Le président de la transition, Assimi Goïta, a procédé au lancement officiel du trafic ferroviaire. Une surprise pour les cheminots et les riverains qui reprennent espoir après moult tentatives faire reprendre les activités sur la voie ferrée. Dans cette interview exclusive, l’ancien chargé de la communication du chemin de fer, Djibril Diallo, passe au peigne fin les circonstances de l’arrêt du train et propose des conduites à tenir pour qu’il continue de siffler.
Bonjour, M. Diallo ! Le président de la transition, Colonel Assimi Goïta, a procédé à la relance officielle des activités ferroviaires, lors de sa visite à Kayes le 23 Juillet 2023. Vous avez été, des années durant, responsable de la communication des chemins de fer du Mali. Peut-on avoir une idée du sentiment qui vous anime aujourd’hui ?
Le sentiment qui m’anime, après le coup de sifflet du départ du train, est un sentiment de fierté. C’est pratiquement le sentiment de tous les cheminots, en activité comme à la retraite. Parce que dans notre jargon, il n’y a pas d’anciens cheminots, il n’y a que des cheminots de réserve. Le chemin de fer étant un corps paramilitaire d’origine, nous n’avons d’autre objectif que le train soit sur les rails et qu’il siffle. Mieux, Assimi a posé un acte extraordinaire pour les vieux cheminots en vie qui souhaitaient revoir le train en mouvement avant de tirer leur révérence. Il leur a permis de réaliser ce vœu.
Cette reprise rallume donc l’espoir après une très longue lutte à cette fin?
Oui ça rallume la flamme. Le cheminot ne connaît que le train, cordon ombilical entre le Mali et le Sénégal et vecteur d’intégration régionale. Par le Sénégal passent entre 60 et 80% des importations maliennes. Même pour le Malien lambda, le chemin de fer en mouvement constitue un espoir. Parce qu’un seul mouvement du train voyageur a 3 symboles. C’est d’abord un marché ambulant, ensuite un lieu de rencontres et d’échanges culturels et, enfin, un lieu où le cheminot s’affirme et a confiance en lui-même par rapport à son apport dans l’édification et la survie de la nation.
Pourtant, à écouter des personnes apparemment avisées, les machines disponibles ne sont pas capables de parcourir une longue distance ni de tenir encore longtemps compte tenu de leur vétusté. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Le chemin de fer est constitué de spécialités. Avec deux ou trois machines, il ne peut pas tourner à fond. Le faire relèverait du forcing. Ces machines là ne peuvent pas le supporter. En tant qu’ancien cheminot, chargé de communication pendant une vingtaine d’années, je dis qu’il ne sert à rien de forcer. Il faut juste expliquer aux populations que nous n’avons que 2 ou 3 machines et qu’elles ne peuvent tenir qu’une fois tous les 10 jours. Informé, l’usager programme ses voyages en conséquence.
Un mouvement aller-retour, 3 fois par semaine, étoufferait le matériel en nombre insuffisant et pénaliserait le trafic voyageur. Or sans les pièces de rechanges, le train connaîtrait le même sort – l’arrêt – et c’est ce qu’il faut éviter. En le mettant en marche, la transition a déjà posé un acte à saluer. Les machines disponibles doivent être utilisées à bon escient.
Les ateliers centraux de Korofina devraient être rouverts pour les indispensables travaux d’entretiens. La priorité, après le redémarrage du train, est donc la mise en état de ces ateliers qui étaient même capables d’usiner certaines pièces.
Faut-il craindre de voir des obstacles entraver le trafic ? Quels défis pensez-vous que SOPAFER devrait relever pour le bon déroulement des activités ?
Le principal défi que SOPAFER devrait relever, c’est de maintenir le train sur les rails. Le chemin de fer est un investissement très lourd. Les populations ont besoin d’une communication qui les convainc de patienter le temps d’avoir un chemin de fer qui comble leurs attentes. SOPAFER doit, en second lieu, recourir aux généraux de réserve, à savoir les cheminots en retraite. Le maintien du mouvement du train étant principal défi pour le moment, les cheminots de réserve sont prêts à y contribuer avec leur expertise.
La gestion du patrimoine de la société, y compris les bâtiments occupés par d’anciens cheminots, reste problématique. Comment ça se passait à l’époque où vous étiez en fonction ?
Le domaine ferroviaire doit faciliter les mouvements du train, minimiser les risques en cas d’accident. Il doit être purement et simplement dégagé. Or il est aujourd’hui occupé ou menacé dans sa totalité. Nous assistons à un envahissement dangereux de la voie ferroviaire par des constructions anarchiques. Des troubles sociaux sont à craindre le jour où leurs occupants seront sommés de déguerpir. Ce qui n’est pas sans difficultés. En son temps, nous avons proposé de louer l’enceinte aux premiers demandeurs avec conditions très claires : le locataire devait construire en matériel démontable ou en banco pour faciliter la récupération de l’emprise en cas de besoin après un préavis de trois mois.
Quant aux bâtiments occupés par d’anciens cheminots, c’est une autre paire de manches. Parce que le sujet a été abordé lors des différentes discussions sur la mise en concession du chemin de fer. Le repreneur avait dit qu’il n’aurait pas besoin de ces bâtiments et qui devaient revenir aux occupants. L’affaire est pendante devant les tribunaux. Un Etat devrait éviter de promettre pour se rétracter après. Depuis trente ans, des personnes vivent dans ces bâtiments avec la promesse de les avoir en rétrocession. L’Etat doit négocier objectivement et leur faire des propositions acceptables afin de respecter son engagement.
