Avec un maigre salaire pour faire face aux dépenses, surtout familiales énormes, les enseignants des écoles privées du Mali vivent dans une situation pitoyable. Cette précarité est accentuée par la période creuse des trois mois de vacances où ils restent sans salaire. Privés de mesure d’accompagnement étatique et confrontés à une mauvaise volonté des promoteurs d’école, les enseignants des écoles privées du Mali ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour espérer sortir de l’ornière.
“Nous sommes très mal payés. Je ne pense pas si les promoteurs savent que nous avons aussi des gens à nourrir et d’autres dépenses à faire, ils allaient nous traiter autrement. Pendant les vacances, nous n’avons pas de salaire. Et pire, au cours de l’année scolaire, il y a des mois impayés. Pour faire face à mes dépenses familiales, je conduis une mototaxi en cette période de vacances”, confie un enseignant d’une école privée.
Si la plupart des enseignants du privé accusent les promoteurs de s’enrichir sans se soucier de leur sort, Alassane Touré n’est pas du même avis. “Je n’accuse pas trop les promoteurs. Il faut souvent savoir s’assumer. Nous avons une part de responsabilité dans cette situation. Nous avons dit et répété à plusieurs reprises à tous les enseignants de ne pas partir dans ces écoles sans chercher à être permanents, chercher à signer un contrat en bonne et due forme. Valorisez-vous ! Mais j’ai l’impression que ça plait aux enseignants eux-mêmes de rester dans cette situation. De faire ce qu’on appelle le mercenariat, courir de gauche à droite entre les écoles”, fustige le secrétaire aux revendications du bureau national du Syndicat libre des enseignants des écoles privées au Mali (Syleepma).
Bien qu’ils dénoncent leur situation, rares sont les enseignants qui connaissent le contenu du code du travail. Ce qui fait qu’ils se contentent juste d’avoir quelque chose à la fin du mois. Or l’enseignement est un métier, un travail et il doit être considéré comme tel. L’enseignant a droit à être payé sur les douze mois de l’année au regard de tout ce que les promoteurs gagnent.
“Tout d’abord, un enseignant doit connaître au moins quelques articles du code du travail. Pourtant, beaucoup d’entre eux l’ignorent. Il faut que les enseignants s’approprient cela pour réclamer leurs droits. Normalement dès qu’un promoteur engage un enseignant comme permanent dans son école, huit jours après, le promoteur est tenu de payer régulièrement l’enseignant. C’est-à-dire il a droit à un salaire durant toute l’année en plus de son droit à être inscrit à l’INPS. Le code du travail est très clair là-dessus”, rappelle le syndicaliste Alassane Touré.
Si la plupart des enseignants du secteur privé ont peur de réclamer leurs droits de peur d’être renvoyés en acceptant les miettes de la part de promoteurs, à qui incombe la faute ?, est-on tenté de s’interroger. “J’ai l’impression que c’est une question de volonté. Personne ne viendra se battre à leur place. On leur a dit de se battre pour leurs droits”, ajoute le secrétaire aux revendications du syndicat avant d’inciter ses collègues à prendre leur destin en main : “Revendiquez vos droits car c’est dans le code du travail et c’est ce que le syndicat est en train d’inculquer. Constituez des comités dans vos écoles respectives. Alors si les promoteurs refusent de le faire, certains enseignants aussi refusent de se battre. Qu’est-ce qu’on peut faire à leur place ? Un esclave qui refuse de se battre, est-ce qu’il mérite qu’on s’apitoie sur son sort ? Nous, nous ne faisons que leur montrer le chemin à suivre. Nous ne pouvons pas aller nous battre à leur place. On dit, voilà ce que le code du travail a dit, voilà ce que le promoteur doit faire et maintenant à eux de se battre pour amener le promoteur au droit. Mais ils refusent de se battre pour leur cause et ils croissent les bras. Ce n’est pas à quelqu’un d’autre de le faire à leur place. Donc le syndicat leur a montré le chemin. Moi, je me suis battu pour avoir un salaire douze mois sur douze, pour être inscrit à l’INPS. Je me suis battu pour avoir ça et je voudrais, ensemble, qu’on se batte encore et qu’on s’aligne derrière le syndicat”.
