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Afrique de l’Ouest : Triste constat de l’effritement de la Cedeao
Publié le mardi 8 aout 2023  |  Mali Tribune
Sommet
© aBamako.com par Dr
Sommet extraordinaire de la CEDEAO sur la situation politique au Niger
Participation du Président de la République, S.E.M Alassane OUATTARA, au Sommet extraordinaire de la CEDEAO sur la situation politique au Niger, ce dimanche 30 juillet 2023, à Abuja.
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Depuis l’éclatement de la crise institutionnelle et politique au Mali ayant vu la résurgence du phénomène de coup d’État (août 2020 et mai 2021) dans ce pays, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) peine à jouer le rôle qui est le sien, à savoir celui de la construction d’une communauté de droit, respectant l’état de droit et évoluant dans le strict respect du principe de solidarité entre les états membres. Pis, ce triste tableau s’est assombri avec les coups d’État en Guinée (septembre 2021) et au Burkina Faso (janvier 2020 et septembre 2022).

Au-delà de tout regard analytique sur ces faits et la réaction de la Cedeao face aux violations de son Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, il est sans conteste établi que les accords trouvés avec ces États plutôt sélectionnés du domaine politique que de celui du droit. En l’espèce, les dispositions applicables de l’ordre juridique communautaire se sont sabordées au profit des accords politiques à minima (ou problématiques) ayant permis aux pays en question de « revenir » dans « le giron de l’état de droit ».

Ce faisant, la situation actuelle du Niger remet à nouveau sur la table la question de l’effritement du respect de l’État de droit au sein de la Communauté. En effet, le coup d’état de la Garde présidentielle nigérienne contre le président Mohamed Bazoum a surpris tous les observateurs, y compris la Cedeao et les forces militaires occidentales présentes sur le sol nigérien (au nombre de milliers). Mais face à la crise, la réaction de l’organisation sous-régionale à cet énième coup d’État dans l’espace communautaire a été on ne peut plus forte. Dès la première réunion sur la crise, la menace d’une intervention militaire pour restaurer le président déchu et le retour à l’ordre constitutionnel a été brandie.

De même, les condamnations sont des lieux de presque partout en donnant par moments et par endroits, le sentiment de l’immigration de certaines chancelleries occidentales dans des domaines privés pertinents d’un État souverain. Par la suite, les pays ayant réagi au coup d’État et à la réaction de la Cédéao sont diversement appréciés par les Africains. Parmi ces acteurs contestés, il faut citer principalement la France, les états-Unis, l’Union européenne, l’Algérie, la Chine, le Tchad et la Mauritanie, une pléthore de pays n’appartenant pas à la Cedeao.

Dans le même temps, deux des trois pays membres ayant connu des crises du genre (le Mali et le Burkina Faso en particulier) se sont tous montrés solidaires du Niger, allant jusqu’à proclamer que toute intervention militaire de la Cedeao pour rétablir le régime déchu et l’ordre constitutionnel serait considéré comme une attaque contre eux, et, en conséquence, qu’ils verraient des contraintes d’entrer en belligérance contre les troupes de la Cedeao pour divers motifs.

Ce faisant, le fait que des États membres de la Cedeao, certes en crise et en transition, s’opposent aux principes juridiques et politiques de leur organisation commune en brandissant une menace de guerre régionale contre plusieurs États est la preuve ultime d’un effritement sans contestation de l’aura de l’organisation communautaire. Partant de ce constat, le Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S), en tant que think tank, estime qu’il est plus que temps de proposer des pistes de réflexion pour une meilleure réforme de l’organisation communautaire afin que non seulement une telle situation ne se répète plus mais surtout que la communauté ait du sens au regard de l’État de droit et des objectifs visés.

Revenir aux fondamentaux : le respect de l’État de droit

Les états membres de la Cedeao ont presque tous connus une ère démocratique au début des années 1990. Ce mouvement de démocratisation, que d’aucuns mettent au crédit de la Conférence de la Baule, est réel, dans une certaine mesure, pour les États francophones , mais les autres états, avec des expressions phonétiques différentes connaissant à peu près les mêmes réalités. Mais la vraie question réside dans le fait de savoir à quoi se résume « l’État de droit dans la Cedeao ».

