Il y a aujourd’hui un constat évident de mouvement spectaculaire de transformation sociale et politique à travers le continent africain. Ce mouvement traduit non seulement le besoin conscient d’une indépendance politique et du bien-être des populations, mais aussi la nécessité de briser les chaînes de la dépendance économique et de la stagnation au niveau des politiques de gouvernance qui ont presque anéanti les capacités institutionnelles, délabré les infrastructures de base et profondément altéré les tissus socio-économiques. Le cri de ralliement des populations pour affranchir le continent du paupérisme, de l’instabilité, de la corruption et de l’assujettissement marque sûrement le début d’une nouvelle ère de gouvernance après plus de 60 ans ‘‘d’indépendance’’ et de politiques non adaptées à nos réalités et valeurs.
Ce nouvel état d’esprit commande une harmonisation de nos politiques de gouvernance afin de faire émerger un système politique meilleur, nourri de nos valeurs et de nos structures sociales et culturelles. Il semble certainement être le début de la marche vers la renaissance de l’idéal africain.
En fait, l’histoire de ‘‘l’exploration’’ et de la colonisation européenne de l’Afrique comprend non seulement le commerce des esclaves, mais aussi la destruction socioculturelle et cela a changé la carte politique de l’Afrique selon les frontières tracées par les puissances colonisatrices ne correspondant pas aux entités politiques antérieures du continent, berceau de l’humanité et de la civilisation. Les objectifs de la politique africaine de l’Europe n’ont réellement pas changé depuis l’ère de cette ‘‘exploration’’ du continent. Dès lors, l’Europe et le reste du monde ont constamment imposé leurs choix à l’Afrique et les nations africaines ont toujours été traitées comme des pions de jeux dans les relations internationales. De nos jours, on nous parle de valeurs dites ‘‘universelles’’ enveloppées dans de concepts abstraits et chargées de préjugés politiques et culturels appartenant aux sociétés qui pensent être choisies par Dieu pour imposer leur volonté et leurs valeurs aux autres. En effet, la chanson reste toujours la même. C’est pour cette raison qu’il est indispensable d’avoir une mémoire et une connaissance de ce passé pour avoir un avenir. Le présent n’est que le fruit de notre passé nous permettant d’avoir un futur et un avenir prospère. La mémoire du passé doit être entretenue, même lorsqu’il est douloureux. Elle permet à la nouvelle génération de se construire. C’est ce devoir de mémoire qui permettra aux nations africaines d’avoir la posture et la politique de se protéger contre les nations prédatrices en faisant correspondre leur propre puissance à celle de ces nations dans l’équilibre des pouvoirs dans les relations internationales.
Nos populations sont évidemment prêtes pour ce renouveau. Nous espérons que les dirigeants sauront saisir cette occasion pour apporter une vision différente et mettre au point de nouvelles stratégies de développement. Les dirigeants africains ont besoin de changer de logique et leur mode de pensée. Ils doivent agir différemment pour tirer profit de la dynamique actuelle. Cela passe par la définition d’un nouveau contrat social et la mise au point de politiques nationales de sécurité et de nouvelles formes de partenariat dans lesquelles nos pays, en tant que partenaires à part entière, traiteraient intelligemment avec le reste du monde, tout en assurant une défense efficace de nos intérêts vitaux et nos propres priorités. Effectivement, le monde traverse une période capitale, caractérisée par des changements importants dans la structure du pouvoir international. Si nous voulons être en mesure d’évaluer correctement les événements actuels, nous devons concentrer nos énergies sur la détermination des propriétés structurelles des changements en cours. Il nous appartient de veiller à ce que l’agenda africain soit représenté et protégé de manière adéquate dans l’élaboration du nouvel ordre mondial.
L’Afrique doit organiser sa politique et sa diplomatie internationales avec une compréhension claire de ce à quoi le continent est sur le point de faire face dans ce nouveau monde multipolaire. Un monde multipolaire est certes bon pour nous, avec l’Afrique comme une respectable puissance parmi d’autres. C’est l’occasion pour nous de restaurer l’influence et le pouvoir de l’Afrique en redéfinissant nos relations avec le reste du monde selon nos termes et conditions.
Nous devons réorienter l’Afrique loin de ceux qui tentent de contrôler notre destin. Nos politiques doivent nous libérer de notre dépendance à l’égard des autres. Nos politiques doivent désormais avoir de profondes implications pour l’Afrique et pour le reste du monde. Nous devons forger une politique étrangère moderne, pertinente et plus indépendante dans ce monde multipolaire – maintenir les liens lorsque cela est nécessaire, mais rechercher une distance stratégique dans le cas contraire. Nous devons également rechercher un équilibre entre les différents pôles. Nous devons être transactionnels. Nous devons remodeler notre politique étrangère et placer notre programme de sécurité nationale au centre.
Les organisations sous-régionales africaines doivent œuvrer davantage en faveur d’une intégration économique et politique totale afin de devenir des acteurs forts dans ce monde multipolaire. Cependant, elles doivent d’abord œuvrer pour des changements politiques et sécuritaires, économiques et sociaux qui répondent aux attentes des peuples de la sous-région. Elles doivent surtout défendre de bonnes politiques de gouvernance et non une démocratie de façade.
L’Union Africaine (AU) n’est certes pas un État unitaire, mais elle doit chercher à établir des positions communes sur le principe d’unité et à disposer d’un mécanisme unifié d’élaboration de politique étrangère. Les politiques intra-institutionnelles de l’UA comme celles des organisations sous-régionales sont souvent un compromis désordonné et une bataille de volontés entre différents niveaux d’acteurs, y compris les États eux-mêmes. En conséquence, elles ne sont pas à même de faire face à ce qui constitue la source la plus explicite d’influence et d’ingérence étrangère à leur encontre.
Au-delà de ce dynamisme politique pour nous libérer de la servitude, nous devons pouvoir réaliser pleinement notre potentiel et parvenir à achever le cycle de la transformation tant souhaitée. Cette nouvelle phase appelle une participation de nos peuples autour des objectifs de transformation structurelle et d’amélioration de la gouvernance. En effet, la renaissance ne sera effective que lorsque notre voix sera entendue et effectivement prise en compte.
Pour cela, Il est important de s’attaquer aux problèmes de l’aide qui est un cancer dans le corps africain et de la dette qui lui suce le sang. Il est autant important de dégager des stratégies pour le développement des ressources humaines nécessaires au développement économique et pour une bonne gestion de nos ressources naturelles, afin qu’elles profitent prioritairement à nos populations dans leur ensemble. Notre lutte pour l’indépendance totale et la renaissance de l’idéal africain ne sera efficace que si elle est soutenue et renforcée par un développement durable et une justice sociale.
Les défis auxquels sont confrontés nos gouvernants sont nombreux. Nous devons nous engager ensemble avec eux pour construire un projet de redressement afin de recréer l’espoir et changer la vie. Il est de notre responsabilité de réagir et de nous mobiliser en contribuant à élargir et à mieux articuler nos aspirations. Nous devons intensifier les mobilisations non pas seulement pour lutter contre les institutions universalistes, mais également et surtout pour assumer nos responsabilités citoyennes en prenant part à l’écriture de notre destin collectif. Il est temps d’écrire notre propre histoire de gloire et de dignité comme voulu par le célèbre militant indépendantiste, le premier ministre Patrice Lumumba (Paix éternelle à son âme !).
Cheick Boucadry Traoré, Président de CARE-Afriki Lakuraya