Maintenant que la MINUSMA, garante officielle de la mise en œuvre de l’Accord, est sur le départ, il est à craindre un retour à une situation aussi complexe que dramatique comme celle que l’on a vécu en 2012. Les ingrédients du cocktail détonnant se rassemblent peu à peu, au grand dam des populations locales. Car comme l’on le dit souvent, l’histoire a tendance à bégayer. Et il semble que dans le cas malien, elle s’apprête à bégayer plus tôt que prévu.
L’espoir était au beau fixe lorsque fut signé à Bamako, en grandes pompes, l’Accord pour la Paix et la Réconciliation entre le gouvernement malien et les désormais ex rebelles. Le processus de paix avait duré de longs mois, et son aboutissement, avec les succès retentissant de Serval, plaçait le Mali de manière durable dans le sens d’une normalisation pérenne. Plus de huit ans plus tard, que reste-t-il de cet espoir ? Pas grand-chose, sinon un texte qui existe de plus en plus que dans la forme. Cela, sans compter ses nombreuses insuffisances dues en grande partie à son incohérence avec les réalités du terrain.
A comparer la situation d’aujourd’hui à celle de 2012, l’on y voit, fort malheureusement, des similitudes. L’extrémisme violent est toujours présent et s’est même renforcé avec l’arrivée assez récente de l’État islamique, la rébellion indépendantiste est sur le pied de guerre et une crise humanitaire qui sévit et qui échappe malheureusement aux autorités de Bamako. Cela, sans prendre en compte la poursuite des trafics liés à l’immigration clandestine, entre autres. Le départ imminent de la MINUSMA qui jouait, malgré tout, le rôle de puissance stabilisatrice entre rebelles et État malien et aussi de dissuasion envers les terroristes, fait donc craindre, plus que le retour des vieux démons du passé, leur installation, tout simplement.
Bilal Ag Achérif, le chef de la CMA, a fait savoir lors d’un mini documentaire de la branche arabe de la BBC, que son mouvement ne tolèrera pas une main mise exclusive de Bamako sur des bases militaires qui, selon lui, fait partie de la région de ce qu’il appelle l’Azawad. Il prend en témoin la communauté internationale et dit qu’elle sera la seule responsable des fâcheuses conséquences qui en découleraient. Au final, il ne serait pas inexacte de dire que les erreurs commises dans le dossier malien a fini par enrayer le processus.
Mauvais diagnostic induit mauvais remède
Dès le départ, malgré les efforts consentis, la conclusion que l’on pourrait tirer est que le diagnostic n’a pas été le bon. La communauté internationale n’aura pas su déceler un certain nombre d’éléments. Dans l’Accord, une fenêtre devrait être ouverte comme voie de négociations avec les chefs terroristes car, bien qu’ayant les mains tâchées de sang, leur présence sur le terrain est bien plus consistante que celle des rebelles. En diplomatie militaire, l’on dit qu’il faut toujours garder des canaux de négociations avec l’ennemi. Fermer toute porte de dialogue fut une grande erreur stratégique.
Également, le distinguo rebelle/terroriste n’est pas évident. Beaucoup ont profité de la phase de négociations de l’Accord pour se refaire une nouvelle virginité. Des membres d’Ansar Dine, mouvance de l’extrémisme violent, ont créé leur propre mouvement (HCUA), et ainsi échapper à la liste noire d’alors. Une autre erreur, c’est de ne pas réellement aborder le fond du problème, et là, il s’agit d’un tort partagé avec l’État malien. Il s’agit de l’aspect développement social et économique. Nombres de jeunes du nord et aussi du centre tombent dans l’escarcelle des rébellions et du terrorisme à cause de la précarité. Élaborer un plan de développement économique et social et l’appliquer sur le moyen et long terme peuvent s’avérer plus efficace que le volet purement militaire. Malheureusement, peu en ont fait mention. Un aspect encore très mal exploré de nos jours.
Il semblerait que la communauté internationale se soit liguée derrière la France, censée avoir une connaissance pointue du dossier malien. Sauf qu’à l’analyse, au vu des erreurs qu’elle aura commises, du dossier malien et sahélien de manière générale, elle n’en connaissait pas assez. A moins, qu’elle n’avait un autre plan dans ses tiroirs pour la zone. Le refus de l’entrée des FAMa dans la ville de Kidal, et par la même occasion, réhabiliter une rébellion qui n’eut aucun état d’âme à pactiser avec Ansar Dine, MUJAO et autres groupuscules terroristes, fut une erreur monumentale dans le dossier malien. Paris, à l’époque ignora superbement toutes les recommandations des experts y compris des diplomates français spécialistes du Mali et surtout l’aspiration du peuple malien de voir enfin cette période sombre prendre fin. Ce, à travers le désarmement de la rébellion et l’entrée des FAMa à Kidal. Ça aurait été une fin d’apothéose à l’opération Serval qui ne cessait d’engranger des succès militaires. Paris aurait tiré une balle dans son pied à son insu, et ne s’en serait rendue compte que des années plus tard.
Qu’est-ce qui pourrait donc empêcher que la situation ne dégénère en affrontements. Une seule solution viable mais peu probable. Il est connu de tous que c’est le terrain qui commande. Et celui-ci implique une alliance entre forces armées maliennes et rebelles de la CMA afin de combattre la nébuleuse terroriste. Pour ça, il faut de la sagesse de part et d’autre, et une forte envie de paix et de stabilité. Que Dieu veille !
Ahmed M. Thiam