À l’observation, il existe un vrai détournement de la notion à des fins autres que celles attribuées par la démocratie. Somme toute, les chefs d’État, par le biais de leur Constitution, donc légitimement, se concentrent entre leurs mains l’essentiel des pouvoirs par le jeu du présidentialisme renforcé (dénué de toute courtoisie ou culture démocratique). Ils tiennent en laisse les chefs de l’exécutif (Premier ministre) et remplissent les autres ministres du gouvernement au simple rôle de chefs de service, ces derniers, tombant, tels des béni-oui-oui, dans l’accomplissement simple des ordres du souverain pour conserver les avantages dus à leur rang.

Le contrôle de l’action gouvernementale est ainsi sapé et ne se fait plus que par le biais de l’opposition (généralement très faible et divisé) et les organisations de la société civile (qui, à leur tour, sont aussi majoritairement inféodées au pouvoir en place).

Dans un tel contexte, il se comprend aisément qu’il ne reste que la rue comme exutoire au peuple. Cet état de fait met le compteur à zéro pour toute mesure de l’avancée démocratique dans un pays. Ce triste constat est valable dans presque tous les pays de la Cedeao. L’indépendance de la justice reste un vœu pieux dans la quasi-totalité des pays de l’espace communautaire où le président de la République est aussi le président du Conseil supérieur de la magistrature. Conséquence : le juge constitutionnel n’est pas épargné de cette réalité. Les chefs d’État, s’abritant sous le parapluie de l’État de droit, utilisent celui-ci pour rendre légitimes les différentes révisions inopportunes et dénuées de tout sens quant aux besoins de leurs sociétés.

On assiste ainsi tout simplement à une instrumentalisation de la Loi fondamentale à des desseins sombres et inavouables. Par exemple, en moins de dix ans, la Constitution de quelques pays a été modifiée au moins quatorze fois, soit une révision tous les six mois. De même, on assiste au même phénomène, en octobre 2008, lorsque les autorités sénégalaises ont procédé à une nouvelle modification de la Constitution pour régler un conflit interne au parti majoritaire (le Parti démocratique sénégalais-PDS) et obliger le président de l’Assemblée nationale à quitter le perchoir de cette institution.

Pour ne citer que ces exemples vieillis par le nombre de pratiques similaires dans d’autres pays. Le plafonnement du nombre de mandats rendu par toute la communauté internationale dans la dernière décennie du 20è siècle fait l’objet d’un autre achoppement entre les populations et les dirigeants africains. Presque dans toutes les régions du continent, les présidents se sont vus accuser, à juste raison, de vouloir faire sauter le verrou constitutionnel.

Ces malversations en lien avec le tripatouillage de la Constitution trouvent une autre justification dans la volonté « patrimonialiste » de ces souverains de léguer le pouvoir à un de leurs proches pour se mettre à l’abri de toutes les poursuites judiciaires. Les élections truquées ont aussi leur mot à dire. Certains auteurs, qui les qualifient de verni de la démocratie, demandent leur suppression, tellement qu’elles ne servent plus la cause des populations et ne représentent plus leur volonté. L’exemple des législatives maliennes de 1997 où la Cour constitutionnelle annule définitivement le scrutin est édifiant.

D’autres exemples non exhaustifs existent et sont nombreux à telle enseigne que c’est leur nombre qui nous empêche de tous les citer. En Centrafrique en 1998, au Burkina Faso en 2000, au Togo en 2005, au Gabon en 2001, au Cameroun en 1997 et en Côte d’Ivoire en 1995, au Zimbabwé en 2005 et 2008. L’élection présidentielle au Zimbabwé de 2007 a offre l’occasion au président Mugabé d’utiliser l’astuce du recomptage des voix pour se tailler une majorité de 85% au détriment de Morgan Tsvangirai.
Il est alors aisé de dire, sur la base de ces constats, qu’en Afrique en général et en Afrique de l’Ouest en particulier, l’État de droit est tellement détourné de son sens qu’il devient une des premières sources de .

Améliorer la gouvernance pour que les populations se sentent ressortissantes de la communauté

De même que l’État de droit, la qualité de la gouvernance en général est un des facteurs déconsolidant de la démocratie dans l’espace de la Cedeao. Tous les domaines dans lesquels les états doivent agir pour le bien-être des populations sont obscurcis par des pratiques peu recommandables dans la communauté. L’éducation, la santé, l’agriculture, toute la délivrance des services sociaux de base est attachée.

