Radio France internationale (RFI) et le journal Libération ont publié sur leurs sites Internet dimanche 6 octobre au soir l'intégralité de la feuille de route pour le Mali signée du chef d'Al-Qaida pour le Maghreb islamique (AQMI), un document découvert en février à Tombouctou par deux de leurs journalistes, et dont la problématique centrale est de donner naissance au territoire islamique de l'Azawad. Les deux rédactions ont pendant des mois traduit ces textes de l'arabe, puis les ont authentifiés et fait analyser par des experts.
Abdelmalek Droukdel voulait instituer une administration de façade composée de Touareg afin de tirer discrètement les ficelles, révèle cette lettre de quatre-vingts pages, subdivisées en six chapitres, rédigée en juillet 2012 – quatre mois après la conquête du nord du Mali par des groupes djihadistes – et intitulée "Directives générales relatives au projet islamique djihadiste dans l'Azawad" (Azawad est le terme utilisé par les Touareg pour désigner le nord du Mali). Le document décrit comment AQMI comptait instrumentaliser le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA), mais aussi dans une moindre mesure, le groupe Ansar Dine.
"L'intervention étrangère sera imminente et rapide si nous avons la main sur le gouvernement et si notre influence s'affirme clairement", écrit Abdelmalek Droukdel. "L'ennemi aura plus de difficulté à recourir à cette intervention si le gouvernement comprend la majorité de la population de l'Azawad que dans le cas d'un gouvernement d'Al-Qaida ou de tendance salafiste djihadiste", précise le leader de la branche africaine du groupe terroriste Al-Qaida dans le Sahel. Il suggère même de renoncer dans un premier temps à appliquer une version stricte de la charia afin de gagner les cœurs et les esprits des populations et suggère de gouverner "avec douceur et sagesse".
MANQUE DE CONTRÔLE SUR SES TROUPES
Sont ainsi mis au jour "les stratégies d'un groupe criminel, sa propre bureaucratie politique et religieuse, ses inflexions tacticiennes, ses interrogations ('Etat islamique ou Emirat islamique'), ses accrochages idéologiques, ses virages lexicaux, ses failles internes et, pour finir, l'incroyable ignorance théologique de ses propres troupes", commente Libération.
Ce document démontre également le manque de contrôle de l'émir d'AQMI sur certains éléments de la mouvance djihadiste au Sahel : pendant les dix mois où ils ont contrôlé la région, les islamistes radicaux se sont aliéné une majorité de la population locale, notamment en détruisant des mausolées et en appliquant une version rigoureuse de la charia.
Ce texte a été trouvé le 16 février 2013 par les journalistes Nicolas Champeaux, de RFI, et Jean-Louis Le Touzet, de Libération, envoyés à Tombouctou juste après la fuite des forces d'AQMI, mises en déroute par l'armée française dans le cadre de l'opération "Serval". Les journalistes racontent comment ils l'ont découvert sur le sol des locaux dévastés de la l'Office de la Radio Télévision du Mali .