Le 19 novembre 1968 quatorze officiers de l’armée malienne, sous la houlette du Comité militaire de libération nationale (CMLN) renverse le régime du président Modibo Kéita. Les nouveaux maîtres du pays, par la voix de leur leader le lieutenant Moussa Traoré, promettent de redresser l’économie pour ensuite rendre le pouvoir aux civils au terme des élections démocratiques et transparentes. Ils n’ont pas respecté leurs promesses. L’un des instigateurs de ce coup d’Etat, feu le colonel Youssouf Traoré nous a dit que la volonté du CMLN de se maintenir au pouvoir était consécutive à l’agitation de certains cadres de l’US-RDA. Autrement dit les militaires ne pouvaient laisser le pays entre les mains d’opposants, qui pouvaient se retourner contre eux. Ajoutée à cela une dissidence de certains compagnons d’armes. Neufs officiers et sous-officiers : Diby Silas Diarra, Alassane Diarra, Bakary Camara, Tiécoura Sogodogo, des lieutenants Mamy Ouattara, Jean Bolon Samaké, de l’adjudant Guédiouma Samaké, des sergents chefs Samba Sangaré et Boubacar Traoré désapprouvent la confiscation du pouvoir par le CMLN. Comment ils entendaient exprimer leur désaccord ? Quelle fût la suite des événements ? Dans un regard sur le passé, votre journal préféré revient sur les circonstances qui ont conduit à l’extermination de ces officiers et sous-officiers. Cela à travers le témoignage de certains acteurs de l’une des pages noires de l’Histoire de notre pays, du reportage de notre confrère et doyen de l’ORTM, Sory Ibrahim Kéïta dans son émission “Droit de mémoire”.
ors du procès “Crimes de sang” de feu Général Moussa Traoré, l’éminent avocat des parties civiles Me Binkè Kamité, a salué la bravoure du groupe de Diby Silas Diarra. Parce que d’une part l’histoire lui a donné raison. Ces officiers et sous-officiers ont dit que l’armée malienne n’est pas faite pour le pouvoir. Par des argumentations, ils ont démontré qu’un pouvoir militaire n’hésitera pas à tirer face à une contestation du peuple. Me Kamité soutiendra que le pire craint par Diby Silas s’est produit pendant les journées sanglantes de mars 1991. D’autre part conscients du sort qui les attendait, ces militaires accusés avaient tout avoué.
Pendant que le CMLN s’affichait pour expliquer le bien-fondé de son action, en mettant en exergue les défaillances du régime socialiste de Modibo Kéita, Diby Silas et ses compagnons n’appréciaient pas le coup d’Etat. Ils estimaient qu’une démarche auprès des autorités pouvait l’éviter. Surtout que des représentants de l’armée siégeaient dans le Conseil national pour la défense de la révolution. En plus de leurs convictions républicaines, ils décriaient également le comportement de certains officiers. Lesquels ? Guédiouma se rappelait : “Notre groupe a finalement compris que le CMLN n’avait aucune orientation pour la conduite des affaires de l’Etat. C’est pourquoi nous avons demandé une conférence des cadres supérieurs de l’armée, d’organiser une période de transition au bout de laquelle des élections démocratiques seront organisées pour rendre le pouvoir aux civils.
Mieux quand des officiers, lors de leurs missions à l’intérieur, demandaient au gouverneur des voitures sans chauffeur uniquement pour vaquer la nuit à leurs affaires privées en clandestinité, cela n’honorait pas l’armée et qu’il fallait trouver un moyen pour leur rappeler le serment d’officier. C’est ainsi que nous avons demandé d’élargir le CMLN aux commandants d’arme de Gao, de Ségou et de Tombouctou. Cela avait pour but d’inculquer ou cultiver leur idéologie pour un retour de l’armée dans les casernes. A cette demande, le lieutenant Amadou Baba Diarra n’a pas hésité de déclarer que les quatorze héros du CMLN ont risqué leur vie pour faire le coup d’Etat. Donc, ils n’accepteront aucune intrusion de dernière minute”.