Les populations ne se reconnaissent pas dans ces états incapables de fournir les services les plus vitaux dans des conditions idoines leur permettant de vivre dignement et sereinement. Évidemment, les exemples à citer pour illustrer ces propos font florès et se trouvent dans tous les pays de la région ouest-africaine.

Mais comme précisé dès l’entame de cette note, l’objectif ici n’est pas de convaincre d’un fait, le constat étant déjà établi. Il faut que les états parviennent à améliorer au maximum la délivrance des principaux services sociaux de base. Dans ce volet, la Cedeao a conçu de nombreux programmes communautaires pour une meilleure desserte des populations à l’instar du Programme communautaire de développement (PCD) qui vise à renforcer l’intégration régionale, à promouvoir la coopération entre les pays membres et à améliorer les conditions de vie des populations de la région.

Il se concentre sur des domaines tels que l’agriculture, l’énergie, les infrastructures, l’éducation, la santé, l’environnement et la gouvernance. Mais ces programmes ne marchent pas et engloutissent des milliards de francs au détriment du bien-être des populations. La mauvaise gouvernance est le facteur le plus important accordant un abîme entre les populations et les états démocratiques ainsi que les organisations d’intégration.

Faire en sorte que les états soient responsables de leur développement

La première remarque qu’il est possible de faire sur les états et les organisations du genre de la Cedeao est leur incapacité à financer leur propre développement. Les fonds investis dans le développement des états et pour l’atteinte aux objectifs des organisations dont la Cedeao sont pour leur majorité, originaires d’autres entités extra continentales. Si elles ne sont pas européennes, elles sont américaines ou asiatiques. Dans un tel contexte, les orientations pour la conduite des politiques publiques nationales ou régionales viennent toujours d’ailleurs, un ailleurs ayant des visions et des intérêts pour sa propre population, car ce sont les deniers de ces populations qui sont usités. De ce fait, les interférences sont compréhensibles même si elles ne sont pas partagées et légitimées.

La Cedeao et les états de la région ouest-africaine ne peuvent construire un environnement sain pour un développement socioéconomique de leur population avec les fonds d’autres pays n’ayant pas les mêmes intérêts et s’adonnant à une compétition sauvage autour du contrôle des ressources naturelles et du positionnement géostratégique dans l’espace.

Conclusion

Fort de ces constats, le CE3S en appelle aux États et aux ressortissants ouest africains afin : d’éviter la guerre entre des nations frères car les victimes ne seront qu’Africaines. En s’affrontant, les Africains banalisent le sang des Africains, toutes choses qui encouragent les acteurs non Africains engagés dans la conspiration et la calomnie ; de renoncer à galvauder ou de détourner l’esprit de l’État de droit afin de se maintenir au pouvoir.

à force de tout mettre au compte de la conspiration, l’élite politique au pouvoir en Afrique a fini par décliner toute responsabilité en termes de rédévabilité et de respect des institutions ; d’améliorer la gouvernance et la délivrance des services sociaux de base. Les acteurs étatiques en charge de délivrer les services sociaux de base sont perçus pour leurs pratiques comme des prédateurs par les populations. Ce ne sont pas la France, la Russie, les USA, l’Allemagne etc. qui spolient les communautés et s’adonnent aux ponctions sur les axes routiers.

Donc, œuvrer à rendre les États utiles ; de travailler adéquatement pour financer leur propre développement. Il est absurde que le G5 Sahel, la Cedeao, l’Union africaine, l’Autorité du Liptako Gourma continuent à dépendre de l’aide accordée par les puissances économiques et militaires non africaines et dans le même temps, prétendre rester indépendants ; de reformer la Cedeao afin qu’elle puisse agir avant que les situations dans les pays ne dégénèrent en renversement de l’État de droit. Et ainsi, éviter de braquer les États sur des positions de retour à un souverainisme total et aveugle.

Les défis actuels du continent ne peuvent être résorbés que dans une action collective et forte. La situation sociopolitique délétère que traverse le Sénégal, avec le cas de l’opposant Ousmane Sonko, est un témoignage éloquent de l’insuffisance des actions de prévention requises par l’organisation en vue de se prémunir d’un quelconque coup de force ou de carnage. L’hypothèse du respect de la souveraineté des États, dans de pareilles circonstances, résisterait difficilement à l’analyse.

Docteur Aly TOUNKARA

et Ilo Allaye DIALL

experts au CE3S

Rédaction Bailleur

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