Pour justifier le mutisme des enseignants face à leur situation de précarité, certains évoquent la crainte de perdre leur travail. Et là, de nouveau, le syndicaliste n’est pas d’accord : “Dire que les enseignants ont peur de perdre leur travail et que ce n’est pas facile d’en trouver un autre pour donner raison à cette inertie, je ne suis pas d’accord. Si l’enseignant est de qualité, s’il maîtrise parfaitement sa matière, il en trouvera. Parce que la question c’est quoi ? La qualité ! Si l’enseignant est de qualité, on te renvoie aujourd’hui, demain on te récupère quelque part. Je suis un exemple illustratif. Si les enseignants ne sont pas de qualité, c’est clair qu’ils aient peur. Les enseignants qui ont peur de revendiquer, ne sont pas de qualité”
Pour reprendre Nelson Mandela, “L’éducation est l’arme la plus puissante que vous puissiez utiliser pour changer le monde”. De ce fait, le métier d’enseignant doit être valorisé par tous les acteurs. A commencer par les enseignants eux-mêmes ensuite les parents d’élèves, les autorités ainsi que les promoteurs d’école. “Tout le monde est devenu enseignant aujourd’hui. Mais n’est pas enseignant qui le veut, hein ! On est enseignant par vocation. Mais en réalité, le rang des enseignants est pourri aujourd’hui. N’importe qui est devenu enseignant. Sinon les enseignants de qualité, on ne peut pas les renvoyer. C’est une course aujourd’hui. Nous sommes dans un monde de compétition. Si tu es fort, on te renvoie, les autres te récupèrent. Et si une école n’a pas d’enseignant de qualité, l’école sera fermée”, croit Alassane Touré, qui cite une école en mauvais exemple : “Il y a une école qui a réalisé 0 % lors du bac passé. La raison c’est quoi ? Parce que l’école n’a pas d’enseignant de qualité. Et elle risque d’être fermée pour faute d’enseignant de vocation. Renvoyez vos enseignants parce que vous allez en trouver, si vous en trouviez, vous ne trouveriez pas ceux de qualité et si vous ne trouvez pas ceux de qualité, les examens c’est zéro et si l’examen est zéro, les parents d’élève vont retirer leurs enfants pour les inscrire dans les écoles de qualité”.
En plus de l’indifférence des promoteurs d’écoles, les enseignants du privé semblent être également les grands oubliés des autorités. Dans cette situation, ils ne savent plus où se confier.
“Nous avons tapé à toutes les portes qu’il faut. Mais c’est toujours la même indifférence. C’est très simple à comprendre cette inaction des autorités. En général, ce sont les décideurs qui sont également les promoteurs d’écoles privées. Dans ce cas, qui va imposer quoi sur qui ? Voilà la question. Voilà la difficulté des enseignants. Tant qu’on ne devient pas fort, tant qu’on ne s’unit pas, tant qu’on n’est pas soudés, on va continuer à souffrir. C’est pour cette raison qu’on ne cesse de demander aux enseignants de rejoindre le syndicat pour une synergie d’actions en vue de changer la donne”, plaide Alassane Touré.
Le secrétaire aux revendications rappelle que les enseignants des écoles privées forment une famille. Et que c’est à eux de trouver les solutions et personne d’autre pour le faire à leur place. “Je crois que nous ne cessons de dire aux enseignants que le moment est arrivé. C’est maintenant ou jamais de conjuguer les efforts pour inverser la situation. Nous ne pouvons pas le faire dans la division. Il faut que nous nous unissions autour de ce syndicat. Les écoles privées sont classées dans le registre des commerçants. Il faut qu’il ait ce qu’on appelle une convention collective qui retrace la vie des enseignants des écoles privées du Mali. Tant que nous ne trouvons pas cette convention collective, le problème ne sera pas résolu. C’est la seule voie du salut pour les enseignants des écoles privées”, conclut le syndicaliste.