfèrent prendre la fuite.
A Bamako et dans tout le pays, le dénouement de la situation, qui est intervenu sans affrontement et qui n’a causé ni morts ni blessés, provoque le soulagement et un consensus solide se crée autour du Président.
En vérité, pour beaucoup de Maliens, la situation de Kati devenait insoutenable et ils sont unanimes à se féliciter de l’issue du traitement fait par les autorités de la mutinerie du 30 septembre. Le pouvoir et le président élu sortent renforcés de l’épreuve, laquelle apparaît rétroactivement comme pain bénit, une occasion providentielle pour régler une question cruciale : la présence dans l’un des plus importants camps militaires de soldats lourdement armés, n’obéissant à aucune hiérarchie et totalement inféodés à des officiers putschistes convaincus de bénéficier d’un statut particulier.
Cette menace – là semble désormais durablement écartée, tout comme d’ailleurs celle que … représentait la présence d’armes lourdes et de dizaines d’éléments armés entièrement voués à la protection du Général Sanogo. Présenté pourtant dans l’affaire comme la victime innocente de rivaux hargneux, l’intéressé en sort à la vérité plus affaibli et plus vulnérable que jamais. Et si la promesse présidentielle est tenue, il devra comme tous les autres protagonistes des évènements être entendu au cours de l’enquête.
Selon les partisans de la thèse de la provocation, le paradoxe ainsi souligné ne serait qu’apparent et tout aurait été planifié de bout en bout, de l’éclatement de la fusillade à l’intervention des forces spéciales à Kati.
Comment désamorcer le colis piégé des nominations ?
On peut se demander cependant si la reprise en main intervenue marque la fin de l’histoire en raison du fait que la question des promotions accordées par le Président par intérim n’a toujours pas bénéficié d’un traitement satisfaisant. Ayant à gérer cet autre colis piégé déposé entre ses mains par la Transition, le gouvernement ne devrait pas perdre de vue que l’ordre public sera en péril aussi longtemps que la question des nominations controversées au grade supérieur n’aura pas été réglée.
En réservant un traitement de faveur aux proches du général Sanogo, le gouvernement de Transition a en effet créé un profond malaise au sein de l’armée, et pas seulement à Kati. Si l’on y ajoute le fait que ces nominations discriminatoires sont intervenues après les troubles créés au sein de la police par des promotions similaires accordées à des éléments ayant joué un rôle actif dans le putsch au détriment de l’écrasante majorité des agents, on peut difficilement créditer de bonne foi ceux qui, à la veille d’une passation de pouvoir au sommet de l’Etat, ont choisi de prendre des mesures aussi potentiellement conflictuelles.
Si la fermeté doit toujours continuer à prévaloir à l’égard de tous les fauteurs de troubles, il n’en demeure pas moins qu’une solution de fond doit être apportée.
Sa marge de manœuvre reste certes étroite mais le pouvoir garde en mains toutes les cartes : satisfaire aux doléances présentées par les militaires mécontents, ou revenir purement et simplement sur les nominations litigeuses.
Birama FALL