Dès cet instant la rupture était consommée entre les frères d’armes. Diby Silas et ses camarades décidèrent de rentrer en dissidence : perpétrer un coup d’Etat pour remettre le pouvoir aux civils. Lors de son passage dans la rubrique “Que sont-ils devenus ?”, l’un des dissidents Guédiouma Samaké, a rejeté du revers de la main notre question relative au caractère matinal de leurs intentions. Surtout que le CMLN venait juste de s’emparer du pouvoir. Il n’avait pas encore fini d’asseoir son autorité. Donc n’était-il pas très tôt de douter de la sincérité du CMLN ?
Parjure
Il a soutenu mordicus que Moussa Traoré et ses acolytes ont avancé des arguments fallacieux pour justifier le putsch. Les premières heures ont suffi pour comprendre que ceux-ci s’éterniseront au pouvoir. Notre interlocuteur est encore plus surpris par cette question, se demandant comment un militaire peut oser préparer un coup d’Etat sans en mesurer la portée. Leur groupe était composé d’officiers valables et convaincus de leur idéologie.
Donc, en aucune manière, ils ne pouvaient douter de l’issue de leur action. La phase de préparation du coup d’Etat consistait à contacter de jeunes officiers qu’ils ont formés au Prytanée militaire, qui avaient aussi la même conviction et surtout faire un lavage de cerveau des jeunes soldats. C’est dans cette phase que Diby Silas et ses compagnons seront dénoncés et arrêtés. Comment leur tentative de coup d’Etat a échoué ?
Le capitaine Alassane Diarra a eu le malheur de contacter un officier qui, est de surcroît son parent. Ce dernier lui devait une grosse somme d’argent. Il s’est dit qu’en dénonçant cette action, Alassane sera arrêté et jugé, donc il n’aura plus à lui payer son argent. Accompagné d’un autre officier, ledit parent du capitaine Alassane Diarra est allé informer Joseph Mara de ce qui se tramait. Avec une telle information, le pouvoir ne pouvait rester inactif.
Le 12 août 1969, Tiécoro Bagayoko, directeur des services de sécurité a demandé à Sounkalo Samaké, commandant de la Compagnie para, de le rejoindre à la direction nationale de la sûreté où étaient présents le président Moussa Traoré et d’autres membres du CMLN. Il lui a instruit l’arrestation des conspirateurs. En deux jours, tous les officiers et de sous-officiers impliqués dans cette tentative de coup d’Etat furent mis aux arrêts et gardés en lieux sûrs.
Climat délétère
Cette situation mettait en évidence le climat délétère au sein de l’armée. Aussi le CMLN s’est rendu compte qu’il n’était pas en bonne posture. Qu’est-ce qu’il fallait pour affermir ce nouveau pouvoir ? Cette consolidation passait par plusieurs actions fortes : neutralisation totale et sans état d’âme des mécontents de l’armée, censés tenter un mouvement de rébellion, entreprendre des campagnes de sensibilisation dans les différentes casernes, et juger le groupe de Diby Silas tout en infligeant une sentence exemplaire qui servira de leçon. Une Cour spéciale de sûreté de l’Etat fut créée par ordonnance, pour sceller le sort des présumés conspirateurs. Le dossier est vite instruit et les détenus sont repartis en trois catégories :
– Première catégorie : attentat contre la sûreté intérieure de l’Etat ;
– Deuxième catégorie : tentative d’attentat contre la sûreté intérieure de l’Etat ;
– Troisième catégorie : tentative d’attentat avec complicité passive.