La réflexion sur l’arrêt du train est erronée. L’arrêt du chemin de fer est le fait de l’Etat du Mali et non des cheminots. Le couteau sous la gorge, les autorités d’alors étaient menacées par la Banque mondiale d’arrêter le Programme d’ajustement structurel si elles ne concédaient pas le chemin de fer. Nous leur avons soumis notre réserve sur la concession, convaincus qu’elle n’aurait rien enlevé aux difficultés du secteur. Par exemple, pour refaire la voie ferrée de Koulikoro à Diboly, le besoin était de 12 à 15 milliards. Cela coûte aujourd’hui des centaines de milliards. Et, comme alternative à une concession intégrale, nous avons suggéré une société internationale entre le Mali et le Sénégal, qui s’appellerait Seti et qui devrait faire en sorte que le trafic se fasse de bout en bout avec les cadres des deux pays. Elle devrait maintenir le train sur les rails en attendant que l’Etat du Mali ait les moyens de sa politique. Nous avons testé la Seti pendant un an et je vous avoue nos attentes ont été comblées. Mais c’est curieusement lors du bilan que nous avons été surpris de voir les autorités aller directement à la concession à outrance, mal conçue qui a vite abouti à l’arrêt du train. Nous qui avons consacré nos vies au chemin de fer ne pouvons pas être tenus pour responsables. Nous l’avons maintenu en marche jusqu’à la décision de l’Etat du Mali de tout arrêter.
Donc ce n’est pas par incompétence ou par malhonnêteté des cheminots que le trafic ferroviaire s’est arrêté comme les rumeurs le font croire. Dans les années 1991 et 1992, nous avons mis en garde l’Etat de ne pas confier le chemin de fer à quelqu’un qui le mettra à terre après en avoir tiré profit. C’est ce qui s’est passé. Le pauvre cheminot ne saurait être responsable de ce forfait. Nous ne sommes pas d’accord. Au contraire, les cheminots devraient être médaillés pour leurs efforts. Mais en lieu et place des remerciements, les cheminots sont humiliés voire insultés. Le Mali est le seul pays où l’on regrette d’avoir bien fait !
Que savez-vous du titre foncier du domaine ferroviaire, objet semble-t-il d’occupations anarchiques par des prédateurs fonciers?
Le domaine ferroviaire a été légué par la colonisation. Les différents documents y afférent devraient se trouver dans les archives au Mali, à Thiès ou en France. Donc, il faudrait qu’on les retrouve et que ce domaine ait son utilité régalienne. Ce qui nous permettrait d’aller de l’avant.
Quel message adressez-vous aux cheminots en fonction pour le succès de la reprise du trafic ferroviaire ?
Le cheminot en fonction devrait être une continuité. Le chemin de fer est une spécialité. Ce n’est pas une affirmation gratuite. Naguère même si tu venais avec ton diplôme universitaire ou post-universitaire, tu devais passer d’abord par l’école du chemin de fer appelée Centre de formation professionnelle, qui te délivrait un Constat d’aptitude professionnelle après 18 mois de formation. Cela faisait alors de toi un cheminot doté de formations, théorique et pratique.
Le cheminot en fonction est celui en activité qui bénéficie les expertises de son prédécesseur en retraite. J’invite les cheminots en activité à donner de bons conseils à l’Etat pour que les politiques puissent prendre les décisions idoines. Ils ne doivent pas mépriser leurs prédécesseurs à la retraite. Nous devons partager nos expériences pour un transport performant. N’est pas cheminot qui veut.
Vous personnellement, êtes-vous prêt à partager votre expérience avec la
SOPAFER ?
Cette question me surprend en tant que cheminot de réserve. Un cheminot est dédié aux rails, aux trafics ferroviaires, aux trains. Au Centre de formation ferroviaire, on dit plusieurs coups de sifflet saccadés appellent le secours. Cela, tous les cheminots l’apprennent. Donc, quand j’entends le train siffler plusieurs fois de façon saccadée, je suis tout de suite interpelé et j’arrête tout pour aller voir ce que je peux faire. Même dans le brancard, le cheminot veillerait sur le train jusqu’à son dernier souffle puisque le chemin de fer lui a tout donné. Le cheminot n’avait rien à envier au président de la République. Et ce chemin de fer a besoin de nous aujourd’hui. Nous sommes prêts et de façon bénévole.
Avez-vous espoir que tout pourrait redevenir comme avant dans les jours à venir ? C’est-à-dire voir le train assurer régulièrement la desserte entre Bamako-Dakar ?
C’est d’abord un souhait dans la réalisation duquel nous mettons toute notre énergie. Je n’ai jamais perdu foi et l’espoir à ce que le chemin de fer reprenne de plus belle. Parce qu’un Mali sans chemin de fer, c’est comme un Sénégal sans port, un Mali sans chemin de fer est un oiseau sans ailes. C’est un trafic de masse, vecteur incontestable d’intégration sous-régionale. Il ne lui manquait que la volonté politique. Nous en remercions les autorités de la transition.
Propos recueillis par Drissa Togola, Soundié Koné, et Fatoumata Djourté