Et le jugement est programmé pour le 30 décembre 1969. Mais une information mal interprétée fera anticiper les choses. Comment ? Me Demba Diallo, l’un des avocats des détenus d’expliquer : “Comme Guédiouma Samaké le raconte dans son livre, les détenus avaient leur code secret. Ils ont décidé de m’appeler 44. Pourquoi ? D est la quatrième lettre de l’alphabet. Deux fois DD, cela fait 44. Entre eux ils disent que Diby a rencontré 44, et celui-ci a dit qu’il attend le renfort de Bruxelles. Donc qu’ils peuvent être confiants, et que les choses vont se passer bien. La sentinelle qui était de faction rapporta au sous-officier chef de garde. Ils disent que le 4 janvier Victor attaquera la Belgique. Le chef de garde à son tour rendit compte au lieutenant. De fil à aiguille, le Comité fut informé que les détenus vont déclencher une attaque dès l’arrivée d’un renfort de Belgique. Il fallait donc faire vite, car le mot Belgique peut avoir un autre sens. Il faut les juger et se débarrasser d’eux. Vergès est empêché de venir. Me Cécile Draps, le renfort de Bruxelles, est venu de la Belgique”.
Le jour du jugement, des dispositions sécuritaires impressionnantes étaient prises pour parer à toute éventualité. Me Demba Diallo s’est imposé et a soulevé des exceptions. Il dénoncera même la présence de militaires armés dans la salle, et s’adressera au président du tribunal en ces termes : “Montesquieu, le père de l’esprit des lois, a dit que quand les armes entrent dans le prétoire, la justice en sort. Or il y a des armes dans la salle. Vous n’êtes pas libres et sous la pression des armes vous allez juger”.
Cette intervention a créé une panique dans la salle, parce que le tribunal sait très bien que la déclaration de Me Demba était une réalité. Il a suspendu les débats pour mettre de l’ordre et faire disparaitre les militaires habillés en boubous qui cachaient les armes. Le jugement pouvait commencer.
“Mission accomplie”
Premier à être appelé à la barre, le charismatique capitaine Alassane Diarra (dont Me Binkè Kamité s’est dit fier) a recadré les choses. Pendant que Diby Silas Diarra défiait le président du tribunal en lui demandant de prononcer le verdict pour ensuite rendre compte avec la mention “mission accomplie”.
Les autres accusés ont suivi. Me Demba Diallo et ses confrères prirent la parole pour démonter le réquisitoire du ministère public. Cela n’a pas suffi. Le verdict est tombé : Le chef du groupe, Diby Silas et Alassane Diarra sont condamnés à perpétuité ; Bakary Camara prendra 20 ans de travaux forcés, même peine de 15 ans pour Mamy Ouattara. Guédiouma et Samba Sangaré écoperont de 10 ans de travaux forcés.
Quelques jours après la sentence, ils sont transférés à Taoudéni pour purger leur peine. En réalité, ce transfert dans le désert profond du Nord avait pour but de les liquider. Parce qu’il fallait faire de ces premiers dissidents un exemple pour tous ceux qui pouvaient avoir la même intention. A Taoudéni, le lieutenant Almamy Nientao appliquera à la lettre les consignes du CMLN. Les autres ne survivront pas, seuls Guédiouma et Samba ont eu la chance de retourner à Bamako après 10 ans de traitements inhumains et dégradants.
Quand nous rencontrions Guédiouma Samaké quelques années avant sa mort (il est décédé le samedi 25 avril 2020, à l’âge de 80 ans), il avait encore un moral d’acier. Nous étions étonnés par sa santé malgré tous les sévices corporels qu’il a subis pendant dix ans. L’homme face à notre insistance sur son secret, avouera qu’un Samaké est toujours plus brave qu’un petit Sissoko, pacte de cousinage oblige. Pendant que nous sommes plongés dans un cyclone d’émotions, Guédiouma se disait fier de l’action de son groupe. C’est surtout Diby Silas Diarra qui l’a marqué durant sa vie. Il retiendra de cet officier un militaire modèle dont l’avenir fut sacrifié inutilement.
Certes ces officiers et sous-officiers ont échoué dans leur plan. Mais comme l’a dit Me Binkè Kamité, l’Histoire a fini par leur donner raison à plusieurs niveaux. Parce que d’autres tentatives de coup d’Etat suivront. Les Yoro Diakité, Malick Diallo, Tiécoro Bagayoko, Kissima Doukara, Sounkalo Samaké, tous membres influents de la junte militaire, finiront par rejoindre dans le bagne de Taoudéni ceux qu’ils avaient qualifié de salopards, de traitres.